Réalisés parfois à la limite de l’illégalité, les mégaprojets se multiplient

Publié le 21.01.2012| Mis à jour le 02.01.2022

Brésil, le 13 février 2012

Plus que jamais, la principale réserve de biosphère de la planète et ses habitants sont menacés. Brésil, Pérou, Bolivie…  Réalisés  parfois à la limite de l’illégalité, les mégaprojets se multiplient. De quoi mobiliser les partenaires du CCFD-Terre Solidaire et la société civile, qui ont déjà obtenu quelques succès.

Le 15 janvier dernier, le ballet des pelles mécaniques et des bulldozers a repris de plus belle sur les berges du fleuve Xingu, au cœur de l’Amazonie brésilienne. Le projet de construction du complexe hydroélectrique Belo Monte était en effet à l’arrêt depuis le mois d’octobre 2011. La Cour de l’état du Para avait alors rendu un jugement qui interdisait d’altérer le lit du fleuve « par l’implantation d’un port, des explosions, la construction de digues, le creusement de canaux ou toute autre forme de travaux qui modifient son cours naturel. » Une « précieuse » victoire à l’époque pour les représentants du « Mouvement Xingu Vivo pour toujours » (1). Mais une victoire éphémère, dans un pays où les trois niveaux de décision (municipalités, états, Union fédérale), compliquent singulièrement la situation. En s’appuyant sur des autorisations délivrées par l’Institut brésilien de l’Environnement (IBAMA) et sur un décret d’expropriation signé par l’Agence Nationale d’Energie Electrique (ANEEL), Norte Energia, le consortium d’entreprises chargé des travaux du futur barrage a donc entrepris, sur le site Pimental, à 40 km en amont d’Altamira, la construction d’un barrage provisoire. Objectif ? Dévier et assécher partiellement le cours du Xingu afin de pouvoir, dans un second temps, édifier le barrage principal.

Une politique environnementale ambigüe

Les conséquences sur l’environnement n’ont guère tardé. Fin janvier, un groupe d’Indigènes Arara, riverains du fleuve, a ainsi adressé un courrier à Ubiratan Cazetta, le Procureur de la République de l’Etat du Para pour y dénoncer les changements notables de la qualité de l’eau. « La communauté est préoccupée, confirme le Procureur, car elle utilise l’eau du fleuve pour boire et cuisiner. Or cette eau est devenue boueuse et donc impropre à la consommation. » La situation est d’ailleurs admise par Norte Energia, qui évoque « un mouvement naturel de sédiments dans l’eau, dû à la construction du pré-barrage. Mais, assure l’entreprise, cette situation devrait disparaitre rapidement. » En attendant, les Arara s’insurgent. « Vous, vous buvez de l’eau minérale, rappelle José Carlos Arara, leur cacique. Nous, nous sommes obligés d’avaler une eau sale et de nous laver tout habillés pour éviter les irritations et les infections de peau. » Une situation qui a poussé le Procureur de la république à demander à l’IBAMA et à l’ANEEL de venir constater la situation sur place et d’informer quelles sont les mesures qu’elles comptent prendre pour garantir une eau potable à ces communautés. Une démarche toujours sans résultat jusqu’à présent.

Pour Antonia Melo, Présidente du « Mouvement Xingu Vivo pour toujours », la reprise des travaux est « une nouvelle démonstration de la manière dont l’Etat met les communautés du fleuve Xingu devant le fait accompli.» Une attitude qui illustre d’ailleurs une politique environnementale souvent ambigüe. « Tout est fait pour convaincre l’opinion internationale que le Brésil lutte pour protéger l’environnement, poursuit Antonia Melo. Mais la réalité est bien différente. » L’exemple le plus frappant est l’adoption par le Sénat, le 24 novembre dernier, du « nouveau Code Forestier », qui favorise le lobby des agriculteurs et exploitants forestiers. Cette loi, qui doit encore être ratifiée par Dilma Rousseff, la présidente, prévoit, notamment, de restreindre considérablement les zones actuelles de protection de forêt le long des cours d’eau. Résultat, quelques 75 millions d’hectares pourraient disparaitre. Sans compter l’amnistie des violations environnementales réalisées depuis juillet 2008. Une décision qui tranche singulièrement avec les politiques environnementales adoptées par certains voisins du géant sud-américain.

« IIRSA », une menace pour l’Amazonie
Pour s’en convaincre, il suffit de se rendre au Pérou. Depuis juin 2011 et l’élection de Ollanta Humala à la tête de l’Etat, les choses semblent avoir un peu changé. La preuve ? La décision du nouveau président d’annuler  le projet de construction du barrage d’Inambari, en Amazonie péruvienne. Un projet qui menaçait plus de 15 000 indigènes. Sans compter, évidemment, les dommages irréversibles sur l’environnement. Pour Antonio Zambrano, spécialiste du dossier au sein de Forum Solidaridad Péru (FSP), un partenaire du CCFD-Terre Solidaire, l’abandon du projet sonnait alors comme « un espoir pour tous ceux qui luttent contre les grands projets dans cette région et un symbole pour toutes les organisations, notamment au Brésil et en Bolivie, qui sont confrontées aux mêmes défis. » Des menaces incarnées par des dizaines de méga-projets dont le lancement est prévu lors les deux prochaines décennies : production d’énergie, infrastructures de transports, sites miniers, etc… La destruction programmée de la région amazonienne se résume en cinq lettres : «IIRSA », l’« Initiative pour l’Intégration d’Infrastructure en Amérique du Sud. ». La gestion par le gouvernement du conflit social à Cajamarca (nord) met en doute les promesses du gouvernement. Des  milliers de manifestants s’opposaient au projet minier Conga, pour la défense des eaux de la région, en décembre 2011. Le gouvernement a décidé de décréter l’état d’urgence le 4 décembre et a déployé des militaires, suscitant une inquiétude quand aux possibilités de concertation futures sur les nombreux projets du même type.

Mobilisation de la société civile
Inambari a certes été annulé. Mais les observateurs restent néanmoins circonspects quant à la volonté du Pérou de se désengager réellement de tous ces grands projets. D’où l’importance pour la société civile et les habitants de la région de se mobiliser. Comme en Bolivie par exemple où, Evo Morales, le Président, a été contraint d’annuler en septembre dernier un projet de route qui devait traverser le Parc Isidero Secure, une réserve écologique et un territoire ancestral pour quelques 90.000 indiens yuracaré, chimán et mojeño. Face aux manifestations violentes d’un millier d’indiens, notamment à la Paz, la capitale, le projet financé à 80% par le Brésil (qui a besoin d’accès aux ports du Pacifique pour ces exportations), a été retiré. Evo Morales a même assuré qu’il avait compris « l’avertissement du peuple bolivien.» C’est cette même écoute que souhaite le Centre de Recherche et de Promotion de la Paysannerie (CICPA), auteur d’un rapport très complet sur le projet de barrage hydroélectrique Cachuela Esperanza. Présenté comme un moyen de « développer la région amazonienne et produire de l’énergie électrique à bas coût pour les populations locales », ce projet de barrage détruirait 18 millions d’hectares de forêts. Il altèrerait également la vie de quelques 330 000 personnes, affectées par les inondations. Sans compter les dérèglements climatiques. Ce rapport, espèrent les auteurs, devrait donc permettre à Evo Morales –et à ses homologues des pays voisins- de « comprendre » que l’Amazonie court aujourd’hui un risque majeur : celui de disparaitre sous les grands travaux.

Jean-Claude Gérez

(1)    Entité regroupant plusieurs dizaines de mouvements de protection de l’environnement, de mouvements sociaux et d’associations de défense des riverains du fleuve et des indigènes, dont la Commission Pastorale de la Terre (CPT) et la Fédération des Organismes pour l’Assistance Sociale et Educative (FASE), deux partenaires du CCFD-Terre Solidaire.

Lire l’article « Un front commun des partenaires du CCFD-Terre Solidaire pour sauver l’Amazonie », (décembre 2011)

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