Qu’est-ce qui a changé pour le crime organisé et la corruption ?

Publié le 05.10.2011

Rien, ou presque. Le G20 s’intéresse à nouveau à cette question depuis Séoul. Mais l’objectif est davantage de faire entrer les grands émergents dans le rang que de redoubler les efforts dans l’ensemble des pays.


Si la lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent sale a été rehaussée en 2010 dans l’agenda officiel du G20 avec la création d’un groupe de travail spécifique dans lequel la France joue un rôle très actif, les résultats attendus sont assez minces. À noter d’ailleurs, que dès février 2011, la France révisait la formulation de ses priorités pour parler d’« amélioration de la gouvernance mondiale » plutôt que de « lutte contre la corruption ». Était-ce pour ne pas heurter la sensibilité de certains de ses invités ?

L’obscure liste du GAFI*

Ce n’est en tout cas pas le GAFI qui haussera le ton sur le sujet. Sa liste publiée en février 2010 et dont la dernière actualisation date de juin 2011, ne sanctionne aucun grand centre financier. Fruit d’un exercice d’évaluation incompréhensible, elle ne place au banc des accusés que des pays en développement. Est-ce un exercice d’absolution générale des paradis judiciaires ? Que sont donc devenus les longs rapports d’évaluation produits au cours des dernières années par le GAFI et qui font
apparaître le laxisme de nombreuses places financières envers l’argent sale ? À quoi sert d’avoir mis en évidence la non-conformité généralisée des centres financiers avec les 40 recommandations anti- blanchiment (+ 9 recommandations contre le financement du terrorisme) ?

La liste du GAFI : comment ça marche ?
objectif : identifier les places financières les plus susceptibles d’abriter des opérations de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme. 4 étapes : les pays membres du GAFI ou des organismes régionaux associés font l’objet de rapports réguliers. Une première sélection retient les territoires qui présentent plus de 10 recommandations jugées non conformes ou partiellement conformes sur les 16 recommandations clés. S’en suivent ensuite deux échéances avec le pays en question : la première pour convenir conjointement d’un plan d’action afin de corriger les défaillances mises à jour ; la seconde pour évaluer la mise en œuvre de ce plan. En cas d’insuffisances, le pays peut être amené à figurer sur la liste du GAFI. vous
n’y comprenez rien ? C’est à se demander si ce n’est pas fait exprès. Même le site internet de l’institution semble conçu pour décourager les visiteurs les plus curieux qui oseraient s’y aventurer.

Au-delà, du manque de lisibilité du processus les résultats restent surprenants et l’on ne peut s’empêcher d’être sceptique quant à la grande clémence dont bénéficient certains États comme le Luxembourg, par exemple.
En effet, le rapport d’évaluation du Luxembourg, paru en février 2010 le juge conforme à seulement 20% avec les recommandations du GAFI. Ce qui signifie que sur les 49 recommandations qui font l’objet d’une évaluation, il n’y en a que dix pour lesquelles le Grand-duché est jugé « conforme » ou « grandement conforme ». Quant aux 16 recommandations clés à partir desquelles la sélection du GAFI est censée réellement s’opérer, le Luxembourg n’est en conformité qu’avec quatre d’entre elles. Véritable passoire pour l’argent du crime, de la corruption, voire du terrorisme, le Grand-duché avait le profil idéal pour figurer sur la liste et faire l’objet de mesures drastiques de rétorsion. Dans le collimateur du GAFI pendant un temps, il a cependant échappé à la liste grise à grands renforts de promesses dont on ne sait encore si elles seront tenues. Et le GAFI a préféré épingler sur sa liste noir d’autres territoires dotés d’une force de persuasion sans doute moins importante mais dont les évaluations originelles étaient pourtant bien meilleures. C’est le cas notamment de la Turquie : 30 % de conformité et tout juste 10 des 16 recommandations clés jugées non-conformes.

Que fait le groupe de travail
Corruption du G20 ?

Une fois encore, le G20 ne semble finalement pas en mesure de prendre le sujet de la lutte contre la corruption et la criminalité transnationale à bras-le-corps. Il existe bien au sein du G20 un groupe de travail anti-corruption mais ce dernier fait la part belle aux acteurs du secteur privé tandis que la société civile peine à faire entendre ses propositions. Il privilégie par conséquent des initiatives de transparence non contraignantes, mises en œuvre de façon volontaire par les entreprises, considérant par exemple l’extension de l’Initiative de transparence des industries extractives (ITIE*) à d’autres secteurs d’activités. Et il est certain que la proximité de certains États du G20 avec les milieux interlopes ne doit pas aider.

Prévention de la corruption

Les pays développent chacun des stratégies différentes, avec des objectifs plus ou moins ambitieux :

– Responsabiliser les intermédiaires :
Pour lutter contre le blanchiment d’argent et la corruption, la France a depuis longtemps fait le pari de s’appuyer sur les intermédiaires en les soumettant à un « devoir de vigilance ». Depuis début 2009, tout soupçon relatif à une infraction passible de plus d’un an de prison, incluant de fait la fraude fiscale, doit faire l’objet d’une déclaration. Les professions soumises concernées sont elles aussi en augmentation mais la fronde des avocats qui depuis plusieurs années se battent pour ne pas avoir à violer le secret professionnel montre les limites d’un processus basé sur la dénonciation du client.

– Responsabiliser les entreprises :
La Grande Bretagne a quant à elle choisi de cibler les multinationales. Le durcissement des poursuites (jusqu’à 10 ans de prison et amendes illimitées sans facilités de paiement) envers celles qui ne présenteraient pas de plans anti-corruption adéquats, pourrait bien obliger les entreprises à faire preuve d’un peu plus de vigilance.

– Exiger la transparence des entreprises :
Ce sont bien entendu les États-Unis qui ont encore une fois frappé le plus fort avec le vote de la loi Dodd-Franck. En obligeant les entreprises extractives cotées à Wall Street à publier les paiements versés dans les pays hôtes de leurs activités, ils se dotent d’une vraie mesure de lutte contre la corruption. Les citoyens des pays du Sud seront ainsi en mesure d’interroger leurs gouvernements sur la gestion de ces ressources.

Pour toutes ces mesures, reste à savoir comment les dispositifs seront appliqués, contrôlés et sanctionnés.

Restitution des « Biens mal acquis »

Ce sujet, pourtant inscrit dans le plan d’action du G20 contre la corruption, n’avance guère et c’est la société civile qui oblige les États à assumer leurs responsabilités.

En effet après avoir essuyé de multiples refus de la part du Parquet, la plainte de Transparency International France contre les familles Obiang, Sassou N’guesso et Bongo, dans l’affaire des biens mal acquis a été déclarée recevable par la Cour de cassation en novembre 2010. Cette décision, historique, pourrait permettre de faire (enfin) la lumière sur les conditions d’acquisition des richesses visées mais surtout sur le rôle des intermédiaires comme les banques ou certaines entreprises, dont les ramifications passent souvent par des paradis fiscaux notoires. Et ce, même si le Parquet de Paris semble bien décidé à freiner des quatre fers dans cette affaire, comme en témoigne son récent refus d’enquêter sur les opérations financières effectuées après la date du dépôt de la plainte par les trois familles en question.

La question de la restitution des avoirs des dictateurs des pays arabes récemment tombés a également contribué à mettre le sujet sur le devant de la scène. Cette fois-ci les gouvernements occidentaux semblent pressés de réagir. Néanmoins, l’annonce début septembre du dégel « immédiat » de 15 milliards d’avoirs libyens pour une restitution au conseil de transition soulève certaines questions. Que conclure par exemple du réveil tardif de Tracfin (la cellule française de lutte anti-blanchiment) au lendemain de la chute des dictateurs ? N’y avait-il pas une obligation de signalement de la part des banques avant cette date pour des opérations effectuées par les familles Ben Ali, Mubarak, Al Hassad et Khadafi dont les pratiques étaient connues de tous depuis longtemps ? Ces déclarations ont-elles été faites et si oui ont-elles été traitées par Tracfin ?

Les dispositifs de lutte contre la corruption prévoient généralement des contrôles renforcés pour les personnalités politiquement exposées. Toujours est-il que l’application de ces mesures reste fortement soumise au contexte politique et empreinte de beaucoup de subjectivité.

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