Philippines : Les écueils de la reconstruction après le typhon Haiyan

Publié le 07.01.2015| Mis à jour le 08.12.2021

Un an après le passage du typhon Haiyan, les régions sinistrées peinent à se relever. La décision d’interdire la construction d’habitations dans des zones considérées à risques, sur une frange littorale de 40 mètres de profondeur, provoque inquiétude et colère parmi les communautés de pêcheurs artisanaux. Où vont-ils vivre et travailler ?


Le 8 novembre 2013, le super typhon Haiyan frappait les Philippines dévastant tout sur son passage. Bilan : plus de 6 000 morts, un millier de disparus, 5 millions de déplacés, 1 million d’habitations détruites… Il n’est rien resté du hameau de Bislig, situé à une vingtaine de kilomètres au sud de Tacloban. « Tout a été détruit, raconte Leia Dorana, responsable de la communauté de pêcheurs, les habitations, les bateaux, les cocotiers. Lorsque les survivants sont revenus, nous avons retroussé nos manches. Nous avons fabriqué de nouveaux bateaux avec les matériaux fournis par une ONG internationale et avons reconstruit nos maisons… » Sans tenir compte des panneaux récemment installés délimitant les No Build Zones (zones inter dites à la construction).

C’est au lendemain de la catastrophe que le gouvernement déclarait « interdite à la construction » cette bande côtière de quarante mètres de large considérée comme une zone « à risques ». La mesure s’accompagnait d’un engagement en forme de slogan : « Reconstruire… en mieux ! » Dans un pays balayé chaque année par une vingtaine de typhons, la promulgation de décret présidentiel peut sembler de simple bon sens. À y regarder de plus près, pourtant, ce décret adopté sans consultation ni étude préalable, apparaît comme une mesure bâclée, plus motivée par l’effet d’annonce que par son efficacité présumée.

Au sein même d’institutions officielles, des voix s’élèvent pour souligner que ces 40 mètres ne sont pas une garantie et que cette mesure risque de générer un sentiment trompeur de sécurité. L’élévation par rapport au niveau de la mer, un autre critère tout aussi déterminant, n’est, elle, pas prise en compte.

« À Tacloban, explique ainsi Alfred G. Romualdez, le maire de la ville, des quartiers situés au-delà des 40 mètres ont été durement frappés par le typhon, alors qu’inversement, d’autres bâtis en deçà de cette limite ont été épargnés. »

Plus de 20 000 personnes vivent toujours sous des tentes

Pour essayer de répondre à ces critiques, une cartographie plus précise des zones à risques a été entreprise à l’échelon national. Mais il s’agit d’une étude de longue haleine et, neuf mois après le passage d’Haiyan dans la ville de Tacloban, plus de 20 000 personnes vivent toujours sous des tentes ou dans des centres d’accueil provisoire.

Les moyens à déployer pour appliquer cette loi et son impact sur les populations semblent également avoir été largement sous-estimés. Aux Philippines, des centaines de communautés de pêcheurs artisanaux vivent sur une étroite frange littorale. Et, selon une estimation de la Commission nationale contre la pauvreté (National Anti-Poverty Commission), la mise en œuvre des « No Build Zones » dans les seules provinces de Leyte, Eastern Samar et Cebu, les plus affectées par le typhon Haiyan, conduirait au déplacement de 252 688 familles.

Face à la levée de boucliers, les représentants de l’Oparr (le Bureau du conseil présidentiel pour la réhabilitation et la reconstruction) ont mis en garde contre une application stricte de la mesure et introduit des nuances entre « zones interdites à la construction » et « zones interdites à l’habitat »… Ce qui ne contribue guère à dissiper le fl ou qui entoure ces mesures.

Pas de terrain pour réinstaller les déplacés

« Pas de ligne directrice claire, pas de plan d’action, pas de moyens, déplore Arze Glipo, directrice d’IRDF, association partenaire du CCFD-Terre Solidaire. Et comment envisager le déplacement de communautés entières, ajoute-t-elle, sans disposer au préalable de terres pour leur réinstallation ? » Le cas de la communauté d’Abejao dans la municipalité de Salcedo (province d’Eastern Samar) est à cet égard éclairant : 82 % des habitations sont situées en zone vulnérable, mais la municipalité ne dispose pas de terrains pour leur réinstallation.

Le recours à des terres situées dans une réserve forestière a bien été envisagé, mais celles-ci sont propriété publique inaliénable et ne peuvent, légalement, être attribuées au relogement de personnes déplacées. Et, si la National Housing Authority (NHA) se dit prête à financer l’achat de terrains, elle exige des titres fonciers fiables… et une superficie d’un seul tenant permettant la construction d’une centaine de logements au moins, pour pouvoir attribuer le chantier à une entreprise agréée – car la reconstruction post-catastrophe, c’est aussi des marchés !

« La municipalité de Balangiga est un autre cas d’école, continue Arze Glipo. La communauté de pêcheurs artisanaux qui réside en zone non constructible, a refusé de se déplacer vers des terrains situés loin à l’intérieur des terres, morcelés et sans titre de propriété. Du coup, les aides à la reconstruction peinent à arriver ou sont carrément bloquées et le centre de santé n’a toujours pas été réhabilité. » Effet collatéral de cette politique, la réhabilitation des infrastructures (écoles, centres de santé…) utilisées lors du passage des typhons comme centres d’évacuation d’urgence, a été négligée. Et, selon une étude des Nations unies en juin, seulement 8 % des six cent trentequatre édifices identifiés comme centres d’évacuation d’urgence étaient utilisables, dans les provinces de Samar et Eastern Samar.

Comment sortir de cette impasse ? Le 23 janvier 2014, Panfilo Lacson, le Monsieur Réhabilitation nommé par le président Benito « Noynoy » Aquino III, annonçait que neuf groupes financiers philippins représentant la fine fleur des secteurs immobilier, bancaire, des télé communications, du transport et du tourisme, allaient participer à l’effort de reconstruction, dans des domaines allant de la construction de logements à l’éducation en passant par le soutien à des projets communautaires.

Faisant l’apologie de la réactivité et de la souplesse de l’entreprise privée face à la lourdeur des institutions publiques, Panfilo Lacson précisait que les consortiums s’étaient réparti seize zones d’intervention – jurant, la main sur le cœur, que leurs motivations étaient purement humanitaires.

Pour les militants de People Surge, un réseau d’organisations progressistes, religieuses et communautaires qui porte les revendications des victimes d’Haiyan, l’annonce confirmait au contraire le renoncement de l’État et l’exploitation de la détresse des victimes par des intérêts privés. Aussi, début février 2014, une manifestation lancée à l’appel de People Surge rassemblait-elle plus de 10 000 personnes dans les rues de Tacloban, les manifestants dénonçant les carences de l’aide gouvernementale, la politique de No Build Zones et son dévoiement à des fi ns d’expulsion des communautés pauvres.

Des exemples ? À Tacloban, secteur d’intervention choisi par les groupes financiers d’Enrique Razon (important opérateur portuaire) et Manny Pangilinan (magnat des télécommunications), un grand projet de construction de zone franche et de port franc est présenté comme un moteur potentiel de la réhabilitation. Mais avant de construire, il faudra déplacer les communautés pauvres qui vivent sur les terrains ciblés par les promoteurs. Une bonne partie des habitations étant construites à moins de 40 mètres de la mer, la loi de No Build Zones fournira un argument supplémentaire à leur expulsion.

L’industrie touristique veut récupérer des plages de rêves

Mais sans doute est-ce l’industrie touristique qui se montre la plus intéressée par la récupération de plages de rêve, dont la « rentabilisation » est limitée par la présence de communautés de pêcheurs miséreux. D’autant qu’en 2016, les Philippines devraient accueillir quelque 6 millions de touristes étrangers (deux millions de plus que le nombre prévu l’année précédente), d’où un besoin urgent d’accroître la capacité hôtelière du pays, notoirement insuffisante.

Le groupe Ayala, le plus important promoteur immobilier du pays est également à la tête d’un réseau de complexes touristiques haut de gamme. Dans le partage des zones à reconstruire, le groupe s’est attribué – sans consultation de la population ou des autorités locales – les îles de Panay et Negros. « Et c’est dans la petite île de Sisogon, au nord de Panay, que le groupe Ayala entreprend aujourd’hui de déplacer des communautés de pêcheurs artisanaux vers l’intérieur des terres pour faire place à un projet de complexe touristique », constate Arze Glipo.

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