Un milliard d’affamés dans le monde. Quelques pistes de campagne…

Publié le 02.04.2009| Mis à jour le 08.12.2021

La faim est un phénomène qui n’est pas nouveau, mais que les manifestations du printemps 2008 dans une quarantaine de pays du Sud ont sortie de l’anonymat. Que s’est-il passé depuis un an de « crise alimentaire » ? Vers où allons-nous aujourd’hui ? Quels rôles et responsabilités de l’Union européenne dans la situation actuelle ?


UNE PERSONNE SUR SIX DANS LE MONDE SOUFFRE DE LA FAIM

La crise alimentaire a rappelé au monde le drame de la faim

Il y a un an, le monde assistait médusé à la multiplication des « émeutes de la faim » dans 38 pays en développement, à la suite de la hausse des cours mondiaux des matières premières agricoles. Ces manifestations contre la vie chère étaient le fait essentiellement de consommateurs, populations urbaines approvisionnées jusque-là par des importations à bas prix. Ces consommateurs pauvres venaient s’ajouter aux masses rurales silencieuses qui constituaient jusque-là la majorité des affamés : en 2007, les trois-quarts des 850 millions de personnes souffrant de la faim sont des paysans !
De fait, avec 963 millions de personnes recensées en décembre par la FAO, c’est une personne sur six dans le monde qui souffre de la faim de façon durable [[Le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde selon la FAO était de 850 millions début 2008, 925 millions en septembre, et 963 millions en décembre 2008, avec une tendance à la hausse dans les prochains mois, conséquence de la crise alimentaire]], une personne sur trois souffre de malnutrition. Trente millions de personnes meurent chaque année des suites de la faim, soit un chiffre plus élevé que celui des victimes de guerre. Cette situation marque la faillite de la communauté internationale pour lutter efficacement contre la faim, malgré les proclamations répétées notamment en 1974 [[Avec notamment la création du Fond d’investissement pour le développement agricole (FIDA) pour lutter contre les
effets de la récession économique sur la sécurité alimentaire.]], en 1996 [[Lors du Sommet Mondial de l’alimentation (Rome)]] et à travers le premier Objectif du millénaire pour le développement (qui fixait la division par deux du nombre d’affamés entre 2000 et 2015).

Le phénomène de la faim n’est donc pas nouveau. Mais ce que les émeutes ont révélé, c’est la dépendance alimentaire des pays vis-à-vis des importations agricoles pour approvisionner leur population. Dans le cas de l’Afrique, où se sont déroulées la majorité des émeutes, cette dépendance est paradoxale pour un continent disposant d’un potentiel foncier et hydraulique considérable, ainsi que d’un potentiel humain fabuleux puisque la population est majoritairement rurale. Mais cette agriculture familiale et vivrière, majoritaire mais silencieuse, est laissée à son sort par ses gouvernements (en Afrique subsaharienne, seuls 4% du budget en moyenne sont consacrés à l’agriculture ! [[malgré une population active à 60% agricole et une agriculture rapportant un tiers du PIB. A titre de comparaison, ce pourcentage est de 13% pour les pays européens. La Politique agricole commune (PAC) représente par ailleurs la principale politique économique de l’Union européenne, et 45% du budget européen.]]), tandis que les plans d’ajustement structurel imposés dans les années 1980 par le FMI et la Banque mondiale ont réduit la place de l’Etat à une peau de chagrin. Le renforcement de la société civile est ainsi un enjeu majeur pour une meilleure considération des populations par les gouvernements du Sud.

Mais cela ne saurait nous dédouaner, au Nord, de nos responsabilités.

VERS OU ALLONS NOUS AUJOURD’HUI ?

Des conditions qui restent favorables à la poursuite de la crise La récente baisse des prix mondiaux des matières premières agricoles a pu laisser croire à un retour à la « normale », propre à tourner la page des « émeutes de la faim ». Hélas, un examen honnête de la situation n’offre pas l’occasion de se réjouir. Tout d’abord, s’ils ont quitté les sommets, les prix restent élevés et légèrement supérieurs à 2007, ce qui signifie que les 75 millions de personnes supplémentaires ayant sombré dans la faim ne verront pas leur pouvoir d’achat se rétablir. Surtout, la baisse des prix est due à une excellente récolte céréalière mondiale (+5,3%) marquée par l’absence d’accident climatique, ce qui a peu de chance de se reproduire. Les populations vulnérables des pays du Sud ne doivent leur salut qu’à ce hasard, tandis qu’aucune mesure n’a été adoptée par la communauté internationale en terme de régulation des marchés pour éviter la volatilité des prix, de lutte contre la spéculation, ou d’investissement agricole. Et les indicateurs globaux restent à la hausse pour la prochaine décennie.

L’accaparement des terres, conséquence du manque de régulation du commerce mondial
Le phénomène d’accaparement des terres dans les pays du Sud, illustré par le cas médiatique de l’entreprise coréenne Daewoo ayant projeté de louer prés de la moitié des terres agricoles à Madagascar, est une conséquence directe de la crise alimentaire 2007-2008. En effet, la hausse brutale ainsi que la volatilité record des cours mondiaux ont effrayé les pays structurellement importateurs et disposant de réserves de devises (pays du Golfe, tigres asiatiques, Chine,…) qui avaient jusque-là recours au marché mondial pour s’approvisionner. Face aux prévisions d’une hausse des prix durable, et en l’absence de politiques et d’outils internationaux de régulation des marchés mondiaux, ces pays font aujourd’hui le choix de diversifier leur approvisionnement en ayant recours à l’achat de terre à l’étranger et à leur mise en culture pour leurs propres besoins. Ce phénomène est appelé à continuer et s’étendre dans les prochaines années. Des préoccupations sont permises quant aux rapports qui vont alors s’instaurer entre les investisseurs et les populations rurales locales.

Pourtant, des espoirs étaient nés…

Un des aspects positifs de la crise, si l’on peut dire, a été justement de réhabiliter un vocabulaire qui paraissait alors désuet, tel que « agricultures familiales », « production vivrière », ou « souveraineté alimentaire ». Les négociations OMC de juillet 2008 ont d’ailleurs échoué après avoir buté sur le désaccord entre les Etats-Unis et l’Inde sur une clause de protection réclamée par cette dernière dans l’éventualité de pics d’importations agricoles, susceptibles d’affecter les petits producteurs. Par ailleurs, lors du « Sommet de l’alimentation » de la FAO en juin 2008, 183 pays s’engageaient, malgré des annonces contradictoires et évasives en termes de stratégies et politiques à adopter, à investir durablement dans l’agriculture et à lutter contre la faim.

L’amer constat de la Réunion de Madrid : plus d’affamés, mais des promesses non-tenues
La Réunion de haut niveau de Madrid « la sécurité alimentaire pour tous », tenue fin janvier sous l’égide des Nations-Unies, a dressé un double constat mettant le holà aux enthousiasmes qui avaient pu être suscités. D’une part, le nombre de personnes affectées par la faim chronique est monté à 963 millions de personnes [[Chiffre fourni par la FAO en décembre 2008, susceptible d’évoluer à la hausse]] ; d’autre part, les annonces financières faites à Rome par les pays développés n’ont pas été tenues, avec seulement 10% des 22 milliards de dollars décaissés [[Allocution d’ouverture de Jacques Diouf, directeur de la FAO, à la Réunion de Madrid]]. La Réunion a été toutefois l’occasion de réaffirmer au plus haut niveau le Droit à l’alimentation [[A travers l’allocution d’ouverture d’Olivier De Schutter, rapporteur spécial des Nations-Unies sur le droit à l’alimentation, et le discours de clôture de Ban Ki Moon, secrétaire général des NU.]] ratifié par la majorité des pays à travers la Déclaration universelle des droits de l’homme. Mais cette affirmation reste dans une impasse, en l’absence de politiques de mise en oeuvre au niveau national. Par ailleurs, comme l’a souligné Olivier de Schutter dans un excellent rapport sur l’OMC sorti en mars, « le système actuel nous mène au désastre » [[Allocution d’ouverture d’Olivier De Schutter, rapporteur spécial des Nations-Unies sur le droit à l’alimentation.]], et le respect du droit à l’alimentation exige une remise à plat de certaines règles commerciales et des modèles économiques basés sur l’exportation, ainsi qu’une meilleure régulation des marchés mondiaux.

Nécessité d’ouvrir un espace de discussion : vers un Partenariat mondial pour l’agriculture et la sécurité alimentaire ?
La mise en place éventuelle d’un « Partenariat mondial pour l’agriculture et la sécurité alimentaire » a été au centre de la Réunion de Madrid. Ses contours et ses objectifs restent toutefois extrêmement flous aujourd’hui. Tel que proposé par la France lors du Sommet de Rome, ce partenariat mondial aurait pour objectif de « stimuler une action cohérente, durable, orientée vers des résultats, et efficace pour la situation actuelle et à venir d’insécurité alimentaire ». Il serait décliné en trois « piliers » :

· politique : pour une meilleure coordination et une plus grande cohérence des stratégies et des politiques internationales ayant un impact sur la sécurité alimentaire, notamment en matière de règles commerciales, de politiques structurelles, de régulation mondiale.

· scientifique : grâce à l’expertise scientifique et professionnelle déjà existante, et afin d’éclairer les décideurs sur les choix de long terme.

· financier : pour des mesures de sécurité sociale (bons alimentaires…) des populations les plus vulnérables, et pour une relance des agricultures dans les PED.

Soutenu par le Secrétaire général des Nations-Unies, cette proposition devrait être discutée tout au long de l’année 2009, pour un éventuel lancement à la fin de l’année. Si la proposition de créer de manière inédite un lieu de discussion et d’orientation réunissant l’ensemble des acteurs concernés – y compris la société civile – pour aborder des questions par nature multilatérales est extrêmement intéressante, la qualité de ce projet dépendra de l’ambition que pays et institutions voudront bien lui accorder.

ROLE ET RESPONSABILITES DE L’UNION EUROPEENNE

En cette veille d’élections européennes, et l’hôte de ce colloque étant lui-même député européen, il convient de s’interroger sur le rôle et les responsabilités de l’Union Européenne dans cette crise. La Commission européenne vient de lancer en mars 2009 les procédures de déblocage du fameux « 1 milliard d’euros » pour la relance agricole d’urgence, qui concerne une cinquantaine de pays pour la période 2009-2011. Cette initiative est la bienvenue, en dépit d’interrogations autour du respect des principes de la Déclaration de Paris sur la prévisibilité et l’appropriation de l’aide par les pays bénéficiaires. Néanmoins, il est regrettable que l’aide dédiée à la sécurité alimentaire dans les programmes du Fond européen de développement reste faible, alors que le Xème FED vient d’être discuté en pleine crise alimentaire. L’initiative de la Commission européenne ne doit pas non plus éluder la question du respect des engagements des Etats-membres européens à porter à 0,7% de leur PIB leur aide au développement, et à valoriser l’aide à l’agriculture à l’intérieur de cette enveloppe (3% aujourd’hui seulement !).

Surtout, l’Union européenne ne pourra pas faire l’économie d’une révision de certaines de ses politiques affectant gravement la sécurité alimentaire des pays du Sud. Face à « l’impératif moral » [[Discours de clôture du premier ministre espagnol Zapatero, réunion de Madrid]] de lutter contre la faim et la pauvreté, il est notamment nécessaire de réviser les politiques européennes qui affectent la sécurité alimentaire des pays du Sud. On peut distinguer schématiquement quatre catégories.

Exportations, dumping et concurrence déloyale
Première catégorie, sans doute la mieux connue du fait des nombreuses critiques des ONGs : les exportations vers les pays tiers à des prix inférieurs au coût local de production. Les restrictions aux importations de pommes de terre en Guinée, ou de bas morceaux de poulet au Cameroun (productions subventionnées de manière indirecte en Europe !) ont montré la capacité des filières locales à se développer dés lors qu’elles ne sont plus en concurrence déloyale. D’autre part, il est urgent de supprimer les restitutions aux exportations au plus vite. Même si l’Union européenne a un recours moindre à ces restitutions que par le passé, elle doit respecter sa promesse de supprimer cet outil qui permet l’exportation de produits agricoles dans les pays du Sud à un prix inférieur au coût de production européen. L’UE réutilise par exemple ces restitutions pour le lait depuis décembre 2008.

L’Europe, grand marché des monocultures d’exportation au Sud
Deuxième catégorie de politiques néfastes : la création de marchés rentables en Europe qui suscitent des monocultures d’exportation dans les pays en développement. C’est bien sûr le cas du soja pour l’alimentation du bétail européen, qui est importé d’Amérique latine où il est cultivé selon un modèle agroindustriel intensif, à l’origine de nombreux déplacements des populations locales et de graves dégâts environnementaux. Pourtant, l’UE peut, et doit, produire elle-même ses protéines végétales. A l’échelle nationale, même si cela reste insuffisant, les déclarations du ministre de l’agriculture français le 23 février dernier vont d’ailleurs dans le bon sens. Plus récemment, l’adoption en décembre 2008 d’un objectif ambitieux d’incorporation de 10% d’agrocarburants d’ici 2020 pour les transports européens participe à la même logique, puisque cette politique repose en grande partie sur les importations. La création de ce marché rentable attise les projets de monocultures énergétiques d’exportation au détriment des agricultures familiales et vivrières locales, telles que l’huile de palme en Indonésie ou en Colombie, ou la canne à sucre au Brésil. De nombreux projets d’investissement sont en cours en Afrique.

Multiplication des accords bilatéraux de libre-échange
Troisièmement, la politique européenne de multiplier les accords de libre-échange avec les pays du Sud est extrêmement préoccupante. En particulier, les Accords de partenariat économique que l’Union européenne est en voie d’imposer aux 77 pays Afrique-Caraïbes-Pacifique est symptomatique. Les APE imposent aux pays ACP, au nom de l’OMC, l’ouverture de leurs marchés aux exportations européennes, en concurrence directe avec les filières locales. Une exception pour les produits agricoles est nécessaire, au-delà de ce qui est discuté actuellement autour de quelques filières. De nombreux accords bilatéraux sont en discussion aujourd’hui (avec l’Amérique centrale, la CAN, l’Asean, etc), dont le degré de libéralisation va beaucoup plus loin que ce qui est discuté dans le cadre OMC.

L’Europe doit renouer avec la régulation des marchés
Enfin, c’est plus généralement le soutien de l’Union européenne à la libéralisation de l’agriculture sur lequel il faut revenir. Au niveau communautaire, cela se traduit par exemple par la préparation à la sortie des quotas laitiers d’ici 2014, afin de « gagner en compétitivité sur les marchés mondiaux ». Mais cela s’est vu aussi par l’absence de volonté de l’UE de continuer à jouer le rôle d’un des « stockeurs » mondiaux en matières premières agricoles, l’absence de stocks mondiaux ayant été à la cause de la spéculation spectaculaire au cours de l’année dernière.

CHANGER DE SYSTEME, EN SE BASANT SUR LE DROIT A L’ALIMENTATION

La situation de la faim dans le monde d’aujourd’hui et de demain reste donc extrêmement préoccupante. Mais ce n’est pas une fatalité. La crise actuelle peut constituer une occasion unique de transformer les conditions existantes. Pour citer Olivier De Schutter [[Mars 2009]] : « le système existant doit être repensé en profondeur : il mène non seulement à l’existence d’un milliard de personnes affamées mais aussi à des taux comparables de personnes obèses, en surpoids ou mal alimentées. Il n’est pas soutenable dans ses dimensions sociales et environnementales. Il doit être revu, et corrigé ».

Le droit à l’alimentation est un outil essentiel pour guider les Etats et les organisations internationales dans leurs réactions à la crise alimentaire mondiale. Le droit à l’alimentation ne contient certes pas d’obligation de résultat, mais constitue une obligation de processus : il doit constituer une grille d’analyse des différentes politiques en cours.

D’autre part, la spécialisation des pays dans quelques cultures d’exportation, la libéralisation de l’agriculture, la dérégulation des marchés mondiaux, ont montré non seulement leur incapacité à lutter contre la faim, mais aussi leur responsabilité dans la situation actuelle.

L’Union européenne a participé à cette situation. Il est capital que le prochain Parlement européen revienne sur ces orientations libérales de l’Europe.

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