Philippines, l’évasion fiscale, sport préféré des élites

Publié le 15.09.2011

Contrebande, détournement de marchandises, exonérations, revenus minorés, voire même omis… Autant de pratiques visant à échapper à l’impôt et qui grèvent de façon significative le budget de l’Etat philippin. Qu’ils soient riche particuliers , auto-entrepreneurs et grandes entreprises… l’évasion fiscale est devenu pour eux un sport national !


Les chiffres donnent le tournis. Car même s’ils restent difficiles à évaluer correctement, ce sont en effet des milliards de pesos (1 euro = 60 pesos) qui, chaque année, s’envolent régulièrement dans la nature. Ou, plutôt, restent dans les poches de contribuables philippins peu scrupuleux qui s’adonnent sans aucune retenue à ce qui ressemble fort, pour les élites locales, à un véritable sport national, à savoir l’évasion fiscale. Autant de revenus qui n’entreront pas dans les caisses de l’État et limiteront de facto les capacités d’investissement du gouvernement dans, par exemple, l’éducation ou la santé, le développement d’infrastructures ou la création d’emplois dont ce pays a tant besoin.

La Banque de développement asiatique, l’ADB, estime ainsi que la part des revenus perçus au titre des impôts, directs ou indirects, par l’État philippin ne représentait, en 2010, que 13,4 % du Produit intérieur brut du pays. L’un des taux les plus faibles parmi les pays de l’Asean, l’Association des nations du Sud-Est asiatique, dont sont membre les Philippines.

Ce manque à gagner pour l’État s’explique de plusieurs manières pour Milo Tanchuling, Secrétaire général de la Freedom from Debt Coalition, une ONG locale, partenaire du CCFD-Terre Solidaire, qui réclame des changements importants dans la politique économique et sociale du pays. « Il y a tout d’abord la contrebande. Avec plus de 7 000 îles, les Philippines sont un véritable paradis pour les trafiquants en tous genres qui importent clandestinement dans le pays de nombreux produits “libres de toutes taxes” ». À cette contrebande illégale, s’en ajoute une légale. « Des biens peuvent être effectivement enregistrés auprès des services des douanes, mais déclarés comme “à usage personnel” ou leur valeur largement sous évaluée avant de se retrouver sur le marché local. Quand ils ne se perdent pas en route. » Milo en veut pour preuve la disparition inexpliquée du contenu de quelque 1 900 containers entre janvier et mai de cette année ! Disparition qui s’est, certes, soldée par la mise à pied du chef des douanes philippines, mais témoigne surtout de l’ampleur du phénomène. Et de la corruption qui règne parmi ceux-là même qui sont censés défendre les intérêts de l’État.

Une autre des raisons, et non des moindres, qui grève le budget philippin réside dans la propension qu’ont les professions libérales de ce pays à délibérément sous-estimer leurs revenus, voire à ne pas les déclarer. Car, si les salariés voient leurs émoluments mensuels automatiquement amputés d’un certain pourcentage, les indépendants, auto-entrepreneurs, commerçants ou autres, remplissent eux-mêmes leur déclaration de revenus. La porte ouverte à tous les excès. En 2010, selon le ministère des Finances, sur les quelque 1 700 000 « professionnels » que comptent le pays, seuls 195 00 d’entre eux avaient ainsi payé leurs impôts ! Et encore, la somme moyenne versée au Trésor public philippin n’excédait pas 5 783 pesos par contribuable, soit un peu moins de 100 euros. Ce qui, selon le ministère des Finances, correspond à « des revenus inférieurs au salaire minimum local ».
L’élite politico-économique du pays n’est pas la dernière à s’adonner à de telles pratiques et à montrer le mauvais exemple. En avril dernier, c’était le propre fils de l’ancienne présidente du pays, Gloria Macagapal Arroyo, et sa femme qui étaient mis en cause par le ministère de la Justice philippin pour avoir tout simplement oublié de déclarer leurs revenus en 2003, 2005, 2008 et 2009, et s’être accordés une remise de 30 % sur ceux 2004, 2006 et de 2007. Soit, au total une somme de 73,85 millions de pesos, 1,23 million d’euros. Au mois de juillet, c’était au tour d’un général, ancien responsable des finances des Forces armées philippines et son épouse de se faire épingler, pour la même raison, par le Bercy local pour une amnésie fiscale de 428 millions de pesos (7,15 millions d’euros).
De tels cas sont hélas loin d’être isolés. Mais, alors que, jusqu’à présent, ils restaient le plus souvent ignorés par les administrations précédentes, qui prélevaient leur « dû » au passage, ils font désormais, de plus en plus souvent la Une des journaux, depuis l’arrivée au pouvoir de Benigno Aquino, en juin 2010. Désirant voir les Philippines devenir un nouvel eldorado pour les investisseurs étrangers, le nouveau président fait tout son possible pour redorer l’image de son pays, classé parmi les plus corrompus de la planète par l’ONG allemande Transparency International.

Les incitations fiscales privent le gouvernement de revenus importants

L’arrivée de ces investisseurs étrangers ne résoudra certainement pas les problèmes que connaît le budget philippin si l’on en croit Lidy Nacpil, coordinatrice pour la région Asie-Pacifique de Jubilee South, un réseau d’Ong internationales qui travaille sur la question de la dette des pays du Sud. La raison ? Les incitations ou exonérations fiscales dont jouissent les compagnies qui s’installent aux Philippines. Dans un premier temps, ces mesures étaient réservées aux entreprises qui s’installaient dans les 243 zones économiques spéciales (Zes) que compte le pays , mais aujourd’hui les entreprises étrangères peuvent en bénéficier en dehors de ces zones L’archipel est ainsi devenu, en quelques années, l’une des destinations favorites des call centers. On en compte près de huit cents répartis à travers tout le pays. Offrant des prestations dans des domaines aussi différents que l’assistance technique ou des conseils financiers en ligne, ces centres d’assistance téléphonique ont certes permis de créer localement entre 800 000 et un million d’emplois. Mais leur présence aux Philippines s’explique avant tout par les avantages fiscaux, notamment l’exemption d’impôts accordée pour une période d’au moins 5 ans, et les abattements très importants dont ils bénéficient.
« Certes, il y a une grande différence entre l’évasion fiscale, qui constitue de fait une violation de la loi, et les incitations ou exonérations fiscales, qui sont elles tout à fait légales. Mais, au final, on arrive au même résultat : dans les deux cas, on prive le gouvernement de ses sources de revenus », confie Lidy. « Ce n’est pas parce que le gouvernement leur accorde certaines facilités fiscales que ces compagnies vont se conduire de manière éthique et ne vont pas également en profiter pour, elles aussi, essayer de gruger le gouvernement en trafiquant leurs résultats ou leurs comptes d’exploitation. » Et, pour cette responsable associative, le jeu n’en vaut pas la chandelle. « En fait ce système tout à fait légal d’exonérations ou d’incitations fait perdre au gouvernement beaucoup plus d’argent que l’évasion fiscale proprement dite. »

avec le CCFD - TERRE SOLIDAIRE

J'agis

J'ai 1 minute

Partagez et relayez nos informations et nos combats. S’informer, c’est déjà agir.

Je m'informe

J’ai 5 minutes

Contribuez directement à nos actions de solidarité internationale grâce à un don.

Je donne

J’ai plus de temps

S'engager au CCFD-Terre Solidaire, c'est agir pour un monde plus juste ! Devenez bénévole.

Je m'engage

Vous n'avez qu'une minute ?

Vous pouvez participer à la vie du CCFD-Terre Solidaire

Rejoignez-nous

Restez au plus près de l'action

Restez informés

Abonnez-vous à notre newsletter

Je m'abonne
Quand la faim augmente, nourrissons le monde de solutions pour la combattre
Je découvre Je donne