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Philippines : comment le gouvernement utilise-t-il la pandémie pour renforcer la répression ?
Déjà défavorisés, les populations indigènes de Mindanao ou les habitants des zones rurales, l’ont été davantage pendant la pandémie. Une période aussi marquée par une recrudescence de la présence militaire dans ces zones. Témoignage de Judy Pasimio, coordinatrice du réseau Lilak, partenaire du CCFD-Terre Solidaire.
Comment les populations rurales et autochtones avec lesquelles Lilak travaillent ont-elles vécu cette période ?
Judy Pasimio : Dans les villes, nous avions compris qu’une quarantaine allait être imposée et nous avions eu le temps de nous y préparer. Mais dans les zones reculées, l’information est arrivée tard, et l’interdiction de circuler a été pour les villageois une véritable difficulté.
Ces populations récoltent, au jour le jour, dans leurs champs et n’ont pas de stock. À Visayas, par exemple, la quarantaine est intervenue en mars en pleine récolte. Du coup, les fermiers n’ont pas pu vendre leurs produits. Ils les ont distribué, mais ont été privés de revenus.
À Mindanao, dans le sud du pays, les mois de mars à mai, sont des périodes de sécheresse. On ne récolte pas, mais on trouve à s’employer dans les autres fermes. C’était impossible cette année. Les familles se sont également retrouvées sans revenus.
La distanciation sociale imposée à Manille, était en outre, impossible à Mindanao. Car, durant la quarantaine, les combats entre groupes armés se sont poursuivis et les communautés se sont rassemblées par peur. Cette crise révèle les inégalités préexistantes !
C’est à dire ?
J.P. : Cela met en lumière, par exemple, la destruction de l’environnement. Autrefois, les populations indigènes savaient se prémunir contre les épidémies en s’enfonçant dans la forêt vers des lieux où elles pouvaient trouver les plantes médicinales propres à les aider. Mais ces territoires ont été dévastés, les forêts coupées et leurs terres morcelées. Elles ne trouvent plus les plantes médicinales.
Comment Lilak a-t-il travaillé avec ces communautés durant cette période ?
J.P. : Nous avons approvisionné 31 communautés en produits d’hygiène comme du gel ou des masques. Non sans difficulté, notamment, du fait des problèmes d’accès.
Nous avons également lancé une campagne d’information par SMS pour expliquer ce qu’est le Covid-19, comment s’en protéger. Mais cela est resté limité car, dans certaines zones, il n’y a pas de réseau, ou s’il existe, les habitants ne sont pas équipés de téléphone.
Nous avons constaté une véritable solidarité de femmes à femmes. Certaines affichaient les messages qu’elles recevaient par SMS pour partager l’information avec celles qui n’avaient pas de téléphone.
Durant cette période, la pression n’a donc pas cessé sur ces communautés ?
J.P. : Cette quarantaine a été mise en œuvre de manière inhumaine et brutale contre les personnes pauvres. La réponse du pouvoir à la question sanitaire a été militaire.
Dans les régions autochtones, la présence militaire a augmenté, sous prétexte de lutte contre le Covid-19. Le président Rodrigo Duterte en a profité pour renforcer ses visées dictatoriales. Depuis le début du confinement, on compte, à la mi-juin, 60 000 arrestations dans tout le pays.
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Pourquoi la loi anti-terroriste adoptée au Parlement le 6 juin dernier suscite-t-elle autant d’inquiétudes dans la société civile ?
J.P. : Deux questions sont centrales. Pourquoi voter cette loi maintenant, alors que la crise sanitaire n’a pas de lien avec les insurrections communistes ou celles de Mindanao ? Le gouvernement devrait plutôt augmenter les subventions pour les communautés, tester massivement, donner des moyens aux soignants.
On nous dit : « ne vous inquiétez pas, faîtes confiance à l’institution ». Mais comment est-ce possible ? On lève tous les gardes fous et beaucoup de pouvoirs sont octroyés aux forces de l’ordre, alors que la police est impliquée dans plus de dizaines de milliers de cas de morts suspectes dans le cadre de la guerre contre la drogue.
Dans l’esprit du régime Duterte, les terroristes sont non seulement les activistes, mais aussi de simples citoyens qui utilisent les réseaux sociaux pour critiquer le pouvoir.
La condamnation, le 15 juin, de la directrice du site internet Rappler, Maria Ressa et du journaliste Reynaldo Santos Jr. du même site pour diffamation, est un terrible avertissement [[Les deux journalistes qui risquent jusqu’à 6 ans de prison, restent libres sous caution jusqu’à l’issue des procédures en appel.]]. Qui n’aurait pas peur dans de telles conditions ?
Lilak participe à la lutte contre le projet barrage de Kaliwa dans la région de Sierra Madre. Que s’est-il passé durant cette période ?
J.P. : Nous savons que le projet est toujours dans les tuyaux, même si aucune activité n’a été détectée durant cette période. Mais avec le confinement de la population de Manille, nous avons pu constater que l’argument selon lequel ce barrage est essentiel pour approvisionner la ville ne tient pas.
En effet, durant la quarantaine, malgré l’augmentation de la consommation des familles coincées chez elles, il n’y a pas eu de rupture en eau. Les besoins viennent donc des golfs, des hôtels, des centres commerciaux.
Faut-il, pour alimenter ces structures, détruire le mode de vie des communautés autochtones vivant dans la Sierre Madre ? L’année dernière lors d’une campagne de sensibilisation dans trois universités de Manille, nous avons rencontré un bon écho. Les citadins présents ont compris que le problème était lié à une mauvaise gestion de la distribution d’eau plutôt qu’à un manque de ressource.
Propos recueillis par Christine Chaumeau
avec le CCFD - TERRE SOLIDAIRE
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