Transparence des Industries Extractives en Afrique

Publié le 28.09.2010| Mis à jour le 08.12.2021

Il est fondamental d’imposer la transparence aux acteurs économiques européens qui opèrent dans les pays d’Afrique. C’est la raison pour laquelle le CCFD-Terre Solidaire demande l’adoption de règles obligatoires de reporting pays par pays dans le secteur extractif mais aussi au delà.

Intervention de Bernard Pinaud, délégué général du CCFD-Terre Solidaire pour la conférence au Parlement Européen sur la Transparence des Industries Extractives en Afrique.

Paris, le 15 septembre 2010
Evénement CIDSE et SECAM-Symposium des Conférences Episcopales Panafricaines

Louis Portella Mbuyu, Président de la conférence des Evêques du Congo Brazzaville était le principal intervenant. Le débat était organisé sous l’égide des députés européens, Charles Goerens (ADLE), Eva Joly (Verts) et Sirpa Pietikäinen (PPE). José Correia Nuñes de la Commission européenne et Philomena Johnson, Secrétaire exécutive de Caritas Ghana faisaient également partie du panel.

Quelques chiffres repères :

– Entre 600 et 800 milliards d’euros de flux financiers illicites sortent chaque année des pays du Sud. Ces flux génèrent un manque à gagner en recettes fiscales de l’ordre de 125 milliards d’euros pour les pays concernés. (Global Financial Integrity, rapport de 2009)

– En cumulé, depuis 1970, les flux financiers illicites en provenance des pays africains ont représenté entre 854 et 1 800 milliards de dollars. Cela représente plusieurs fois les montants d’APD reçus. (GFI, rapport de mars 2010).

– Les revenus de l’activité pétrolière, dans les dix premiers pays producteurs de pétrole en Afrique se chiffrent en 2008 à environ 275 milliards de dollars (intervention de Serge Michailof, 2010).

Plusieurs problèmes sur les industries extractives :

– Quelle répartition de la rente extractive ?
L’Etat norvégien peut compter sur 70% de la rente pétrolière.
Au Congo Brazzaville, Denis Sassou Nguesso a été longtemps surnommé « monsieur 17% » en référence à la part des recettes pétrolières qui revenait à l’Etat congolais (entre 1979 et 1992). Quand son successeur, Pascal Lissouba, a affiché sa volonté de renégocier cette clé de répartition pour arriver à 35%, Elf a financé le violent retour au pouvoir de Denis Sassou Nguesso en 1997 qui s’est soldé par plusieurs dizaines de milliers de morts (1).

– Transparence et véracité des chiffres
Au-delà de la mauvaise répartition de la rente de l’exploitation des ressources naturelles, il n’est pas rare que les Etats ignorent en réalité les quantités produites effectivement par les entreprises chargées de l’exploitation, et de fait leurs résultats financiers.

– Taxation des profits des entreprises extractives dans les pays dans lesquelles elles opèrent
Les multinationales développent de nombreuses stratégies pour éviter de payer l’impôt. Cet exercice d’optimisation fiscale les conduit souvent à manipuler les prix de transfert intragroupe pour réduire leur charge fiscale en transférant les bénéfices dans des territoires moins fiscalisés, les paradis fiscaux.  

1 – CONSTAT
« Malédiction  des ressources naturelles »

Trop de pays pauvres ont en réalité des ressources dont ils ne profitent pas pour leur propre développement. Nous observons notamment une forte corrélation entre la cartographie des ressources naturelles en Afrique et celle des régimes politiques dictatoriaux ou corrompus.

Enjeu de mobilisation des ressources domestiques pour le développement
Pour des ONG de développement comme le CCFD-Terre Solidaire et les autres membres de la CIDSE, la question numéro un n’est pas celle du financement extérieur du développement mais bien de savoir comment les pays africains peuvent bénéficier de leur propre richesse.
Le phénomène de mondialisation actuel nous renvoie à une situation analogue à la période de la colonisation : les pays du Sud sont nos réservoirs de matières premières, nos greniers et nos pompes à essence.
Le CCFD-Terre Solidaire a dénoncé cette situation dans son rapport Biens Mal Acquis, publié en juin 2009. Il montre notamment comment les fils du président congolais se servent de l’argent du pétrole pour leur enrichissement personnel avec la complaisance des industriels et des banques occidentales qui ferment les yeux sur ces pratiques pour continuer de pouvoir bénéficier de contrats avantageux.

2 – QUE FAIRE ?

Les clés pour résoudre cette situation se situent évidemment en partie en Afrique.

Mais il est fort difficile pour les citoyens des pays concernés d’enquêter et d’agir contre cette situation.  Journalistes, chercheurs, membres de la société civile témoignent des difficultés qu’ils rencontrent et des risques qu’ils prennent, au péril de leur vie. En témoigne la disparition du journaliste franco-congolais, Bruno Ossébi, qui avait eu le courage de dénoncer les biens mal acquis du gouvernement congolais et dont tout porte à croire que le pouvoir en place n’est pas étranger à sa mort suspecte.
Nous saluons également le courage de Monseigneur Portella, ici présent pour témoigner devant les membres du parlement européen.

Certes il y a beaucoup à dire sur les pratiques et les dérives de la clique politique au pouvoir. Mais n’oublions pas que derrière eux se trouvent des entreprises occidentales, largement complices de ces pratiques. (Par exemple pour le Congo Brazzaville : TOTAL et BNP, banque spécialisée dans le préfinancement des activités pétrolières).

Sans compter, les complicités officielles : malgré les engagements pris pendant la campagne présidentielle de 2007 par Nicolas Sarkozy de ne soutenir « ni les dictatures, ni les pays dirigés par des régimes corrompus », Denis Sassou Nguesso était reçu à l’Elysée dès juillet 2007, quelques jours seulement après l’ouverture de l’enquête du Parquet de Paris pour recel de détournement de fonds dans laquelle il était mis en cause. Et Nicolas Sarkozy n’a pas manqué non plus de lui rendre visite à Brazzaville, fin 2009.

Il est fondamental d’imposer la transparence aux acteurs économiques européens qui opèrent dans les pays d’Afrique. C’est la raison pour laquelle nous demandons l’adoption de règles obligatoires de reporting pays par pays dans le secteur extractif mais aussi au delà.
Cette mesure doit permettre aux citoyens des pays concernés de demander des comptes à leur gouvernement quant à l’utilisation des revenus issus du pétrole, du gaz et des mines, d’exercer un contrôle sur le niveau de recettes publiques et de veiller à leur affectation en faveur de politiques publiques pour le développement.

De nombreuses organisations de la société civile sont mobilisées sur ces questions, notamment via la campagne « Publiez ce que vous payez » qui réunit plus de 600 organisations, depuis 2002.

Les ONG se mobilisent sur plusieurs axes d’action, par ordre croissant de préférence :
– Encourager et valoriser les démarches volontaires des acteurs privés les plus responsables
– Faire évoluer les règlements des marchés boursiers pour imposer les sociétés cotées à publier un certain nombre d’informations (mais distorsion avec les sociétés non cotées).
– Réformer et harmoniser les normes comptables internationales pour imposer les mêmes exigences de reporting pays par pays à toutes les sociétés multinationales du monde. (Réforme de la norme de l’IASB – International Accounting Standards Board – sur les entreprises extractives qui s’imposerait aux 27 pays européens).

3 – OU EN SOMMES-NOUS ?

Cette demande de reporting pays par pays, émise par les organisations de la société civile n’avance pas forcément là où l’on s’y attend le plus.
La Chine et les US ont pris des mesures sans précédent en la matière.
– Bourse de Hong Kong, en mai 2010 et
– Réforme de Wall Street, en juillet 2010
Ces réformes imposent aux sociétés du secteur extractif cotées dans les places financières concernées, de publier les comptes annuels de leurs versements aux gouvernements des pays dans lesquels elles opèrent.  En réalité, elles dépassent largement les US et la Chine car de nombreuses entreprises étrangères sont cotées dans ces places boursières. (90% des compagnies pétrolières et gazières internationales (dont de nombreux groupes européens et asiatiques) sont côtés à Wall Street, ainsi que 80% des grosses entreprises du secteur minier).

Limites de ces mesures :

  • Nous devons attendre les décrets d’application pour nous assurer qu’elles se traduiront par des effets concrets.
  • Ce type de mesure ne concerne que les entreprises cotées
  • Enfin, nous demandons pour notre part, une liste d’information plus exhaustive : les filiales et propriétés, les réserves, les volumes de production, les coûts de production, les effectifs, le chiffre d’affaire, les bénéfices et le détail des paiements aux gouvernements.

Où est l’Europe ?
La semaine dernière l’Europe a laissé passer la possibilité d’emboiter le pas aux US en rejetant une proposition d’amendement dans la Directive TOD (Transparency obligations directive) dans ce sens qui aurait permis de généraliser cette mesure aux bourses européennes.
Nous sommes d’autant plus surpris de ce retard européen que le conseil des ministres du des affaires étrangères s’était déclaré le 14 juin dernier en faveur du reporting pays par pays.

Concernant la modification des normes comptables internationales (IASB-International Accounting Standards Board) qui s’appliquent à 110 Etats dont les 27 de l’UE (2), un processus de révision de la norme comptable internationale qui s’applique au secteur extractif -IFRS6 est en cours.
Le CCFD-Terre Solidaire et la CIDSE ont fait des contributions pour introduire l’exigence de publication pays par pays.
Pour l’instant, le bilan de ce processus est mitigé. Nous avons gagné une première bataille en ouvrant le débat et en mettant notre proposition de reporting pays par pays sur la table. Mais la proposition a peu à peu été vidée de son contenu par l’introduction de deux exceptions (3).

L’UE constitue le premier marché d’application de ces normes comptables. Elle dispose de différents moyens de pression:
– menacer de ne pas appliquer les normes IASB dont elle est le premier marché

  • exiger une réforme de la gouvernance de l’IASB (exercer un contrôle démocratique sur les activités de l’IASB pour permettre le droit de regard des organisations de la société civile).

Nous attendons de l’UE qu’elle se positionne fortement sur le sujet, en allant au-delà des mesures prises par les US et la Chine.


(1) Les deux parties du conflit s’accordent sur le fait que le pétrole a financé les armes. Pascal Lissouba a affirmé lors d’une audition devant l’Assemblée nationale que « Elf avait choisi M. Sassou Nguesso », in Rapport d’information n°1859, pp. 271 et 282, tandis que Denis Sassou Nguesso assure : « nous pouvons prouver que c’est avec l’argent du pétrole (…) que l’on a acheté les hélicoptères de combat et les bombes », cité in François Xavier Verschave, avril 2003, L’envers de la dette. Criminalité politique et économique au Congo Brazzaville, Agone, p. 59. Enfin l’ancien PDG d’Elf, Loic Le Floch-Prigent, ne dit pas autre chose : « tous les mois, lorsque le pétrole est vendu, les congolais voient une partie de leur argent aller directement chez Elf pour rembourser [les] armes [de la guerre civile de 1998-1999] », cité dans Xavier Harel Afrique-Pillage à huis clos, Fayard, 2006, pp 49-50.

(2) Les US suivent un autre système de normes comptables (FASB). Un rapprochement est en cours entre les deux systèmes.

(3) – Exemption pour les entreprises qui considèrent que la publication de ces informations pourrait leur porter « préjudice ».

  • Clause de matérialité qui indique que le reporting pays par pays ne s’applique que pour les pays dans lesquels la multinationale mène des activités d’importance suffisante (Appréciation de ce seuil laissée à l’entreprise elle-même).

 

 
 

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