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Un an après les Paradise Papers : Où en est la lutte contre l’évasion fiscale ? (communiqué)

Publié le 05.11.2018| Mis à jour le 08.12.2021

Les Paradise Papers, révélés le 5 novembre 2017 par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), ont porté à la connaissance du public un scandale d’évasion et de fraude fiscale d’une ampleur inédite, par le nombre de particuliers mais aussi d’entreprises impliqués.

Ces révélations ont mis une nouvelle fois en lumière les failles du système fiscal international, qui permet aux entreprises multinationales de jouer avec les règles pour échapper à l’impôt, mais aussi le rôle central joué par les paradis fiscaux installés au cœur même de l’Europe.
Au niveau mondial, l’évasion fiscale coûterait 500 milliards de dollars aux Etats, tandis que les pays en développement restent proportionnellement les plus touchés. En réalité, il y aurait dû avoir un avant et un après les Paradise papers. Et pourtant, nous sommes encore bien loin du compte.
A cette occasion, le CCFD-Terre Solidaire fait le point sur un an de mesures prises en France, au niveau européen et à l’international dans le but de lutter contre le fléau de l’évasion fiscale.

1- Evasion fiscale des entreprises multinationales

Reporting pays par pays public : une mesure indispensable, dédaignée par les Etats
La transparence reste un premier pas indispensable pour lutter efficacement contre l’évasion fiscale. La mesure de « reporting pays par pays public » obligerait les entreprises multinationales à publier des informations concernant leurs activités et les impôts qu’elles payent dans tous les pays où elles sont implantées. Cette mesure pourrait ainsi permettre à tou-te-s, citoyen-ne-s et journalistes, de repérer les transferts artificiels de bénéfices et de savoir si les entreprises paient leur part d’impôts là où elles ont une réelle activité.
– En France : adoptée de manière partielle dans le cadre de la loi Sapin 2, la mesure a été censurée en décembre 2016 par le Conseil constitutionnel, au nom de l’entrave à la liberté d’entreprendre. 15 autres mesures ont été bloquées depuis 2012, freinant considérablement la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale, alors même que cet objectif a été reconnu à caractère constitutionnel.
– Au niveau européen : alors qu’une proposition de directive est sur la table depuis 2016, les Etats membres bloquent l’avancée des négociations, en particulier l’Allemagne et les paradis fiscaux européens. Les chances d’adoption avant les élections européennes deviennent minimes, et le gouvernement français n’a pas œuvré auprès de ses partenaires européens pour l’avancée de ce dossier, alors que la France était autrefois championne de la transparence en Europe.

Taxation des GAFA : un pansement sur une jambe de bois ?
Beaucoup de débats se concentrent aujourd’hui sur la question spécifique de la taxation du numérique. Le gouvernement français a fait de cet enjeu son cheval de bataille, et défend activement une nouvelle taxe spécifique aux géants du numérique, les « GAFA », et la Commission a fait deux propositions de directives. Pour le CCFD-Terre Solidaire, il est nécessaire de rappeler que l’enjeu du numérique ne fait qu’exacerber les failles du système fiscal international, dans la mesure où toutes les entreprises sont aujourd’hui numérisées, et que l’évasion fiscale est largement répandue à tous les secteurs d’activité. De fait, c’est une réforme profonde du système fiscal qui est nécessaire et les mesures discutées n’auraient qu’une portée très limitée.
– La taxe à 3% sur les géants du numérique, dite « taxe GAFA », serait une taxe supplémentaire sur un nombre limité de grandes entreprises. Défendue avec beaucoup d’énergie par Bruno Le Maire, elle pourrait apporter quelques recettes supplémentaires aux Etats, mais elle ne mettra fin en aucun façon aux pratiques d’évasion fiscale.
– La proposition d’établissement stable numérique ne propose que de colmater un principe dépassé, qui impose les filiales des multinationales comme des entités séparées, et qui est déjà facilement contourné. De plus, les seuils proposés par la Commission européenne désavantagerait les pays pauvres ou plus petits.

Liste noire des paradis fiscaux : l’Europe fait diversion
– En décembre 2017, un mois après les Paradise Papers, l’Union Européenne a publié en grande pompe une « liste noire » des paradis fiscaux. Cette liste présente des failles majeures : elle exclut d’office tous ses Etats membres, alors que l’UE abrite des paradis fiscaux notoires en son sein, certains parmi les plus puissants : Luxembourg, Pays-Bas, Irlande… Elle repose sur des critères qui sont à l’avantage des pays riches et ne permettent pas de qualifier ce qu’est ou non un paradis fiscal (règles de l’OCDE). Et sans surprise, les partenaires les plus puissants de l’UE n’y figurent pas. De 17 pays au départ, la liste en contient aujourd’hui 7, dont Guam et la Namibie. Au final, cette liste n’échappe pas au travers de l’exercice des listes, souvent vides et politiques. Et l’UE créée par là même un double standard inquiétant, puisqu’elle blâme d’autres pays pour des pratiques qu’elle a en son sein, sans avancer vers des vraies mesures de lutte contre l’évasion fiscale.
– Voulant faire figure de bon élève, la France a transposé la liste noire européenne dans son droit national, dans le cadre de la loi contre la fraude fiscale. Les investissements vers les pays de la liste sont associés de plusieurs mesure anti-abus, qui de fait dissuaderont les investissements vers ces pays, dont certains sont pourtant loin d’être connus dans les montages d’évasion fiscale…

2- Concurrence fiscale

Baisse générale du taux d’imposition des sociétés : la course au moins-disant fiscal s’accentue
Exonérations fiscales, crédits d’impôts aux entreprises, baisse des taux d’imposition : plutôt que de prendre des mesures efficaces pour lutter contre l’évasion fiscale des multinationales, les Etats se sont au contraire lancés dans une concurrence fiscale, qui s’accentue dangereusement.
– En France, dans le cadre du projet de loi de finances 2018, la majorité a acté une baisse historique du taux d’imposition sur les sociétés, qui va passer de 33% à 25% le taux moyen d’imposition des sociétés d’ici à la fin du quinquennat.
– Les pays de l’Union Européenne ne sont pas en reste : depuis 2015, 12 gouvernements ont baissé les taux d’imposition sur les sociétés. Selon un rapport d’Eurodad (European network on debt and development – dont le CCFD-Terre Solidaire est membre) publiée en mars 2018, si cette tendance mondiale se poursuit, le taux d’imposition moyen des entreprises au niveau mondial pourrait atteindre 0% en 2052.

3- Fraude fiscale

Si la différence entre fraude et évasion fiscale reste parfois difficile à établir quand les acteurs multinationaux réussissent à jouer avec les règles du droit, la France et l’Union européenne ont voulu se donner les moyens d’agir contre la fraude fiscale.
Accord européen sur les sociétés écrans : une avancée importante, à traduire en France
– Les sociétés écrans sont un des outils principaux de la fraude fiscale. Au cœur des scandales du type des Panama Papers, elles permettent de dissimuler les vrais propriétaires de fonds. L’Union Européenne a fait un pas important en décembre 2017, dans le cadre d’une directive contre le blanchiment d’argent : chaque pays européen doit maintenant tenir des registres publics des propriétaires réels des sociétés, et des registres semi-publics des propriétaires des trusts. La France n’a pas encore ouvert ses registres, alors qu’elle a depuis étudié une loi contre la fraude fiscale.
Loi contre la fraude fiscale en France : quelques avancées mais l’institution d’une nouvelle justice à deux vitesses
– Modeste dans son ambition, la loi contre la fraude fiscale adoptée en octobre 2018 propose quelques avancées, avec notamment l’aménagement du « Verrou de Bercy », qui donnait au ministère des Finances le monopole en matière de poursuites pénales pour fraude fiscale. Mais le texte introduit dans le même temps une nouvelle procédure dérogatoire pour les entreprises fraudeuses, qui pourront éviter un procès et la reconnaissance de leur culpabilité en acceptant de payer une amende.

4- Réforme du système fiscal

Réformer un système fiscal international obsolète, vieux de près de 100 ans : voilà l’enjeu. Aujourd’hui, les filiales des entreprises multinationales continuent à être perçues comme des entités séparées, leur permettant ainsi de jouer entre les différentes législations et de transférer artificiellement leurs bénéfices dans les paradis fiscaux, pour échapper à l’impôt. L’importance croissante des activités numériques des multinationales participe à rendre ce système encore plus obsolète.

Taxation unitaire des multinationales et harmonisation fiscale : la bonne direction
– Plutôt que d’imposer les entreprises multinationales comme un groupe d’entités séparées, le système fiscal devrait considérer les multinationales comme une seule entité cohérente, et chaque pays pourrait alors les imposer selon leur activité économique réelle, y compris numérique. Au niveau européen, une harmonisation fiscale ambitieuse pourrait ainsi mettre un terme à l’évasion fiscale. La France soutient ouvertement l’avancée des négociations sur les directives « ACCIS » en ce sens, mais elles devront être accompagnées d’un taux d’imposition minimum et ne plus contenir de possibilité de nouvelles super-déductions fiscales pour être véritablement efficaces.

La création d’un organisme fiscal international est urgente et indispensable
– Le plan BEPS (érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices) de l’OCDE, publié en 2015, est la dernière tentative de réformer les règles du système fiscal international. Cependant, alors même que l’évasion fiscale impacte davantage les pays en développement, la plupart des pays du monde ont été exclus des négociations, et le plan présente des défauts majeurs : il continue de favoriser les pays les plus riches, et ne s’est pas tout simplement pas attaqué aux racines du problème.
Depuis plusieurs années, plus 130 Etats réclament la création d’un organisme fiscal international au sein de l’ONU, demande réitérée en avril 2018. Un tel organisme permettrait de négocier une réforme fondamentale du système fiscal international, avec tous les pays réunis à la table des négociations. Cependant, la France et les pays les plus riches continuent de bloquer sa création.

Lison Rehbinder, chargée de plaidoyer financement du développement au CCFD-Terre Solidaire, présente en vidéo un tour d’horizon de l’affaire et des réponses politiques qui y ont été apportées.

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