Animation sur la participation citoyenne des femmes avec les membres de l'association Sindo, au Bénin.
Quand féminisme et écologie se rencontrent
À travers le monde, des mouvements sociaux de femmes – dits écoféministes – partagent une même réflexion : la destruction de la nature et la domination des femmes auraient-elles les mêmes racines?
La déclaration « Vivre le futur aujourd’hui » lancée en juillet 2018 à Mogale [[La déclaration de Mogale est à lire sur le site de Womin : https://womin.org.za]] au nord de Johannesburg en Afrique du Sud, est le fruit des réflexions d’un réseau de femmes africaines. Elle débute ainsi : « Le monde est en crise. La faim, les changements climatiques, l’épuisement et la destruction de nos forêts, des ressources en eau et des écosystèmes, les inégalités économiques et les injustices énergétiques menacent la survie de la majorité de l’humanité et de la planète. Les femmes des milieux populaires et les paysannes partout dans le monde portent la plus grande part du fardeau de ces crises. Ce sont ces femmes que l’on retrouve aux premières lignes de la résistance aux accaparements des ressources, à l’exploitation et à la violence associées avec le patriarcat capitaliste.»
Cette déclaration propose des principes qui définissent une transition juste et écoféministe africaine. Elle sera débattue toute au long de cette année au sein des organisations de base du réseau appelé « Women and Mining » (Womin), partenaire du CCFD-Terre Solidaire, une alliance régionale active dans 11 pays africains.
Le terme est lancé : écoféminisme, une union de l’écologie et du féminisme qui anime aujourd’hui de nombreux mouvements sociaux aux formes diverses. Car ils font le même constat : la destruction de la nature et la domination des femmes sont liées au capitalisme, au patriarcat et au colonialisme. « Au Guatemala, le gouvernement a accordé de nombreuses licences d’exploitation à des entreprises transnationales, déclenchant un véritable soulèvement avec de fortes mobilisations de femmes et d’autres acteurs », explique Lorena Cabnal, dirigeante indienne Maya-Xinka.
Pour ces groupes de femmes, il ne suffit pas de défendre la Terre. « Je suis féministe communautaire dans le sens où j’établis un lien entre mon corps, le territoire et la Terre, poursuit-elle. Il s’agit de défendre notre corps face à différentes violences spécifiques que nous vivons en tant que femmes : les violences sexuelles et les féminicides. »
Les violences faites aux femmes font écho aux agressions contre la planète
Aux quatre coins du monde, de nombreux groupes de femmes se reconnaissent dans ce parallèle : les femmes ont été expropriées de leurs terres et de leurs corps. Leurs territoires physiques sont violentés, surexploités, instrumentalisés, niés. Les violences faites aux femmes font écho aux agressions contre la planète tout entière.
Cette comparaison n’est pas une simple figure de style, mais une profonde remise en question de notre modèle de développement. Car on retrouve les mêmes logiques à la source de la domination exercée sur la nature et sur les femmes : une logique prédatrice et mercantile où règne la compétition, la loi du plus fort.
Pour Samantha Hargreaves du réseau Womin : « C’est en travaillant avec les femmes affectées par des projets d’énergie polluante comme les puits de pétrole et les mines de charbon que nous nous sommes aperçus que l’écoféminisme, même si le terme vient du Nord, résonne avec les réalités africaines. Cette prise de conscience nous a permis de politiser le féminisme, d’en faire une force de changement radical. » « Nous ne croyons pas que les femmes sont nées pour prendre soin des autres et de la nature, poursuit-elle, mais le système social et économique les a placées dans ce rôle depuis des siècles. En effet, elles sont les premières à souffrir des destructions environnementales : ce sont elles qui soignent les malades, qui voient les sources d’eau se tarir, les forêts disparaître, les terres arables polluées… Cette position éclaire les luttes qu’elles mènent et la raison de leur engagement. Elles ne défendent pas un intérêt sectoriel spécifique, mais bien l’ensemble de la société, l’environnement et la survie même des générations à venir. »
Ce réseau africain veut restaurer cette connexion à la nature et la revaloriser, en s’appuyant sur les valeurs de justice, de partage et de simplicité qui la sous-tendent.
Décoloniser les relations femmes-hommes
Aux Philippines, l’organisation Lilak (Purple Action for Indigenous Women’s Rights), partenaire du CCFD-Terre Solidaire, défend les droits humains des femmes indigènes. Elle vise notamment à permettre aux femmes l’accès aux ressources naturelles et à la prise de décision les concernant. Judy Pasimio est l’une des fondatrices de cette organisation : « Au sein des mouvements de peuples indigènes, nous nous sommes rendu compte que la voix des femmes était généralement ignorée. Nous avons réalisé deux études de cas de grande ampleur qui ont révélé que même quand les communautés récupéraient leurs terres, cela ne changeait pas grand-chose en matière d’égalité. C’est même souvent le contraire qui se passait, car les hommes qui dirigeaient ces communautés se retrouvaient avec un pouvoir renforcé, creusant ainsi l’écart entre les femmes et eux. »
Les groupes de femmes de Lilak, en remontant le fil de l’Histoire, voient le colonialisme comme le point de rupture ayant entraîné une destruction des relations plus égalitaires dans les communautés. L’exploitation des ressources naturelles mais aussi la militarisation et la généralisation du patriarcat au sein des institutions ont alors relégué les femmes à des rôles subalternes. « Les femmes protègent les écosystèmes, reprend Judy Pasimio, mais c’est plus sous pression du capitalisme et du patriarcat que d’une nature féminine. Nous réfléchissons à la manière de théoriser notre expérience. Mais il est clair qu’il s’agira de définir un féminisme anticapitaliste et anticolonial ! »
Des millions de femmes prennent la parole
En Occident, des inspirations écoféministes inspirent de nombreux mouvements sociaux relatifs à la transition énergétique, à la décroissance, à la justice climatique ainsi qu’à la justice sociale. Pour Barbara De Ryke, activiste belge et chercheuse en sciences et technologies à l’Université de Sussex : « C’est dans l’écoféminisme que j’ai trouvé la critique la plus fondamentale des biotechnologies : elles répandent les pesticides, l’uniformisation des semences qui entraîne la destruction de la biodiversité… »
Le Front de libération des champs (Field Liberation Movement) en Flandre dont elle fait partie voit dans les OGM une application saisissante de la logique de domination violente de l’environnement. « Les biotechnologies interviennent sur les êtres vivants, parce que les hommes pensent qu’ils peuvent contrôler la nature. Dans la lutte contre les OGM, les femmes jouent un rôle moteur mais nous travaillons aussi avec des hommes, ce qui n’est pas contraire à l’écoféminisme. Cette culture nous a permis de rester soudés malgré la répression et les procès. Les principes véhiculés par l’écoféminisme remettent la vie au centre des préoccupations et basent les relations sociales sur des valeurs de coopération, d’interdépendance, de soin, de convivialité… En agriculture, l’agroécologie en est un bel exemple », précise Barbara.
C’est également à travers la reconquête de ces principes qu’Elizabeth Peredo Beltrán, intellectuelle bolivienne de la Fondación Solón, envisage la (re)construction d’une société radicalement différente : « Des milliers de femmes dans le monde prennent la parole et jouent un rôle central pour montrer cette nouvelle voie : la défense et la protection de la vie. Certaines sont tombées en route, assassinées par des paramilitaires au service du capital […] mais leur force subsiste ainsi que l’idéal d’une nature restaurée, protégée de l’éviction, capable d’accueillir des êtres humains égaux, amoureux et empathiques, protecteurs et guérisseurs de la planète [[systemicalternative.org, août 2011]]. »
L’écoféminisme au fil de l’histoire
Même si le terme « écoféminisme » est apparu pour la première fois en France en 1972, c’est dans les années 1980 qu’il s’est développé, principalement aux États-Unis. Pendant une dizaine d’années, des centaines de femmes, féministes, pacifistes, anarchistes et antinucléaires ont organisé des blocages de centrales nucléaires, des sit-in, des camps. Les premiers textes écoféministes étaient des écrits poétiques, thérapeutiques, politiques et spirituels qui continuent à inspirer aujourd’hui.
Pour Geneviève Azam, du mouvement ATTAC France [[Intervention à retrouver sur YouTube]] : « Jusqu’à il y a peu, dans les mouvements progressistes, il était suspect de parler de la nature, notamment dans les mouvements féministes. Ils redoutaient – à juste titre – l’essentialisation de la condition féminine. De ce fait, les liens qui nous attachent à la Terre ont été considérés comme des liens de domination. L’émancipation selon Simone de Beauvoir se fondait sur un arrachement à la nature, sur la rupture de ces liens. Les activités de soin, l’attention à la terre, aux autres espèces vivantes… étaient alors considérées comme des activités dominées et donc mineures. Aujourd’hui, les écoféministes retournent la situation. Elles disent qu’il ne s’agit pas d’activités de dominées mais des valeurs à cultiver collectivement pour faire face aux destructions sociales et écologiques qui menacent la vie et une vie digne sur la Terre. »
Isabelle Delforges
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