Sri Lanka : Après la guerre, la réconciliation ?
La guerre est finie mais la question tamoule reste entière. Face à un gouvernement nationaliste peu enclin au dialogue, la population tamoule réussira-t-elle à faire valoir ses droits ? Retour sur les racines du conflit, décryptage géopolitique et interrogations sur une possible réconciliation.
Elle a allaité son enfant jusqu’au bout, avant de succomber à bord d’une embarcation de fortune perdue entre le nord de Sri Lanka et l’État indien du Tamil Nadu. Le lendemain, les survivants de l’odyssée atteignaient les côtes indiennes au terme d’un périple harassant. Onze jours auparavant, ils avaient pris le large, fuyant les combats ravageant leur pays et plus particulièrement, en cette fin de conflit, une poche de 4 km2 au nord du Sri Lanka où les belligérants tenaient en otages quelque 50 000 civils. Sur leur lit d’hôpital, les rescapés racontent l’enfer. Des récits rares, car la zone de conflit est restée fermée à tout observateur.
Aujourd’hui encore, le gouvernement sri lankais s’échine à museler les témoins. Trois médecins tamouls qui, au péril de leur vie, avaient choisi de rester sous les bombes pour soigner les blessés, sont emprisonnés pour avoir communiqué avec des médias étrangers. Les défenseurs des droits de l’homme sont surveillés, menacés. Et environ 300 000 personnes déplacées par les combats sont parquées dans des camps cernés de barbelés, sans contact avec l’extérieur. Les ONG humanitaires qui peuvent enfin leur apporter une aide d’urgence sont encadrées par les militaires sans autorisation d’adresser la parole aux déplacés !
Une répression ancienne
Ce conflit, opposant les forces gouvernementales au LTTE (Tigres de libération de l’Eelam tamoul), durait depuis près de trente ans. Mais les discriminations que subit encore la population tamoule (25 % de la population, dont 7 % de musulmans) sont bien plus anciennes. Gardant rancune des préférences accordées aux Tamouls par l’administration britannique, un mouvement identitaire cinghalais (75 % de la population) se forme après l’indépendance acquise en 1948.
En 1956, le cinghalais devient la seule langue officielle. Puis, l’accumulation de mesures nationalistes, le harcèlement incessant et le sentiment d’inefficacité de la mobilisation pacifiste vont pousser certains groupes tamouls à la radicalisation, puis à la guérilla.
Au fil des années, grâce au racket ou à la contribution volontaire de la diaspora, au trafic d’armes et au détournement de l’aide internationale, les Tigres se constituent un véritable trésor de guerre. Le LTTE, groupe sanguinaire et despotique devient l’une des organisations terroristes les plus puissantes au monde. Au nom de la lutte contre le terrorisme, le gouvernement sri lankais va user de tous les moyens. « Jusqu’en janvier dernier, les Tigres avaient une image de puissance invincible. On a donc fermé les yeux sur les atteintes aux droits de l’homme, comme les assassinats de journalistes, toutes sortes de choses qui ont été dénoncées mollement. On a laissé le gouvernement de Colombo faire le sale boulot », analyse Eric Meyer, historien et vice-président de l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco).
Ce « on » englobe une multitude d’acteurs pour qui le Sri Lanka représente un enjeu géopolitique.
Tout d’abord, la Chine. Soucieuse de protéger sa route d’approvisionnement en pétrole, d’étendre son hégémonie dans l’océan Indien et de développer ses intérêts économiques en Afrique, elle construit notamment un complexe portuaire à Hambantota, au sud de l’île. Pékin a participé à la victoire contre les Tigres en livrant massivement des armes à Colombo.
L’Inde, quant à elle, a fourni des renseignements militaires qui ont contribué, entre autres, à l’élimination de la flotte maritime du LTTE. « Les Tigres tamouls sont depuis toujours une épine dans le pied de l’Inde. Trop puissants, ils auraient pu répandre des velléités séparatistes au Tamil Nadu », précise Eric Meyer.
Enfin, financièrement, le Sri Lanka dépend en grande partie du Japon et de la Corée du Sud. Ces deux pays investissent de longue date dans l’industrie sri lankaise. Même si politiquement ils ne s’engagent guère, ils soutiennent de facto le gouvernement.
Et l’Occident ? En 2007, les États-Unis suspendent leur aide militaire face à la dégradation du respect des droits de l’homme. Côté européen, Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères et son homologue britannique, David Miliband, sont rentrés bredouilles de leur mission à Colombo en avril dernier. Alors que les combats font rage, ils n’obtiennent ni trêve, ni accès aux victimes. Si sa diplomatie reste vaine, l’Union européenne peut encore actionner le levier commercial en conditionnant au respect des conventions internationales le renouvellement du système de préférences généralisées dont bénéficie le Sri Lanka.
Enfin, au niveau des instances internationales, le FMI (à l’heure où nous écrivons ces lignes) est à deux doigts d’accorder un prêt de près de 2 milliards de dollars au pays, faisant fi de l’opposition des États-Unis, mais surtout sans exigence concernant la gestion des camps de déplacés, ni l’assurance que cette manne profitera aux Tamouls. Fort de son appui chinois inconditionnel, Colombo affiche son outrecuidance sur la scène internationale.
Jusqu’à quand ?
Urgence humanitaire
« Si la guerre conventionnelle est terminée, deux autres guerres se poursuivent. L’une, inhumaine et illégale, contre la société civile tamoule maintenue de force dans des camps. L’autre contre les défenseurs des droits de l’homme. Tout cela en toute impunité », regrette Ruki Fernando responsable du programme Droits humains de Law and Society Trust, partenaire du CCFD-Terre Solidaire.
Dans les camps, vivres, médicaments, soins… manquent cruellement. Le gouvernement aurait même sous-estimé le nombre de déplacés. « Les camps ont été conçus pour accueillir deux fois moins de personnes », estime Eric Meyer.
L’urgence consiste aussi à organiser la réunion des familles, ballottées, éparpillées par des années de combats. Les ONG internationales et les Nations unies demandent un accès libre aux populations en détresse, un arrêt de toutes formes de harcèlement ou menaces envers les défenseurs des droits de l’homme et des mesures pour prévenir de nouveaux abus et redonner aux Tamouls une vraie citoyenneté. Pour le moment, les appels à la levée des restrictions dans les camps ont été rejetés… À cette urgence sanitaire se greffe un bras de fer politique : la création, ou non, d’une commission d’enquête internationale visant à juger, dans les deux camps, les auteurs de violations du droit international.
« Il faut mettre en place une véritable commission de réconciliation sur le modèle sud-africain. En revanche, mettre en accusation les acteurs du conflit devant la justice pénale internationale peut être très contreproductif, car cela risque de durcir la position des plus radicaux », craint Eric Meyer.
Pourant, les initiatives nationales n’ont pas abouti : « Depuis 2006, nous avons une commission nationale. De nombreux cas ont été déposés, mais nous sommes dans l’attente de conclusions… Nous avons besoin maintenant des instances internationales, explique Ruki Fernando, même si les pays occidentaux devraient se montrer moins arrogants et consulter en amont des pays comme l’Argentine, le Chili, la Bosnie ou l’Afrique du Sud », qui, dans le passé, ont été confrontés à ce problème de réconciliation.
Reconstruction et réconciliation
Face à une économie exsangue, le pays a besoin de financements pour sa reconstruction.
« L’aide doit être conditionnée au respect des droits de l’homme. Elle ne doit pas soutenir une colonisation des terres du Nord par les Cinghalais », insiste Anne- Sophie Delecroix, responsable du service Asie au CCFD-Terre solidaire. D’autre part, le gouvernement a bâti sa popularité sur un nationalisme exacerbé, on pourrait donc craindre l’émergence d’un affrontement communautaire.
Pourtant Eric Meyer estime qu’il n’y a pas d’antagonisme profondément enraciné entre Cinghalais et Tamouls. Mais « si les restrictions de liberté envers les Tamouls persistent, si les médias restent menacés, si la langue tamoule n’est pas reconnue officiellement et si la vérité ne voit pas le jour, il n’y aura pas de réconciliation », assure Ruki Fernando. Or, le gouvernement ne semble pas prêt à de telles concessions. Pour preuve, « Colombo ne mentionne rien sur le prix payé par les populations civiles dans sa résolution présentée au Conseil des droits de l’homme des Nations unies », souligne Anne-Sophie.
Autre test : les prochaines élections locales dans le nord du pays. Les Tamouls déplacés pourront-ils voter et dans quelles conditions ? Peut-on déjà voir poindre une représentation démocratique tamoule ?
Beaucoup d’autres questions restent en suspens : où les familles tamoules déplacées seront-elles réinstallées ? Quel sort réserve le gouvernement aux personnes soupçonnées d’avoir combattu dans les rangs des Tigres, détenues dans des camps militaires ? Les regards se tournent aussi vers l’Inde. La récente victoire du parti du Congrès pourrait s’avérer de bon augure. « Le nouveau gouvernement indien va se faire, je pense, le porte parole de la démocratie comme valeur fondamentale dont il peut être le garant. Et ce que dit l’Inde ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd à Colombo… », conclut Eric Meyer. Ceci ne dispense pas pour autant les Européens de maintenir une position ferme.
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