Qu’est-ce que le partenariat mondial pour l’agriculture et la sécurité alimentaire ?

Publié le 02.04.2009| Mis à jour le 08.12.2021

Lors de la Réunion de haut-niveau à Madrid les 26-27 janvier dernier, l’improvisation des discussions autour du projet de « partenariat mondial pour l’agriculture et la sécurité alimentaire » n’ont pas permis un débat serein, et n’ont fait qu’ajouter à la confusion. Pourtant, ce partenariat mondial peut être une opportunité pour créer, de manière inédite, un lieu de mise en cohérence des politiques au niveau international. Dans le processus de discussions ouvert en 2009 sous l’égide des Nations-unies, il est indispensable que les organisations de la société civile s’emparent de ce débat, y compris auprès de leur gouvernement.


En 2008, l’intensité de la crise alimentaire a remis en lumière le problème de la faim dans le monde. De fait, avec 963 millions de personnes affectées, c’est aujourd’hui près d’une personne sur six qui souffre de la faim. La lutte contre ce fléau exige, au-delà des déclarations d’intentions, une mobilisation plus forte, mieux coordonnée et plus cohérente de la communauté internationale.

Un tel cadre d’orientation, et qui réunisse l’ensemble des acteurs, n’existe pas aujourd’hui. Le Cadre global d’action, défini par l’Equipe spéciale des Nations-unies créée en avril 2008, situe son action à une échelle nationale en faveur de la coordination des acteurs sur le terrain. Il n’existe pas par contre d’espace politique au niveau international, réunissant l’ensemble des acteurs, permettant une meilleure mise en cohérence des politiques commerciales, agricoles, énergétiques, financières, environnementales, etc, qui influent sur la sécurité alimentaire mondiale. Entre les orientations prônées par la FAO et les règles commerciales définies dans
le cadre de l’OMC, une multitude de politiques et initiatives, parfois contradictoires,
coexistent sans concertation entre les différents acteurs. Un état de fait d’autant plus
insupportable qu’il faudra nourrir 9 milliards d’humains en 2050. Le partenariat mondial doit pouvoir être ce lieu de concertation des différents acteurs pour une meilleure cohérence et orientation des différentes politiques concernant l’agriculture et la sécurité alimentaire.


Retour sur le projet de partenariat mondial

Si le « partenariat mondial » était sur toutes les lèvres durant les deux jours de débat à Madrid, l’absence de document de travail, de discussion spécifique sur son fonctionnement et ses objectifs n’ont pas permis de lever la confusion. Dans ce « partenariat » aux contours nondéfinis, chacun a pu projeter ses propres craintes ou espérances. Inquiets face à une initiative connotée G8, des pays du Sud ont plaidé pour le respect de la gouvernance des institutions internationales compétentes (un pays, une voix). Quelques organisations de la société civile ont quant à elles exprimé leur défiance envers ce qui leur paraît comme une offensive au service des firmes agro-industrielles. Une inquiétude sans doute nourrie par certains discours appelant à une alliance internationale réduite à la distribution d’engrais et de semences. Enfin, des voix se sont exprimées pour plaider en faveur d’un partenariat exclusivement centré sur les actions multi-acteurs sur le terrain.

Pourtant, le projet de partenariat mondial proposé par la France le 3 juin 2008 lors du Sommet de la FAO à Rome, a reçu depuis un large écho au sein de la communauté internationale. Reprise par l’Union européenne (conseil européen, 20 juin), par l’Union africaine (assemblée générale, 1er juillet), et par le G8 (réunion du 8 juillet), cette initiative a par la suite été discutée en marge de l’Assemblée générale des Nations Unies fin septembre, lors du Sommet de la Francophonie en octobre, puis durant la conférence extraordinaire de la FAO à Rome en novembre. Enfin, les 6 et 7 novembre 2008 à Tokyo, la réunion sur la « sécurité alimentaire mondiale » du groupe d’experts G8 avec David Nabarro, coordinateur de l’Equipe spéciale des Nations-unies, et les organisations internationales impliquées, ont permis de dégager un texte consensuel sur les grands principes de base d’un partenariat.

Pour faciliter le débat, nous proposons de revenir sur le projet initial de partenariat mondial, avant de préciser les conditions qui nous semblent indispensables pour un soutien de la société civile.

Trois « piliers » pour mettre en cohérence les politiques

Le partenariat mondial doit se concevoir comme un réseau entre organisations internationales, scientifiques, donateurs, Etats, organisations de producteurs, sociétés civiles, secteurs privés. Il doit être placé sous l’égide des Nations-unies, garantes du droit à l’alimentation et des autres droits humains, et porteuses des Objectifs du Millénaire pour le Développement.

En s’appuyant ainsi sur toutes les institutions existantes et acteurs concernés, ce partenariat doit avoir trois dimensions :

1. politique : ce premier pilier doit assurer une plus grande cohérence des politiques
internationales influant la sécurité alimentaire mondiale. Cette coordination doit porter sur les questions commerciales, agricoles, énergétiques, financières, environnementales et d’aide au développement. Il existe aujourd’hui plusieurs lieux de discussion, mais aucun ne permet de mettre l’ensemble des acteurs concernés autour de la table. Cet espace politique doit intégrer des représentants de l’ensemble des acteurs : Etats, organisations des Nations unies, institutions de Bretton Woods, OMC, société civile, organisations de producteurs, ONG, secteur privé, etc. L’animation de ce pilier politique doit être confiée à l’Equipe spéciale des Nations-unies (HLTF).

2. scientifique : ce pilier doit permettre de mieux mobiliser et partager l’ensemble de
l’expertise scientifique et professionnelle existante au niveau global comme au niveau
local. Elle doit éclairer les choix de long terme, préciser l’état des connaissances sur les sujets controversés, répondre aux défis nouveaux posés par la démographie, le
changement climatique, l’ouverture commerciale, la montée des inégalités, la sécurité
alimentaire, les déséquilibres nutritionnels, les agro-énergies… Il existe aujourd’hui de
nombreux groupes d’experts dont les analyses sont parfois complémentaires, parfois
concurrentes et représentatives d’intérêts particuliers. Ils ne permettent pas une analyse partagée des grands enjeux. La FAO a reçu le mandat de réalisation des termes de référence de ce pilier scientifique.

3. financière : ce pilier financier doit permettre une remobilisation des financements
internationaux pour l’agriculture et la sécurité alimentaire, dans le respect des
engagements sur l’efficacité de l’aide et d’appropriation par les bénéficiaires. Il doit
permettre d’une part d’améliorer la mise en place de mécanismes de protection sociale, et d’autre part relancer les agricultures dans les pays du Sud au travers d’un réengagement de l’aide publique au développement, et des budgets des Etats dans le secteur agricole.

Conditions nécessaires pour assurer la plus-value d’un partenariat mondial

Soumis au processus de consultation lancé par Ban Ki Moon, le projet de partenariat mondial n’est pas figé, et doit évoluer au cours de l’année 2009. En tant qu’organisations de solidarité internationale françaises, nous considérons qu’un tel partenariat mondial doit respecter les pré-requis suivants :

· Afin d’avoir un impact sur les choix internationaux en matière de sécurité alimentaire, il semble indispensable de réunir les responsables mondiaux au plus haut niveau, au-delà des seuls acteurs de l’agriculture et de l’agroalimentaire. En ce sens, la FAO, même autour d’un Comité sur la sécurité alimentaire (CSA) rénové, ne peut suffire à infléchir les politiques internationales en dehors de l’agriculture.

· La participation de la société civile (OP et ONG) doit être effective et réelle, dans tous les espaces (les 3 piliers), toutes les étapes de réflexion et toutes les prises de décision. La voix de ceux souffrant de l’insécurité alimentaire, ou oeuvrant à la lutte contre la faim et la pauvreté doit enfin être entendue et prise en compte dans les recommandations.

· Le partenariat doit permettre de dégager des orientations claires et fermes en matière de politique de lutte contre la faim et la pauvreté à l’intention des institutions internationales et des Etats. Il cherchera ainsi à améliorer et optimiser l’action des différents acteurs et outils actuels. Pour cela, le Partenariat mondial doit recevoir un mandat ferme du secrétariat général des Nations Unis pour la coordination et supervision des politiques existantes.

· Un tel partenariat, s’il diffère du fonctionnement traditionnel d’une institution onusienne (un pays, une voix), doit nécessairement se placer sous l’égide des Nations-Unies, garantes de l’application des droits de l’Homme. L’implication de l’Equipe spéciale dans l’animation de ce processus est indispensable.

· La référence aux droits de l’homme, notamment au droit à l’alimentation, doit être la toile de fond explicite du partenariat mondial pour l’agriculture et l’alimentation.

Les agricultures familiales et vivrières souffrent depuis trop longtemps de politiques dans lesquelles elles ne sont pas prises en compte, en contradiction avec les efforts de la communauté internationale pour lutter contre la faim. L’insécurité alimentaire est une conséquence de cette incohérence.

La mise en place de ce partenariat mondial pour l’agriculture et la sécurité alimentaire, sous réserves des conditions énoncées ci-dessus, représente une opportunité historique de réorienter les politiques internationales. Il est indispensable que les organisations de la société civile soient forces de propositions lors des discussions du « processus de consultation » de cette année.

Ambroise Mazal,
Chargé de plaidoyer Souveraineté alimentaire

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