Quand la France fait rimer coopération et contrôle des migrants
Depuis quelques années, la politique migratoire française se construit selon une approche sécuritaire et utilitariste qui s’incarne dans l’expression » d’immigration choisie « . La France veut ainsi pouvoir prévenir et empêcher à la source les flux migratoires. Pour ce faire, depuis 2007, une nouvelle génération d’accords, a vu le jour pour créer au Sud les conditions pour « externaliser » les politiques de contrôles des flux : ce sont les accords de gestion concertée des flux migratoires et de codéveloppement. Très concrètement, il s’agît de mêler politique de développement et « prévention de l’émigration non souhaitée » dans des accords bilatéraux discutés de façon opaque. La France incite ainsi les Etats du Maghreb et du Sahel à contrôler leurs frontières afin de limiter le plus possible les flux migratoires.
Alors même que les flux africains en direction de l’Europe sont minoritaires, et que cette politique ne correspond pas aux intérêts véritables de ces pays, le pouvoir politique actuel a fait preuve d’une réelle volonté d’affichage en cherchant à signer le plus grand nombre d’accords possibles, y compris avec des pays insignifiants en terme d’émigration vers la France (comme le Cap-Vert). Certains accords se sont pourtant révélés impossibles à signer, notamment avec des pays phares en termes de migrations : c’est le cas avec l’Algérie ou le Mali. Malgré les pressions exercées par le Ministère de l’intérieur ou le gouvernement français sur l’État malien, ce dernier a refusé d’apposer sa signature. Pour le Mali, le très faible taux de régularisation des ses ressortissants présents en France (et qui risquent donc l’expulsion) est une question sensible : pour cause, le montant des transferts de fonds effectués par les Maliens vivant en France est estimé à 295 millions d’euros par an, soit 11 % du PIB malien.
Les accords signés comprennent 3 volets :
- Le premier limite drastiquement les possibilités de migration légale (alors que le droit commun inclut déjà des dispositifs relatifs au visa, à l’immigration de travail, à l’accueil et au séjour des étudiants).
- Le deuxième est relatif à la lutte contre l’immigration irrégulière et comprend, pour le pays signataire, des clauses de réadmission de ses propres ressortissants et (pour certains accords) des migrants en transit sur son territoire ainsi qu’une coopération policière accrue (surveillance des frontières, etc.).
- Le troisième volet porte sur la politique de développement « solidaire » ainsi subordonnée à la collaboration des pays concernés dans la lutte contre l’immigration « illégale ». Intervenant en dernier lieu dans l’accord, cette dimension de « développement solidaire » semble vouloir répondre à une « logique de récompense », de donnant-donnant voire de monnaie d’échange.
Les critiques contre cette démarche ont été nombreuses. Ainsi, le Sénat notait que « la politique de codéveloppement apparaît davantage tournée vers un objectif interne, freiner l’immigration et favoriser le retour des migrants, que vers une politique « externe » visant à favoriser le développement du pays d’origine ». Ces accords servent ainsi des objectifs de renforcement des contrôles migratoires.
Alors où les problématiques sont de plus en plus régionales, où les espaces de concertation au plan économique et politique se construisent et se développent, il semble tout à fait inadapté de la part de la France de privilégier ce type d’accord bilatéraux.
CHIFFRES CLES
– 14 accords de gestion concertée ont été signés avec des états africains mais aussi avec des pays des Balkans ou encore la Russie. 9 ont été ratifiés. Le gouvernement français s’est fixé un objectif de 20 accords signés d’ici 2013.
– Bien qu’il existe une distinction formelle, les chiffres de l’Aide publique au développement française attribuée à un pays qui a signé un accord de gestion concertée, comparés à un pays qui refuse de signer, parlent d’eux mêmes : ainsi le Sénégal (signataire) a reçu 146 millions d’euros entre 2008 et 2009 et le Mali (non signataire) seulement 78 millions d’euros pour la même période.
DES IMPACTS AU SUD
« Dans le but de satisfaire les exigences de l’UE, le Maroc s’est engagé dans une guerre accentuée, très accélérée, contre les migrants sur son territoire. Au nom de cette guerre, les autorités marocaines ont décidé, sous l’impulsion européenne, de rendre les empreintes digitales obligatoires, en sus de l’image faciale des migrants interpellés. (…) Le Maroc deviendra responsable des migrants qui franchissent ses frontières. »
Extrait du communiqué de presse «Plus d’une centaine de migrants d’origine subsaharienne interpellés à Oujda », publié par le partenaire du CCFD-Terre Solidaire, l’association ABCDS qui travaille auprès des migrants à Oujda, (30 août 2010).
La demande phare du CCFD-Terre Solidaire
Renégocier des accords de gestion concertée, sur une base juste et équitable, fondés sur le respect de droits des migrants et en les dissociant de la politique d’aide au développement.
Comment ?
Cette renégociation passe par l’abrogation des accords existants, et la renégociation d’accords de circulation et d’installation, qui devraient :
- prendre en compte les intérêts fondamentaux des pays d’origine
- se faire de manière transparente
- être le fruit d’une véritable concertation avec les acteurs de la société civile, les partenaires sociaux et les migrants eux-mêmes
- cesser de subordonner le volet développement à la collaboration des pays à lutter contre l’émigration : il faut dissocier ces deux aspects qui n’ont rien à faire dans le même accord
Le CCFD-Terre Solidaire et ses partenaires appellent à dissocier fermement les accords de coopération et d’aide au développement des politiques de gestion des flux migratoires. Il faut cesser de négocier des accords bilatéraux opaques, où l’aide au développement est conditionnée à l’acceptation par les Etats de lutter contre l’émigration. Tout accord digne de ce nom doit prendre en compte les intérêts des pays d’origine et des migrants. La politique migratoire doit être fondée avant tout sur le respect des droits fondamentaux des personnes.
Autre demande
- Encourager la construction d’accords multilatéraux appuyés sur les structures régionales (Union Européenne, CEDEAO, CEMAC, etc.).
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