Paysans du monde entier, unissez-vous !
Forte de quelque 150 groupes répartis dans près de 70 pays, La Via Campesina, qui affirme aujourd’hui représenter « 200 millions de personnes », s’est affirmée au fil des ans comme un acteur essentiel du monde agricole et porte désormais haut et fort la voix des petits paysans auprès des instances internationales.
Initiée au début des années 1990, La Via Campesina, « La Voie paysanne », soutenue par le CCFD-Terre Solidaire, naît officiellement en 1993, à Mons, en Belgique. Lorsque des petits paysans et producteurs venus du monde entier décident d’unir leurs forces pour répondre à la pression qu’ils subissent de la part de leurs politiques agricoles respectives, mais aussi des grands groupe agroindustriels nationaux ou internationaux.
La Via Campesina est à l’initiative d’une Journée internationale des luttes paysannes, célébrée le 17 avril, en souvenir de l’assassinat, en 1996, de 19 paysans brésiliens par des forces paramilitaires.
Ses actions, ses revendications s’organisent autour de plusieurs grands axes :
– la mise ne place d’une véritable réforme agraire
– le respect de la biodiversité et des ressources génétiques
– la souveraineté alimentaire
– la promotion d’une agriculture paysanne durable
– la question des ouvriers et des migrations agricoles
– le respect des droits des paysans et des communautés rurales
– la reconnaissance du rôle des femmes dans l’agriculture.
Pluraliste et multiculturelle, La Via Campesina se définit comme un « mouvement autonome, sans affiliation politique, économique ou autre ». Installée depuis 2004 à Jakarta, en Indonésie, son Secrétaire général est Henry Saragih, le président de la Serikat Pertani Indonesia, l’Union des agriculteurs indonésiens, partenaire du CCFD-Terre Solidaire. Rencontre
Quels sont les problèmes auxquels sont confrontés les petits paysans à travers le monde ?
L’un des problèmes majeurs est le manque de terre. Aujourd’hui, dans les campagnes, la terre n’appartient plus aux paysans, mais aux grands groupes agroalimentaires internationaux. Dans certains pays, c’est même la majorité des terres qui est passé sous la coupe de ces compagnies. Et cela ne concerne pas que les pays du Sud. Le phénomène est mondial. Autre problème : celui de leur compétitivité. Toute leur production et leurs moyens de production sont aujourd’hui entre les mains des sociétés qui vendent les graines, les intrants, les pesticides… et qui font les prix. D’autre part, la politique pratiquée par certains pays riches, comme la France, qui préfèrent exporter des produits industriels et importer des denrées alimentaires plutôt que de protéger leur agriculture, conduit à des situations aberrantes. Le Brésil expédie ainsi des millions de tonnes de soja chaque année pour nourrir des porcs élevés industriellement au Danemark, et le Danemark exporte ensuite de la viande de porc en Amérique latine. Le résultat c’est qu’en 1996, lors du Sommet alimentaire mondial, il y avait 825 millions de personnes qui souffraient de la faim dans le monde, aujourd’hui, ils sont près d’un milliard !
Quid de la marchandisation des denrées alimentaires ?
La nourriture est aujourd’hui devenue un objet de spéculation. Les prix n’augmentent pas parce que la production baisse, mais parce qu’ils sont contrôlés par les groupes agroindustriels et que ces denrées sont aujourd’hui cotées aux Bourses de New York ou de Londres, comme le serait n’importe quelle compagnie de téléphonie mobile. Le problème est que si l’on peut se passer de téléphone mobile, il est beaucoup plus difficile de se passer de nourriture. Les produits agricoles ne sont donc pas des produits comme les autres. C’est pourquoi nous pensons que l’Organisation mondiale du commerce ne doit pas s’immiscer dans les affaires agricoles. Il appartient à chaque communauté, à chaque gouvernement de protéger son agriculture si nous voulons que les populations puissent se nourrir avec ce qu’elles produisent.
On parle également d’un appauvrissement de la biodiversité « alimentaire » ?
Elle est réelle et s’explique par les efforts entrepris par certains groupes afin de développer et de promouvoir des organismes génétiquement modifiés et de ne plus autoriser les paysans à utiliser des semences « originelles ». Du coup, ceux qui utilisent leurs propres graines se retrouvent ainsi hors-la-loi, criminalisés de fait parce que celles-ci ne sont pas certifiées. Selon la loi, si vous ne disposez pas de ces certificats, vous ne pouvez plus planter vos graines, même si c’est juste pour nourrir votre famille ou vos proches. Aujourd’hui, 53 %, c’est-à-dire la majorité, des semences proposées sur le marché sont déjà contrôlées par moins d’une dizaine de grands groupes transnationaux comme Monsanto ou Syngena. Le pire dans tout ça étant que ces mêmes groupes ne se gênent pas pour prendre nos semences afin de les modifier et d’« inventer » de nouvelles variétés dans leurs laboratoires pour nous les revendre ensuite.
La Révolution verte des années 1960-1970 a pourtant permis de nombreuses améliorations ?
Les seuls bénéfices qui ont été visibles ont été ceux réalisés par les agroindustriels, qui en ont profité pour vendre leurs graines, leurs pesticides et leurs intrants à tour de bras. Les effets négatifs de cette révolution [NDLR : consommation d’énergie, problèmes d’irrigation, utilisation de produits chimiques, appauvrissement et empoisonnement des terres…] dépassent de loin l’amélioration de la production qui en a suivi.
De plus en plus de compagnies achètent aujourd’hui des terres à l’étranger, qu’en pensez-vous ?
C’est un phénomène nouveau. Cet accaparement de terres n’est d’ailleurs pas dû à de seules compagnies américaines ou européennes, des sociétés chinoises, japonaises, sud-coréennes… achètent également des terres à l’étranger. À La Via Campesina, nous sommes farouchement opposés à ce genre de pratique et demandons qu’une véritable politique de réforme agraire soit entreprise au niveau mondial. La terre doit appartenir à ceux qui la travaillent.
Que dire de l’initiative prise par Bill Gates et sa fondation ?
Que Bill Gates veuille redorer son image m’est égal. Par contre, son soutien à l’Agra, l’Alliance pour une révolution verte en Afrique, est plus inquiétant. Il semble qu’ils aient décidé de reproduire les mêmes erreurs que celles qu’ils ont déjà commises en Asie. La Révolution verte indonésienne a ainsi été soutenue par la Fondation Rockefeller avec l’aide de l’Institut international de recherche sur le riz, basé à Manille, et je suis bien placé pour savoir qu’ils n’ont pas réussi à résoudre les problèmes du monde rural en Indonésie.
L’aide apportée par les bailleurs de fonds internationaux, Fonds monétaire international, Banque mondiale, au développement de l’agriculture est-elle suffisante ?
Il faut bien comprendre que même si ces organismes affirment nous aider, il n’en est rien. Il y a bien effectivement quelques programmes de soutien aux plus pauvres, mais cela se réduit à de la distribution de nourriture. Alors que, ce qu’il faut, c’est aider les gens à produire par eux-mêmes. En réalité, le FMI, l’OMC, la Banque mondiale ne sont que des instruments entre les mains des grands groupes transnationaux afin d’imposer leurs lois. Lorsque l’Indonésie était en pleine crise économique, en 1998, le FMI a ainsi débarqué avec une Lettre d’intention pour résoudre cette crise qui se résumait en trois mots : privatisation, libéralisation et dérégulation. Ce qui sur le terrain s’est traduit par la fin des subventions accordées aux paysans et un arrêt des investissements dans les infrastructures agricoles. De son côté, la Banque mondiale, elle, a mis la pression sur le gouvernement indonésien jusqu’à ce que celui-ci introduise des lois légitimant la privatisation de l’eau ou instituant l’obligation de titres de propriété des terres.
Les secteurs de l’éducation, de la santé se sont ainsi également retrouvés privatisés. Quant à l’OMC, censé réguler le commerce mondial, on voit bien que, dès qu’un problème apparaît, comme par hasard, il y a un « Accord de libre échange bilatéral » qui voit le jour et permet d’échapper aux contraintes. Le but de toutes ces manœuvres étant d’affaiblir le rôle de l’État, d’affaiblir le rôle de la population, et de renforcer le pouvoir des grands groupes.
Propos recueillis par Patrick Chesnet
avec le CCFD - TERRE SOLIDAIRE
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