© Ricardo Jimenez

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Evasion au coeur des territoires indigènes Wampis

Publié le 27.05.2021| Mis à jour le 14.01.2022

C’est au cœur d’une forêt dense bordée par le Rio Santiago, que vit le peuple indigène Wampis, au nord de l’Amazonie péruvienne. Ricardo Jiménez, président de Forum Pérou Solidarité, (partenaire du CCFD-Terre Solidaire), a sillonné ces rives idylliques menacées par la pollution, en compagnie de Wrays Pérez, le Chef du Gouvernement Territorial Autonome de la Nation Wampis (GTANW). Il nous livre ses impressions de voyage et nous invite à réfléchir au lien qui nous unit à la nature. À travers sa prose, évadons-nous un court instant, le long des rivières amérindiennes.

© Ricardo Jimenez
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Une forêt à la beauté féroce

Six longues heures de montées et de descentes, de brusques zigzags sur une route étroite, mal dessinée, parfois incroyablement détériorée, agrémentée à l’occasion par le franchissement de ravins et de ruisseaux. La camionnette qui nous emmène prend des allures d’une montagne russe, un vrai défi pour le corps habitué à la géométrie plane des villes.

Nous nous enfonçons de plus en plus dans les entrailles végétales de la forêt, un tunnel ombreux et brillant, empli de tous les verts qu’on n’a pas encore imaginés. Nous avançons au milieu de l’élégante et sereine quiétude des arbres irrépressibles, incommensurables ; à coups de lumière des cieux ouverts et limpides, à coups d’ombre des murs humides des lianes millénaires.

 » Thérapeutique, silencieux, régénérant, un oubli vert et magique m’imprègne. »

Nous nous enfonçons de plus en plus dans les entrailles végétales de la forêt, un tunnel ombreux et brillant, empli de tous les verts qu’on n’a pas encore imaginés.

© Ricardo Jimenez
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Nous avançons au milieu de l’élégante et sereine quiétude des arbres irrépressibles, incommensurables ; à coups de lumière des cieux ouverts et limpides, à coups d’ombre des murs humides des lianes millénaires.

De temps à autre, quelques maisons, l’ébauche d’un village. Des enfants, filles et garçons, des hommes chargés de paquets, des femmes portant une machette. Des vêtements colorés. Des regards curieux ou méfiants, indifférents, souriants, insondables ; des yeux comme des lumières d’étoiles.

Thérapeutique, silencieux, régénérant, un oubli vert et magique m’imprègne.

UNE TRAVERSÉE ANIMÉE PAR LES RÉCITS DU « PAMUK »

Tout autant que la route de Nieva, long est le voyage en bateau sur la rivière Kanus (Santiago) jusqu’à Alianza Progreso, la communauté où doit se tenir le congrès de la jeunesse Wampís. Quatre ou cinq heures sur une rivière qui serpente en un capricieux labyrinthe de bras et de dérivations.

L’eau qui constitue la plus grande partie de mon corps se retrouve dans la rivière, se redécouvre dans la rivière, se connaît dans la rivière. Le poète martyr péruvien Javier Heraud avait raison : nous sommes fleuve.

Le Pamuk, (Président du gouvernement) Wampís, Wrays Pérez, me raconte sa vie et me parle du territoire.

 » Nous sommes fleuve » 

© Ricardo Jimenez
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Géographie et biographie se fondent et se pétrissent en une seule histoire, née avec la planète, à l’instant amoureux et perdu où fut conçue la cordillère Kampagkias,  » espagnolisée en Kampagkis « .

Le Pamuk, (Président du gouvernement) Wampís, Wrays Pérez, me raconte sa vie et me parle du territoire.

Du Kampagkias est né le peuple Wampís, du peuple Wampís est née la famille de Wrays et de cette famille lui-même est né. Son père était un étranger qui s’éprit du Kampagkias et du peuple Wampís ; il se fit Wampís, il parlait, mangeait, chantait et respirait en Wampís.

Les bateaux passent sur la rivière Kanus comme les avions dans le ciel de l’Europe

Wrays me montre l’endroit lointain où il est né, au pied des insondables messages blancs des pierres calcaires du Kampagkias. Il se souvient :

 » Dès que j’ai eu cinq ans, je suis venu ici pour aller à la première école qu’on ait fondée. Je savais déjà lire, parce que mon papa m’avait montré, avec un alphabet de bois qu’il m’avait fabriqué « .

Nous passons près du lieu où était alors sa maison, maintenant la forêt a repris tout le terrain. De temps à autre passent des embarcations de toute taille, et de toutes petites pirogues vont dans tous les sens. De sa voix ferme et profonde, avec des intonations chantantes et amusées, le Pamuk me dit :

 » Les bateaux passent sur la rivière Kanus comme les avions dans le ciel de l’Europe « .

© Ricardo Jimenez
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DROIT ET MÉMOIRE : SOURCES D’UNE GOUVERNANCE AUTONOME

Wrays a vécu six mois à Madrid où il suivait une formation en Droits Humains. C’est à cette expérience qu’il puise la source fondamentale du Droit International à l’Autonomie des Peuples Indigènes. Un droit qui jaillit de l’existence ancestrale même de ces Peuples.

Nous l’avons gouverné et conservé pendant six mille ans

L’autre source, c’est la mémoire de l’organisation et du gouvernement autonome ancestral des Peuples Indigènes.

 » Tu vois « , dit-il, joyeux et emphatique, en montrant de son bras étendu tout le paysage visible.  » Voilà la preuve que nous les Peuples Indigènes, nous avons su nous gouverner de manière autonome. Si nous ne l’avions pas su, rien de cela n’existerait. Nous l’avons gouverné et conservé pendant six mille ans « .

Droit International du présent et Mémoire ancestrale du passé, deux sources convergentes, qui concourent à nouveau, comme deux cours d’eaux vivifiants, à l’établissement du Gouvernement Territorial Autonome :  » qui surgit comme une récupération de nos propres modes d’organisation, face à des siècles d’échec des modes d’organisation qu’on nous a imposés de l’extérieur « .

Nous aimons le Pérou, mais le Pérou ne nous aime pas. Que faut-il alors que nous fassions ?

Pour le confirmer, il me raconte l’oubli, les duperies, le mépris et l’incompréhension, les nécessités non satisfaites, la destruction du trésor que nous voyons et que nous respirons.

 » Nous aimons le Pérou « , dit-il, triste et pensif.

 » Mais le Pérou ne nous aime pas. Que faut-il alors que nous fassions ? « .

© Jean-Claude Gérez
© Jean-Claude Gérez
© Micaela Guillén Ramirez
© Micaela Guillén Ramirez

LE GOUVERNEMENT TERRITORIAL AUTONOME DE LA NATION WAMPIS

Nous pénétrons dans une gorge qui nous écarte de la rivière et nous arrêtons sur une rive, dans l’un de ces petits ports typiques que possède chaque maison du bord du fleuve.

 » C’est ma maison. Entre, tu vas connaître « , me dit-il.

Il y a là une embarcation beaucoup plus grande, de conception moderne. Elle est verte, avec un grand logo du GTAWN, le Gouvernement Territorial Autonome de la Nation Wampís, dont Wrays est le président.

Nous marchons avec précaution sur la boue formée par les pluies récentes et nous parvenons à la maison du Pamuk, une maloka sur pilotis, typique de la forêt amazonienne.

Nous entrons et il me montre ses meubles en bois local, solide, aux teintes difficiles à définir ; sa radio avec laquelle il parle à tout le territoire Wampís et au-delà ; sa source d’énergie par panneaux solaires ; sa cuisine encore en construction, avec un toit conçu pour récupérer une eau de pluie que l’on rendra potable ; en construction aussi, sa production piscicole.

LA FORÊT : SOURCE DE VIE

Je ne peux m’empêcher de penser qu’il construit sa maison avec le même amour, le même sens des responsabilités et de la prévision qu’il apporte à la construction du gouvernement autonome de son peuple.

 » Je vais te donner notre vaccin anti-Covid « , me dit-il.  » Tu sais que nous avons fait de la forêt notre pharmacie, une fois encore, devant la situation d’abandon où nous laisse le gouvernement « .

© Jean-Claude Gérez
© Jean-Claude Gérez

Je bois plusieurs petits verres d’un concentré très fort de racines végétales de chuchuhuasi, avec du yonke (eau-de-vie) et du miel. Je mange aussi un  » suri  » avec du sel, un ver qui se développe dans les pousses des arbres de la forêt péruvienne, tandis que le Pamuk me répète que c’est une source de protéines nécessaires pour tuer les virus.

Tu sais que nous avons fait de la forêt notre pharmacie

Nous retournons au bateau pour continuer notre route. Sous une pluie à certains moments torrentielle. De petites étoiles crépitent et fendent un instant la nappe de la rivière.

Je conserve dans ma peau et dans mon cœur cette sensation de protection absolue, malgré les intempéries. Je la reçois comme un signe inéluctable de régénération, face au monde fatigué, qui s’écroule, et d’où je viens.

Texte de Ricardo Jimenez traduit en français par Daniel Hangouët (CCFD-Terre Solidaire).Publié originalement par Forum Solidaridad Perú, le 3 décembre 2020.

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