Un révélateur des limites du modèle dominant

Publié le 13.08.2013

L’accaparement de terres et de ressources ne cesse de croître partout sur la planète. Il constitue une atteinte aux droits des populations locales.


En juillet 2008, Daewoo Logistics signe avec le gouvernement de Madagascar un contrat d’exploitation de 1,3 million d’hectares de terres. Le groupe sud-coréen compte cultiver du maïs et des palmiers à huile sur l’équivalent de la moitié des terres arables du pays. Le contrat est annulé l’année suivante. Dans le même temps, le président signataire est évincé du pouvoir. Cependant, l’événement donne le « la » à un phénomène sans cesse croissant depuis lors : l’accaparement de terres et de ressources naturelles au détriment des populations locales. Cette réalité est difficile à apprécier en raison du manque de transparence des contrats d’acquisition. Un réseau d’ONG1 a identifié 400 millions d’hectares accaparés dans le monde à des fins diverses, sur la base d’un recensement incomplet à ce jour. Chaque année, l’équivalent de l’Italie serait ainsi concerné en Afrique, qui est le continent le plus affecté.

Ports et barrages

Comment se manifeste ce phénomène ? Il peut s’agir d’un accaparement de terres agricoles au sens strict, par occupation directe du territoire avec des machines et l’expulsion des habitants. La ressource en eau peut être détournée, comme c’est le cas au Mali. L’accaparement peut avoir pour but de développer des infrastructures : ports en eau profonde (comme le projet de complexe industrialoportuaire de Kribi au Cameroun), barrages gigantesques (un projet en cours sur le fleuve Congo), etc.
Les industries d’extraction minière, voire l’implantation d’activités industrielles (c’est le cas de Michelin en Inde) sont une autre cause importante d’accaparement. Enfin, l’annexion de zones maritimes immenses par des États étrangers complète la liste. Les conséquences des accaparements sur les populations ont toutes à voir avec des questions de droit. Ainsi, le droit à l’alimentation et le droit à l’eau sont remis en question en raison de la disparition des terres agricoles et des autres ressources du territoire (celles de la forêt notamment). Les droits des travailleurs sont bafoués quand les petits agriculteurs deviennent ouvriers agricoles sur leurs propres terres, perdent leur qualité de vie antérieure et reçoivent en échange des salaires dérisoires, sans syndicats pour les défendre. Les droits d’expression sont criminalisés quand les révoltes des populations se terminent en bains de sang et le quotidien des habitants militarisé, en raison de la présence de milices armées pour garder les terres spoliées.

Des terres irrigables en péril au Mali
Au Mali, l’accaparement des terres n’est pas un phénomène nouveau, mais son accélération à grande échelle constitue une évolution marquante des dix dernières années, notamment dans la zone de l’Office du Niger au Mali : une région promise à devenir le grenier de l’Afrique et qui n’a cessé d’être un instrument politique au gré des gouvernements. Devenu en 1994 un « établissement public et commercial », l’Office du Niger amorce ainsi la privatisation de ses terres par différents acteurs.
Ce processus s’accélère avec les crises du crédit immobilier et la crise alimentaire, les terres étant devenues une valeur refuge et une source d’approvisionnement agricole. Un exemple en est la première convention à grande échelle signée par un investisseur étranger, le Libyen Mouammar Khadafi, connue sous le nom de Malibya pour 100 000 ha de terres agricoles.
Mal informée et rarement consultée, la population subit aujourd’hui les premières conséquences de cette remise en question par l’État malien d’un modèle agricole fondé sur l’agriculture familiale. L’accès au foncier et l’accès à l’eau des exploitations familiales est mis à mal. Sur le terrain, malgré menaces et pressions, la résistance s’organise avec l’appui de la société civile, notamment dans le cadre du Forum paysan de Kolongo, village directement touché par les travaux de Malibya. Actions judiciaires, plaidoyer, interpellations des élus, interventions de personnalités sont autant d’initiatives mises en œuvre afin de stopper cette dépossession et d’assurer un avenir digne aux communautés..

Prix agricoles à la hausse

Pourquoi l’accaparement est-il en telle croissance ? Le phénomène est lié à financiarisation des terres et des ressources naturelles. La crise des subprimes en 2008 a réorienté les investissements peu sûrs des secteurs de la finance et du logement vers l’agriculture. Les prix y sont nettement orientés à la hausse et offrent des promesses de rémunérations juteuses. Résultat : les investisseurs achètent des terres arables et y développent des productions agricoles à très large échelle. D’autres activités à très forte rentabilité comme les industries extractives sont également concernées.
Qui sont ces investisseurs ? Leur identification est difficile en raison de leur grand nombre et de l’opacité des contrats. Les acteurs principaux directs sont les élites locales des pays concernés (institutions financières, entreprises ou élus), voire l’État lui-même. Derrière ceux-ci, d’autres acteurs indirects tirent bien souvent les ficelles. Il s’agit d’investisseurs financiers étrangers divers (fonds d’investissement, fonds de pension, assurances, banques) et des États étrangers via leur banque d’investissement international.
Il est compliqué d’identifier un acteur particulier dans des montages qui concernent souvent une chaîne de responsabilité faisant interagir de nombreux intervenants. Une chose est sûre : ce phénomène continue de croître en dépit de la mobilisation accrue des sociétés civiles pour y faire face.

Jean-Paul Rivière

avec le CCFD - TERRE SOLIDAIRE

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