Sabah Badreddine – Liban
La société libanaise après la guerre.
Unir la société autour de la reconstruction
Beyrouth, 13 seprembre 2006
La situation libanaise ne peut se comprendre sans apposer des grilles de lecture régionale et internationale. L’explication tient – beaucoup l’ont relevé – au caractère multicommunautaire de la société libanaise. Le Liban est morcelé en 17 communautés embourbées dans des rapports de forces et de rivalités. Aussi, pour gagner en autorité et en force, chacune cherche à tisser des alliances à l’étranger. Ces alliances se renouvellent, se lient et se délient, ce qui complique la l’analyse. Aujourd’hui, les uns font appel à l’Iran et à la Syrie alors que d’autres se tournent vers les Etats-Unis ou la Grande Bretagne. Ces alliances injectent aujourd’hui, comme dans le passé, des intérêts régionaux et internationaux dans la vie politique et économique libanaise, en même temps qu’elles régionalisent et internationalisent les conflits internes libanais. La guerre qui vient de ravager le Liban a donné l’occasion à ces forces centrifuges de se déployer.
Attiser les conflits internes
Le facteur communautaire interne s’est en effet détaché en toile de fond du conflit transfrontalier entre Israel et le Hezbollah. L’histoire la plus récente du Liban a ainsi amenée beaucoup à craindre que ce conflit transfrontalier ne conduise à un conflit interne. Les tracts que l’aviation israélienne faisait pleuvoir sur les quartiers chrétiens cherchaient précisément à attiser ces factions communautaires pour muer le conflit transfrontalier en conflit interne ou du moins, pour greffer l’un sur l’autre. Si la guerre s’était prolongée dans la durée, je ne suis pas certaine que les libanais seraient restés soudés et que, tiraillée par des forces étrangères, chaque communauté ne se serait pas retournée contre la communauté voisine pour nous faire sombrer à nouveau dans la guerre civile.
Il ne s’agit pas pour moi de rejeter la responsabilité des conflits libanais sur les tiers étrangers. Les Libanais et l’Etat libanais en particulier doivent prendre la mesure de leur responsabilité. La force du Hezbollah qualifiée par certains journalistes étrangers « d’Etat dans l’Etat », tient précisément aux carences de cet Etat libanais. Mon travail au sein du Mouvement social ne me permet de mesurer que les manquements de l’Etat dans le domaine social. D’autres vous diront quelles sont ces carences par ailleurs. Il reste que les Libanais n’opéreraient pas ce repli spasmodique vers leurs communautés et leurs chefs religieux si l’Etat libanais pouvait garantir leur sécurité mais aussi rendre tous les services sociaux et prendre les initiatives économiques qui incombent à l’Etat moderne.
Le rôle de l’État libanais
Depuis le cessez le feu, avec chaque jour qui passe, l’Etat libanais manque une chance inespérée de s’affirmer dans le rôle qui doit être le sien. La reconstruction est un chantier public que l’Etat doit diriger au nom de tous les libanais et avec la participation de tous. Or, l’Etat s’en désiste alors que les leaderships communautaires s’affirment.
Le Hezbollah distribue ainsi une aide en argent aux familles dont le logement a été détruit. Les médias en ont d’ailleurs abondement rendu compte. Or, l’allocation d’aides au logement devrait relever de l’initiative de l’Etat.
Plus encore, au lieu de soutenir et de prendre appui sur la société civile, le fonctionnement de l’Etat en paralyse aujourd’hui les initiatives : c’est ainsi que les formalités administratives imposées par le Ministères des affaires sociales aux associations chargées de distribuer des aides aux réfugiés, ont compliqué et accru le coût de la mise en oeuvre de nos actions d’urgence. Aussi, la distribution de cargos de produits de première nécessité offerts par la France aux familles déplacées, n’a pu être entreprise par le Mouvement social, qu’après l’accomplissement de lourdes formalités (avec les retards que cela emporte) et après que nous nous soyons engagés à verser des droits de douanes !
Reconstruire avec les citoyens
Quant à la levée de l’embargo, il s’agit certes d’un élément positif. Toutefois, le redressement économique ne se suffit pas du libre échange. Des dommages considérables sont enregistrés dans le Sud, la Bekaa et le Nord. Or ces régions intensément bombardées étaient déjà parmi les plus pauvres. Elles étaient aussi les oubliées de l’Etat libanais et des efforts de reconstruction de la « première guerre ». Par des actions locales, il est indispensable de soutenir le rétablissement de petits agriculteurs et commerçants qui ont perdu leur outil de travail.
Pour prévenir leur migration massive vers les banlieues déjà pauvres et surpeuplées des grands centres urbains, il est tout aussi nécessaire de cultiver leur sentiment d’appartenance, appartenance à leur région mais aussi à l’Etat- nation : si la zone limitrophe à la frontière israélienne doit être désarmée, elle ne doit pas être désertée. Là bas comme ailleurs au Liban, il faut engager la participation de chaque citoyen et reconstruire des écoles, des hôpitaux, des jardins et des bâtiments publics.
Aussitôt après le cessez-le-feu, les familles que le Mouvement Social avait accueilies dans des écoles publiques ont tenté de regagner leurs foyers. Il appartient à l’Etat d’assurer aujourd’hui leur sécurité. Nous devons quant à nous, acteurs de la société civile, non plus distribuer des aides comme en temps de guerre, mais appuyer des actions pour un développement local et durable.
Sabah Badreddine
Directrice du Mouvement social
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