Timotius Apriyanto, Indonésie

Publié le 10.12.2005

L’aide internationale a traité les survivants en victimes. Au risque de détruire le tissu social au lieu de le renforcer.

Un an après le tsunami
L’impact de l’aide international à Aceh

Paris, 10 décembre 2005

Un an après le passage du tsunami qui a ravagé la province d’Aceh, où en est-on du processus de réhabilitation mis en place au lendemain de cette catastrophe ?
Pour que le processus de réhabilitation soit vraiment effectif, il faudrait que les différents acteurs de cette réhabilitation, les Ong, locales ou internationales, les agences gouvernementales et même l’Onu changent de paradigme et considèrent ceux qui ont survécu à ce terrible événement non pas comme des victimes, mais comme des survivants.
Les victimes sont ceux qui ont disparu, pas ceux qui restent. La nuance est très importante. Car si nous les considérons en effet comme des « victimes », ce terme introduit une notion de passivité, de faiblesse, d’incapacité des personnes concernées à se sortir d’une situation particulière. Et dans ce cas, le plus souvent, on se contente de faire ce qui s’apparente un peu à de la « livraison rapide à domicile ». On distribue de la nourriture, des couverture, voire de l’argent, et on essaye de permettre aux populations touchées de retrouver le confort qui était le leur avant la catastrophe.
C’est une approche que je qualifierais de caritative et matérielle dont les conséquences peuvent être désastreuses. Elle entraîne tout d’abord une certaine dépendance, mais, surtout, elle peut détruire ce que j’appellerai le capital social de ces communautés. C’est-à-dire leur culture et leurs traditions, l’esprit de solidarité qui régnait à l’intérieur de ces groupes et, pour finir, leur dignité. C’est la préservation de ce capital social qui devrait être placé au cœur de tout processus de réhabilitation.

En se focalisant sur le matériel, les différentes Ong et autres associations auraient-elles oubliées de s’occuper de l’individu ?

Il faudrait peut-être se pencher sur la question de la véritable signification de ce que l’on appelle développement. Qu’est-ce que cela veut dire pour nous, mais aussi, et surtout, pour les gens? Est-ce que le développement se résume à la construction de routes et de maisons ou bien est-ce que cela veut dire aider les populations à retrouver leur dignité et promouvoir leurs capacités à se prendre en charge par elles-mêmes ? Même les Ong ne sont toujours pas d’accord là-dessus.
Pourtant, une chose est sûre, c’est l’être humain et non le matériel qui doit être au centre de ce processus. Mais dans un monde où tout est aujourd’hui mesuré, quantifié, évalué en termes de rentabilité, les Ong elles-mêmes se retrouvent prises au piège.

Quitte à se comporter parfois comme de nouveaux colonisateurs ?
Lorsque nous avons commémoré en avril dernier le cinquantième anniversaire de la Conférence Afrique-Asie de Bandung qui a donné naissance au Mouvement des non alignés, les différentes Ong présentes sont tombées d’accord un point : la colonisation a changé de visage. Nous ne sommes plus aujourd’hui dans un système de colonisation politique ou territoriale, mais plutôt dans un impérialisme de type économique et culturel auquel participent parfois sans le vouloir les Ong.
Dans les régions ravagées par le tsunami, cela s’est traduit de la manière suivante : lorsque l’armada des Ong est arrivée sur le terrain, chacune d’entre elles a immédiatement voulu planter de grandes pancartes à chaque coin de rue pour indiquer sa localisation, certaines n’ont pas hésité à hisser leur drapeau ; des camions, des jeeps, des 4X4 flambants neufs ont débarqué d’on ne sait où ; de plus, chaque organisation avait établi un programme particulier, sans s’être concerté au préalable avec les autres Ong. Cela a créé un véritable choc culturel pour des populations locales déjà très éprouvées par le tsunami. Et ce choc culturel est, pour moi, beaucoup plus inquiétant que le tsunami lui-même car il est en train de pourrir toute une génération dont les nouvelles références s’appellent désormais téléphones mobiles, motocyclettes, télévisions couleur et autres biens de consommation.
La communauté a éclaté. Certains se battent entre eux pour avoir accès aux programmes, d’autres se mettent à haïr les étrangers et les derniers voient dans cette débauche d’argent et de moyens une belle opportunité à saisir. Bref, comme le disent les gens dans les villages : on nous a donné un buffle, mais la corde pour le tenir nous coûte plus cher que le buffle lui-même.

Propos recueillis par Patrick Chesnet

Timotius Apriyanto est secrétaire général du Forum interconfessionnel de Jogjakarta (FPUB) FPUB contribue à la réhabilitation d’un réseau d’écoles (les Dayahs) où l’enseignement religieux (islamique) promeut un islam tolérant. Il y organise des discussions pour promouvoir la paix à destination des enfants déplacés, dans un contexte particulièrement tendu.

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