Partage des richesses financières

Publié le 05.02.2009| Mis à jour le 08.12.2021

Jamais le monde n’a produit autant de richesses et pourtant la pauvreté et les inégalités n’ont cessé de s’aggraver.


Si à première vue, les produits intérieurs bruts des pays tendent à converger, du fait du rattrapage des pays émergents (taux de croissance supérieurs), cette situation ne s’est pas pour autant traduite par un développement et une convergence des niveaux de vie pour l’ensemble des populations.

Selon un rapport du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) datant de novembre 2011, au cours des deux dernières décennies, l’écart s’est creusé entre riches et pauvres dans plus des trois quarts des pays de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economiques) et dans un grand nombre d’économies émergentes, notamment en Chine et en Inde.

La crise financière dont les conséquences se font aujourd’hui plus que jamais sentir rend la situation encore plus difficile. Née de dysfonctionnements dans les centres financiers des pays du Nord, elle a des répercussions de plus en plus fortes sur les économies des pays en développement qui n’ont pas les mêmes moyens que les pays riches pour en atténuer les effets négatifs. Confrontés à une baisse drastique de certains flux financiers (investissements, crédit, transferts des migrants ou encore aide publique au développement) et à une forte contraction de la demande mondiale avec en simultané une course vers les matières premières (re-primarisation de l’économie et spéculation sur les matières premières), ils paient le prix fort.

Ce constat conforte le choix fait, il y a 40 ans par le CCFD-Terre Solidaire : “L’aide directe constitue une réponse appropriée à des besoins immédiats, extraordinaires, causés par exemple, par des catastrophes naturelles, des épidémies, etc. Mais elle ne suffit pas à réparer les graves dommages qui résultent des situations de dénuement, ni à pourvoir durablement aux besoins. Il faut aussi réformer les institutions économiques et financières internationales, pour qu’elles promeuvent mieux des rapports équitables avec les pays les moins avancés. Il faut soutenir l’effort des pays pauvres travaillant à leur croissance et à leur libération.”

Les pays riches et les organisations internationales privilégient aujourd’hui la croissance économique comme principal levier du développement et encouragent les pays en développement à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour favoriser l’investissement privé et en particulier attirer les investissements étrangers.

La conférence internationale sur le financement du développement (Monterrey, 2002) a posé les bases d’une vision de ce financement reposant sur 6 piliers :
– la mobilisation des ressources nationales
– les flux de capitaux privés
– le commerce
– l’aide
– la dette
– les questions systémiques internationales

Cependant, ce consensus pose une vision du développement reposant sur la croissance et la compétition, et est aujourd’hui mis en œuvre essentiellement sous son volet « investissement privé ». Même l’aide publique au développement (APD) passe aujourd’hui principalement par l’investissement privé.

Pour le CCFD-Terre Solidaire, cette approche a un coût élevé pour un impact souvent plus que limité, voire négatif. En faisant la part belle au secteur privé, elle fait l’impasse sur les conditions à réunir pour faire rimer croissance des activités économiques avec développement humain et amélioration des conditions de vie, ignorant en particulier les plus pauvres et les enjeux de durabilité dans l’exploitation des ressources. Par ailleurs, elle implique trop souvent que les pays du Sud se plient au bon vouloir des investisseurs, au mépris de la souveraineté des pays et des peuples.

Le CCFD-Terre Solidaire continue donc de plaider pour une véritable solidarité internationale, à dénoncer les conditionnalités multiples dont l’aide fait encore l’objet, et à encourager l’augmentation véritable de l’aide publique (atteindre 0,7% du PIB – Produit Intérieur Brut- des pays développés, taxes internationales..).
Cependant, l’enjeu central, pour le CCFD-Terre Solidaire est de dépasser cette forme d’assistance, aussi sophistiquée soit-elle, pour permettre à chaque Etat, au Sud et en Europe de l’Est, de disposer des ressources financières domestiques nécessaires au développement et à la satisfaction des droits de leur population.

Le financement d’un tel développement implique de mobiliser des ressources propres aux pays afin qu’ils puissent mettre en œuvre de façon autonome, indépendante et pérenne, leurs propres politiques publiques. Cela passe par l’annulation des dettes odieuses et l’allègement des dettes extérieures qui grèvent les budgets des Etats sans aucun bénéfice pour le développement, et la prévention du surendettement. Cela passe également par des conditions accrues imposées aux investissements privés étrangers, afin qu’ils contribuent réellement au développement, en particulier par une redistribution équitable des richesses créées (rémunération du travail, contribution fiscale..).

Les mécanismes du financement du développement

La richesse des personnes et des peuples, mesurée financièrement, ainsi que leur autonomie dépendent de mécanismes économiques et politiques complexes. Pour les personnes, les revenus dépendent avant tout de la rémunération de leur travail, mais aussi de l’accès au crédit et des revenus de la solidarité et de la redistribution. Pour les États, les revenus dépendent essentiellement de la fiscalité, du niveau d’endettement, éventuellement de leur rôle productif, de leur patrimoine et, parfois, de l’aide internationale. Il ne s’agit pas ici de prétendre à l’exhaustivité.

La rémunération du travail
Le droit au travail, pourtant inscrit dans la Charte des droits de l’Homme des Nations unies, reste largement théorique, sans même parler du droit à un “travail décent”. Une tendance mondiale à la diminution des revenus du travail et l’affaiblissement des garanties sociales liées. Ce phénomène touche l’ensemble de la planète. Le CCFD-Terre Solidaire affirme le droit à un travail décent face à la logique selon laquelle la rémunération des capitaux prime sur la dignité des personnes au travail.

L’épargne et l’accès au crédit et aux capitaux : deux éléments clés
Nous avons pris le parti de nous situer du point de vue des personnes, des entreprises et des gouvernements des pays en développement en nous focalisant sur l’accès au capital et non sur la rémunération du capital et du patrimoine. Le microcrédit a apporté de nouvelles perspectives au travail de développement. Depuis plus de 30 ans, l’idée a évolué et les pratiques se sont diversifiées pour fournir une gamme élargie de services financiers de proximité, nécessaires à l’économie familiale.

Au niveau des entreprises. Si la plupart des pays asiatiques peuvent compter sur une épargne intérieure élevée, les entrepreneurs africains ou latino-américains ont en revanche un accès difficile et souvent onéreux au crédit, car l’épargne intérieure est très insuffisante. Le CCFD-Terre Solidaire et la microfinance : la SIDI

Le problème de la dette des Etats
Les gouvernements des pays en développement font face à des contraintes similaires aux entreprises, pour financer leur déficit et leurs investissements : l’insuffisance et le coût prohibitif de l’épargne intérieure contraignent nombre d’entre eux à avoir recours au crédit international, que ce soit auprès d’acteurs privés (dette privée), d’autres États (dette bilatérale) ou d’institutions financières régionales ou internationales (dette multilatérale).

La mobilisation des ressources domestiques
Malgré les revenus gigantesques que génère l’exploitation du pétrole, des minerais, du gaz ou des ressources forestières, près de 1.5 milliard de personnes vivent avec moins de 2 dollars par jour dans les pays pauvres mais riches en ressources naturelles. Cette situation est le résultat de la corruption, des activités criminelles mais aussi et surtout de l’évasion fiscale pratiquée par les grandes multinationales qui exploitent et commercialisent ces ressources.
En 2010, près de 1138 milliards de dollars auraient ainsi quitté les pays en développement vers les paradis fiscaux et les grandes places financières internationales (GFI, 2012). Des estimations en hausse malgré la guerre déclarée par les pays du G20 aux paradis en 2009.
Sur la dernière décennie, ces flux de capitaux illicites auraient connu une progression annuelle de 8,6% en moyenne, supérieure à la croissance économique (6,3% par an). Surtout, précise le think-tank américain GFI, environ 80% des flux financiers illicites sont l’objet d’une falsification des prix des transactions commerciales : une pratique des firmes multinationales pour déplacer la richesse qu’elles créent vers des territoires peu ou pas taxés.


Les revenus de la solidarité

Pour les populations pauvres, lorsque la rémunération du travail ne permet pas de subvenir aux besoins essentiels de la famille, seuls les revenus de la solidarité peuvent y contribuer. Souvent, la solidarité privée constitue un mécanisme de survie, insuffisant pour permettre aux personnes de se projeter et de choisir leur vie. Seule une redistribution publique à l’échelle nationale, voire internationale, peut le garantir.

Pour le CCFD-Terre Solidaire, lui-même acteur de solidarité privée, il est à la fois important de renforcer ces flux financiers pour répondre plus directement aux besoins des personnes et les inscrire, dans la durée, dans des perspectives de développement, en améliorant la coordination avec les autres acteurs de solidarité internationale.

Renforcer la gouvernance mondiale

– Un besoin accru de régulation au niveau mondial : l’intérêt géopolitique ou économique immédiat des États peut entrer en contradiction avec l’intérêt planétaire et des générations futures.

– À marché mondial, régulation mondiale : les régulations étatiques ne suffisent plus à assurer le bon fonctionnement du marché, ni à distribuer équitablement les fruits de l’échange – puisqu’au contraire, les inégalités continuent de se creuser entre pays et en leur sein.

– Protéger les systèmes de solidarité nationaux : une meilleure coordination régionale et internationale s’avère indispensable

– Le déficit d’efficacité et de légitimité des institutions actuelles : Le système international a, pour l’essentiel, été conçu à la sortie de la Seconde Guerre mondiale par ses vainqueurs, dont certains étaient aussi d’importantes puissances coloniales. Depuis, les Nations unies ont enrichi le droit international des droits humains, l’OMC a succédé en 1995 aux cycles du GATT, la Cour pénale internationale est née en 1998, le travail des enfants fait l’objet de conventions internationales. Toutefois, en dépit de profonds bouleversements politiques, économiques et démographiques, le système institutionnel international a globalement peu évolué. Il semble aujourd’hui inadapté pour faire face aux défis contemporains.
Le G8 s’est érigé de facto, bien qu’il s’en défende, comme le directoire de la planète, alors qu’il ne représente que 13 % de la population mondiale. Il détient également la moitié des droits de vote au FMI et à la Banque mondiale où les États-Unis peuvent bloquer une décision. Dans ces deux institutions qui pèsent tant dans les choix politiques et économiques des pays du Sud, la voix de l’Afrique entière pèse moins que celle de la France, celle de la Belgique autant que celle du Mexique. Le G20 qui se réunit depuis le début de la crise financière dans le format d’un sommet des Chefs d’Etats intervient aujourd’hui en complément du G8. Si ses membres pèsent 80% du PIB mondial et deux tiers de la population mondiale, le G20 se fonde sur un principe d’exclusion de 173 pays.

Dans les institutions qui pèsent sur les questions d’endettement (G8, FMI, Banque mondiale, Club de Paris), de régulation de l’investissement (Banque mondiale) ou de finance internationale (OCDE, FMI, G8, G10, G20), les pays du Sud sont absents ou au mieux, leur présence est symbolique, en dehors des pays émergents au G20. L’OMC repose sur un principe d’organisation plus démocratique en principe (un État, une voix) et les pays du Sud se sont organisés pour faire entendre leur voix, comme à Cancún, mais les décisions tendent toujours à se prendre à quelques-uns.

– Un système loin de garantir le respect du droit, la stabilité économique et l’avenir de la Planète : D’une part, les institutions actuelles sont incapables de faire respecter les règles du jeu écrites, c’est-à-dire le droit international. D’autre part, le système actuel présente de toute évidence de sérieuses lacunes. Il ne parvient pas à prévenir les crises financières, comme en attestent les crises asiatiques en 1997-1998, argentine en 2001 et occidentale de 2008-2009. Enfin, il s’avère incapable de juguler la fuite en avant de notre modèle consumériste et ses effets dévastateurs pour l’environnement et les générations futures.

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