Rapport : « 50 nuances d’évasion fiscale au sein de l’UE »

Publié le 03.11.2015| Mis à jour le 08.12.2021

Un an après le scandale Luxleaks (5 novembre 2014), qui a révélé l’ampleur de l’évasion fiscale au niveau européen, un nouveau rapport « 50 nuances d’évasion fiscale au sein de l’Union européenne », analyse les mesures européennes et compare les politiques de lutte contre l’évasion fiscale de 15 pays européens. La France est notamment pointée du doigt par les ONG pour son rétropédalage sur la transparence fiscale des entreprises : longtemps leader européen en la matière, elle fait désormais machine arrière.

Réalisé par Eurodad avec une quinzaine d’associations européennes, dont le CCFD-Terre Solidaire et Oxfam France, ce rapport démontre que les Etats européens, malgré des démarches proactives, n’ont pas pris la mesure du problème, comme le montrent les derniers scandales impliquant McDonald’s, Fiat ou Starbucks. Plus grave encore, les mécanismes facilitant l’évasion fiscale au sein de l’Union européenne prolifèrent toujours, offrant autant de choix et de « nuances » aux entreprises multinationales qui souhaitent échapper à l’impôt. Douze « patent boxes» (régime préférentiel d’imposition pour les revenus tirés de dépôt de brevets) sont ainsi désormais en vigueur ou en passe d’être mises en place dans l’Union européenne, dont six ont été introduites ces cinq dernières années. Les citoyens de l’Union européenne et des pays en développement sont les premiers à payer le prix de cette crise fiscale. Rapport : 50 nuances d’évasion fiscale au sein de l’UE « Depuis Luxleaks et les promesses qui l’ont accompagné, les citoyens européens attendent plus que jamais de l’Union européenne qu’elle agisse et mette fin à un système qui a permis à des centaines d’entreprises multinationales d’échapper à l’impôt. Au lieu de cela, et même si certains avantages fiscaux ont été supprimés, de nouvelles échappatoires ont été introduites à l’image de la nouvelle « patent box » irlandaise. Tous les pays européens sont engagés dans la course à la concurrence fiscale pour attirer les multinationales qui peuvent continuer à profiter aisément des failles du système fiscal international. L’Union européenne n’a jusqu’à présent pas été en mesure de prendre le problème à bras le corps et de siffler la fin de la récréation fiscale pour les entreprises, ce qui a des impacts négatifs pour chacun d’entre nous mais en particulier pour les pays les plus pauvres qui perdent chaque année des centaines de milliards d’euros à cause de ces pratiques », déclare Manon Aubry responsable justice fiscale et inégalités à Oxfam France. Le rapport indique que la France, longtemps leader sur les questions de transparence fiscale au niveau européen, a perdu son statut de bon élève. « Le changement de position de la France illustre bien le manque d’ambition politique pour faire face au problème. Autrefois leader européen de la transparence fiscale, le gouvernement français se montre beaucoup moins proactif et se contente de suivre les recommandations de l’OCDE. Or, concernant la nécessaire transparence fiscale des entreprises multinationales, les recommandations de l’OCDE ne vont pas dans le bon sens[[Dans son plan d’action BEPS l’OCDE propose de mettre en place un reporting pays par pays non public, qui risque de n’être échangé qu’entre les administrations fiscales des pays développés. Pour une analyse plus approfondie des résultats du plan de l’OCDE voir le document publié par la Plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires.]]. Nous avons aujourd’hui tous besoin de savoir où les entreprises réalisent leurs activités et où elles payent leurs impôts. Sans cela, nous devrons toujours compter sur les lanceurs d’alerte pour dénoncer les abus des entreprises en matière fiscale, à l’image d’Antoine Deltour à l’origine du Luxleaks, et qui risque de lourdes peines de prison», ajoute Lucie Watrinet, chargée de plaidoyer Financement du développement au CCFD-Terre Solidaire. « La France prend sa pleine part dans la course à la concurrence fiscale européenne en multipliant les incitations fiscales pour attirer les entreprises multinationales. L’ensemble de ces incitations fiscales, au premier rang desquelles le CICE (Crédit d’Impôt Compétivité et Emploi) et le CIR (Crédit d’Impôt Recherche), coûte au budget français plus de 84 milliards d’euros par an, soit quasiment le budget de l’éducation national, alors que leurs impacts positifs sur l’emploi et l’économie peinent à être démontrés », regrette Manon Aubry d’Oxfam France. Alors que l’année 2016 s’annonce chargée en réformes fiscales en Europe et en France, les ONG appellent les Etats européens à passer de la parole aux actes s’ils veulent éviter que l’année soit rythmée par de nouveaux scandales fiscaux. Elles proposent une série de recommandations à mettre en œuvre pour mettre un frein à l’hémorragie fiscale, au premier rang desquels une obligation de reporting pays par pays public consistant en une transparence sur l’activité économique réelle des entreprises. Contacts presse : Oxfam France : Caroline Prak, 01 56 98 24 45 / 06 27 15 80 99 CCFD-Terre Solidaire : Karine Appy, 01 44 82 80 67 / 06 66 12 33 02 Notes aux rédactions : Un an après le Luxleaks, le rapport dégage les tendances suivantes : – Même si certaines échappatoires fiscales ont été supprimées, force est de constater que perdure au sein de l’Union européenne le même système complexe et dysfonctionnel de rescrits fiscaux, de conventions fiscales, de sociétés dites « boîtes aux lettres » et de régimes fiscaux préférentiels pour les brevets (ou « patent boxes »). Certaines pratiques extrêmement controversées, comme les « patent boxes », ont tendance à se généraliser en Europe. – Il n’y a toujours aucune information publiquement disponible concernant l’activité des multinationales et leurs contributions fiscales : les citoyens européens, les parlementaires, les journalistes et les pays en développement continuent d’être privés de ces informations cruciales. Les promesses politiques de « transparence » se sont transformées en un système complexe et confidentiel d’échange d’informations entre administrations fiscales de pays développés, laissant le public et l’intérêt général sur le banc de touche. – Les fuites d’informations confidentielles sont devenues la première source d’information publique sur les pratiques d’évasion fiscale des multinationales. Elles coûtent pourtant cher aux personnes qui sont à l’origine de ces fuites : des lanceurs d’alerte, et même un journaliste ayant révélé certaines de ces pratiques sont aujourd’hui poursuivis et risquent lourdes peines de prison. – Plus de 100 pays en développement sont toujours exclus des processus de prise de décisions sur les normes et réglementations fiscales internationales. En 2015, lors de la conférence sur le Financement du développement à Addis Abeba, les pays en développement ont fait de la lutte pour la démocratie fiscale internationale leur cheval de bataille. Toutefois, l’UE s’est fortement opposée à la création d’un organisme fiscal international. Aucun Etat membre n’a remis en cause cette position : la prise de décision en matière de fiscalité internationale est donc restée entre les mains du « club des pays riches » qu’est l’OCDE.

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