Après les élections en Thaïlande
Après deux mois de mobilisation et des législatives anticipées, le Premier ministre a dû démissionner. Une analyse des enjeux de cette période clé. Jamais le pays n’aura été aussi divisé.
N’est-il pas étonnant de voir la population thaïlandaise demander aujourd’hui le départ de celui pour lequel elle a massivement voté il y a tout juste un an ?
En fait, il y a des opposants au Premier ministre depuis 2003, mais ils n’ont pu se faire entendre en raison de la politique populiste de ce dernier. Sur les conseils de quelques Ong qui se sont par la suite transformées en relais du pouvoir, Thaksin s’est en effet montré très généreux. Il a distribué un paquet d’argent aux pauvres et aux petites gens et il a su bien médiatiser ses actions.
Mais entre-temps, un nombre de plus en plus important de groupes ou d’associations représentant la société civile ont pu se rendre compte que ce système était essentiellement basé sur la corruption et le clientélisme et que Thaksin outrepassait ses droits.
Le plus grave, c’est que ce conflit qui oppose aujourd’hui Thaksin à ses opposants a divisé le pays comme jamais auparavant. Des familles s’entredéchirent, des villageois se tirent dessus et lorsque l’on prend le taxi à Bangkok, le chauffeur n’hésite pas à s’arrêter pour vous mettre à la porte si vous ne partagez pas les mêmes points de vue. On avait jamais vu cela… Thaksin fait un peu comme George Bush aux Etats-Unis : ceux qui ne sont pas avec lui sont contre lui.
Le gouvernement de Thaksin a pourtant fait de bonnes choses, comme de permettre l’accès aux soins à toute la ppopulation contre la somme de 30 bahts ?
Bien sûr que c’est une bonne idée de vouloir que tout le monde puisse avoir accès aux soins. Mais il faut voir quelles ont été les conséquences de cette décision. La vérité est que de nombreux médecins dans les hôpitaux publics se sont retrouvés en première ligne pour faire tout le travail. Résultat : beaucoup d’entre eux ont quitté le secteur public pour entrer dans des établissements privés et mainteant nous avons un système de soins à deux vitesse.
Le système à 30 bahts, pour les pauvres, avec une qualité « à 30 baht », et, pour les riches et la classe moyenne, des cliniques privées, où les services sont bien meilleurs.
N’avez-vous cependant pas peur que les choses dégénèrent et que se reproduise ce qui s’était passé en mai 1992, lorsque les manifestations contre le Premier ministre de l’époque s’étaient terminées dans un bain de sang ?
Les choses sont totallement différentes aujourd’hui. À l’époque, nous étions sous une dictature militaire et il était alors très facile de savoir de quel côté se ranger. Il y avait les militaires et le peuple. Aujourd’hui, c’est plutôt une sorte de dictature capitaliste. Les gens se décident donc en fonction des bénéfices personnels qu’ils peuvent en tirer et si conflit il y a, c’est avant tout un conflit d’intérêt.
Maintenant, s’il y a bien une leçon que nous avons retenu du passé, c’est que tout doit se faire sans le moindre dérapage. La non-violence est un élément essentiel à la bonne réussite de cette entreprise. Surtout que les militaires sont eux-mêmes divisés sur la question et que pour l’instant les différentes factions s’observent en chien de faïence et se contentent d’une politique du « wait and see ».
Un moment idéal donc ?
C’est une occasion inespérée pour la population dans son ensemble de faire un point sur la société dans laquelle nous vivons. On a trop mis l’accent sur l’économie et on a assisté à un véritable lavage de cerveaux médiatique. « J’achète donc je suis », voilà le credo qu’ont martelé ces dernières années la presse populaire et la télévision. Si tu n’achètes pas, tu n’exixtes pas !
Les gens se sont repliés sur eux-mêmes et sur la satisfaction des leurs petits désirs personnels. Mais, en tant que bouddhistes, nous ne pouvons pas nous arrêter à notre seul intérêt personnel et nous devons penser de manière plus globale et ne pas nous contenter du seul aspect matérialiste des choses.
Somboon Chungprampree travaille pour Spirit in education movement.
Propos recueillis par Patrick Chesnet.
Suite aux élections législatives anticipées le 3 avril, boycottées par l’opposition, le Premier ministre Thaksin Shinawatra a été amené à démissionner le 4 avril.
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