Une crise alimentaire majeure sévit dans la Corne de l’Afrique

Publié le 28.07.2011

Une crise alimentaire majeure sévit dans la Corne de l’Afrique et met en danger la vie de plus de 12 millions de personnes. La Somalie, le Kenya, l’Ethiopie, Djibouti, l’Ouganda, le Sud-Soudan sont directement menacés… autant de pays qui depuis plus de 20 ans se retrouvent régulièrement sous les projecteurs des médias pour cause de crises humanitaires, de guerres civiles, d’instabilité politique récurrente.


L’urgence médiatique passée, cette région retombe dans l’oubli alors même que les problèmes restent entiers. En première ligne, la France tente, dans le cadre de son mandat de présidence du G20, d’entraîner les dirigeants politiques dans la construction d’une réponse au drame qui se joue dans la Corne de l’Afrique.

Passée la stupeur provoquée par les terribles images des camps de réfugiés somaliens et, sans revenir sur les famines qui ont durement frappé la région dans les années 1980 et 1990, il convient de rappeler que la situation actuelle n’est pas nouvelle et finalement sans surprise. En effet, les Nations Unies, le Programme Alimentaire Mondial et de nombreuses ONG alertaient depuis de nombreux mois sur une situation jugée critique et prédisaient le chaos que l’on connait aujourd’hui. (1)

Selon les dernières estimations des agences de l’ONU, ce sont 12.4 millions de personnes qui souffrent aujourd’hui de la faim dans la Corne de l’Afrique : l’état de famine (2) a été décrété dans cinq régions de la Somalie ; le Nord du Kenya et le Sud de l’Ethiopie connaissent une très forte insécurité alimentaire ; et selon l’ONU, l’Ouganda pourrait être le prochain pays touché par la famine.

Un somalien sur trois souffre aujourd’hui de la faim et en juillet 2011, le gouvernement éthiopien estimait que 4,5 millions de personnes avaient désormais besoin d’une assistance alimentaire, soit 40% de plus en un an. Les enfants sont les premières victimes de ce fléau. Les taux de malnutrition enfantine ont explosé et on estime que ce sont plus de deux millions d’enfants qui sont aujourd’hui confrontés et menacés par de graves carences alimentaires.

La situation est donc critique à court et moyen terme et l’on sait d’ores et déjà que le bilan humain de cette crise alimentaire sera lourd.

Depuis près de 20 ans, les partenaires africains du CCFD-Terre Solidaire mènent des projets dans la Corne de l’Afrique qui visent notamment à soutenir la petite agriculture et à assurer la souveraineté alimentaire. Le CCFD-Terre Solidaire porte également ce combat dans les espaces internationaux de discussion et de négociation (Comité pour la sécurité alimentaire de la FAO, G20 Agricole, …). La souveraineté alimentaire est ainsi, et depuis toujours, au cœur de l’engagement du CCFD-Terre Solidaire. Ce sont ces expériences, à la fois de terrain et de plaidoyer, qui nous permettent aujourd’hui de dresser une analyse de la crise.

Il est nécessaire d’affirmer que toute réponse durable à la crise doit avant tout passer par une approche régionale de la situation. La Somalie est à ce jour le pays le plus touché mais ses voisins sont dans une situation également très difficile. Prendre des mesures d’ampleur pour une zone limitée n’enraillera pas le phénomène de contagion observé. L’interdépendance des situations, accentuée par les mouvements de population, doit obliger la communauté internationale à se mobiliser  pour l’ensemble de ces pays.

Une approche transversale sur les facteurs ayant amené à la crise alimentaire qui affecte des millions de personnes depuis plusieurs mois est également déterminante. Le conflit somalien et la sécheresse, pointés du doigt, ont à coup sûr été des éléments déterminants. Ils ont favorisé l’éclatement d’une crise qui s’explique également par de nombreux facteurs structurels, et particulièrement l’abandon du secteur agricole, que le CCFD-Terre Solidaire et ses partenaires dénoncent depuis de nombreuses années.

Recommandations du CCFD-Terre Solidaire

– Créer les conditions pour la recherche d’une solution globale au conflit sévissant depuis plus de 20 ans en Somalie, et s’assurer que le conseil de sécurité de l’ONU prenne des mesures pour s’assurer du respect effectif de l’embargo sur les armes qui pèse sur le pays.

– Débloquer rapidement les fonds supplémentaires face à l’urgence. Malgré les alertes répétées des Nations Unies depuis octobre 2010, la communauté internationale n’a que trop tardé.

– Respecter les engagements précédents d’aide et tout particulièrement dans le secteur agricole.

– Au-delà de l’urgence, agir durablement pour la sécurité alimentaire dans la région. La situation d’aujourd’hui n’est que le reflet d’un désinvestissement croissant dans le secteur agricole et du manque de soutien à l’agriculture familiale, seule à même d’assurer la souveraineté alimentaire dans la zone.

– Mettre en place des mesures concrètes pour lutter contre la volatilité des prix agricoles (stocks, régulation des marchés)


ANALYSES

Une sécheresse record
La région connait des périodes récurrentes de sécheresse dont le changement climatique ne fait qu’accentuer la sévérité. Ainsi, la Corne de l’Afrique a connu en 2010-2011 deux saisons consécutives de précipitations nettement inférieures à la moyenne, ce qui a gravement affecté la production agricole, épuisé les ressources pastorales et accentué la mortalité du bétail. Selon le Bureau de coordination des Affaires humanitaires de l’ONU (OCHA), «On n’a pas vu de telle sécheresse depuis 60 ans»-(Elisabeth Byrs, porte-parole).

Le premier épisode de sécheresse, en octobre-novembre 2010, a fortement affecté les récoltes du mois de début 2011 et le bétail. Au printemps, un épisode encore plus sévère, avec des pluies  30% inférieures à la moyenne de 1995-2010, dans une région déjà particulièrement aride, ont entrainé des sous-récoltes, une surmortalité du bétail et un pic des prix des denrées alimentaires.

Le chaos politique en Somalie
Fruit d’une guerre civile qui dure depuis plus de deux décennies, la situation politique en Somalie donne à la crise alimentaire une résonnance particulière. Sur le papier, le pays est dirigé par un gouvernement fédéral de transition, reconnu par la communauté internationale mais sans grande emprise sur le territoire. De plus, il est empêtré dans des divisions internes qui empêchent son fonctionnement effectif. Soutenu par les soldats de l’AMISON (3) le gouvernement de transition est en guerre ouverte contre les clans et groupes armés qui contrôlent une grande partie du pays. La région centre-sud qui est la plus affectée par la sécheresse et la famine est aussi celle où les affrontements armés sont les plus intenses avec des conséquences désastreuses. Dans son rapport au conseil de sécurité sur la Somalie, le secrétaire général des Nations unies déclarait en avril dernier, que 2,4 millions de somaliens dépendent de l’aide humanitaire à cause du conflit. Une aide parfois détournée ou stoppée par les groupes armés au grand dam des populations.

La crise alimentaire vient encore rappeler l’urgence de trouver des solutions au conflit somalien qui a une dimension régionale évidente. Or, la communauté internationale ne peut pas se targuer de s’être investie dans la recherche d’une solution globale et durable au problème, plusieurs pays se limitant à percevoir la Somalie comme un élément de la lutte globale contre le terrorisme et la piraterie.

L’abandon de l’agriculture africaine
La récurrence des famines, la persistance de la faim et les crises alimentaires récentes soulignent l’urgence d’assurer la souveraineté alimentaire et ce particulièrement sur le continent africain. La communauté internationale commence peu à peu à se mobiliser, les annonces se multiplient ces dernières semaines. Mais encore faut-il que les engagements soient suivis d’effet.

Le défi de la sécurité alimentaire pour les pays du Sud a en effet déjà fait l’objet d’annonces de financement, de programmes et autres plans d’action dont l’efficacité a été mise à mal, faute de suivi des engagements.

Suite à la crise alimentaire mondiale et aux émeutes de la faim en 2007-2008, et ne pouvant plus ignorer la situation, les Etats membres du G8 ont par exemple annoncé débloquer une aide de 22 milliards de dollars sur trois ans dans le cadre de l’Initiative de l’Aquila pour la sécurité alimentaire planifiée sur 2009-2012. Un bilan intermédiaire rendu à la veille du G8 de Deauville, mi-mai 2011 fait apparaître que seulement 22% des sommes ont été réellement décaissées, et 26% sont « en voie de l’être ».

L’OCDE s’est également alarmée en avril 2011 de perspectives « préoccupantes » et d’un ralentissement concernant l’évolution de l’aide publique au développement (APD). A cela s’ajoute la baisse des financements tout particulièrement dans le secteur agricole : l’APD consacrée à l’agriculture a ainsi chuté de 17% à 4% entre 1980 et 2006.

De mêmes, les investissements publics dans l’agriculture (déjà faibles) tendent à diminuer dans la majorité des pays : en Afrique subsaharienne, la part des budgets nationaux consacrés à l’agriculture est en moyenne de 4% alors que 60% de la population vit de ce secteur.

Face à la crise de la Corne de l’Afrique, il est impératif d’agir à deux niveaux :

  • La communauté internationale doit répondre rapidement aux appels du Programme Alimentaire Mondiale et de l’agence des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO). Ce sont 300 millions de $ d’ici septembre 2011, et 1.6 milliards $ pour les 12 prochains mois, qu’il faut réunir pour pouvoir répondre à l’urgence.
  • Un véritable plan pour la souveraineté alimentaire dans la Corne de l’Afrique doit être mis sur pied, en lien avec les dirigeants, les agences de l’ONU et les ONG, afin de soutenir l’agriculture familiale et pastorale et lui permettre de s’adapter aux conséquences du changement climatique. Les financements consacrés doivent faire l’objet d’un suivi régulier et être en adéquation avec les montants prévus et annoncés.

Pour une analyse plus complète de l’exercice de redevabilité du G8 : « Partenariat Afrique-G8 : quels enjeux ? », mai 2011

Accaparements des terres, agrocarburants, … menaces supplémentaires à la souveraineté alimentaire et à la petite agriculture
Il est d’autant plus urgent d’agir en ce sens étant donné l’impact qu’ont sur le secteur agricole africain deux tendances inquiétantes que sont le développement des agrocarburants et des accaparements des terres.

L’achat ou la location par des entreprises transnationales, des pays tiers ou des fonds d’investissement de terres dédiées au développement de l’agriculture intensive d’exportation, comme la production d’agrocarburants, destinés principalement aux marchés du Nord, empêchent les paysans africains de développer leur secteur agricole et de répondre aux besoins croissants des populations.

Certains pays de la Corne de l’Afrique touchés sont déjà la cible de ce type d’investissements (Ethiopie, Kenya) et la crise qui sévit actuellement pourrait pour certains se traduire en opportunité économique… Il convient donc d’être particulièrement vigilant sur les investissements agricoles dans la Corne de l’Afrique, et les orienter vers le soutien à l’agriculture familiale, seule à même de répondre au défi alimentaire.

Les impacts croissants liés au changement climatique posent également un nouveau défi à la production alimentaire mondiale. La priorité de soutien à l’agriculture familiale faite par les organisations de la société civile internationale permettrait de développer un modèle agricole performant pour l’apport d’alimentation au niveau local, en adéquation avec le territoire. La production agricole des petits fermiers pourrait par ailleurs être doublée dans les dix prochaines années en utilisant des pratiques dites d’ « agroécologie » (4) comme démontrés par des projets pilotes menés par la FAO. Le développement du secteur agricole dans la Corne de l’Afrique doit donc prioriser les pratiques de résilience agricole, c’est-à-dire renforcer les capacités d’adaptation aux épisodes climatiques, la zone étant soumise à des périodes de sécheresse de plus en plus rudes. Cela implique également pour les éleveurs de modifier leurs pratiques culturales (cultures fourragères) et politiques (négociations entre les tribus pour la répartition de l’usufruit des pâturages, etc.) Il est déterminant de soutenir une petite agriculture, en lien avec son territoire, afin d’assurer la souveraineté alimentaire.

La volatilité des prix agricoles
Après un premier pic en 2008, puis une accalmie, les prix des denrées alimentaires sont repartis à la hausse ces derniers mois. Les prix des matières premières agricoles ont ainsi augmenté en moyenne de 29% depuis 2010. La crise alimentaire dans la Corne de l’Afrique a accentué cette hausse, et les denrées de base sont aujourd’hui inaccessibles pour la majorité de la population. Des prix record ont ainsi été enregistrés dans certains marchés de détail en Somalie, notamment à Mogadiscio et à Marka où les prix du sorgho rouge en avril dernier étaient 150 à 180% plus élevés qu’il y a 12 mois. Sur les trois derniers mois, les prix de produits de base comme le riz ont augmenté de 300%. Même  phénomène en Ethiopie où en mai dernier, les prix de gros du maïs sur les principaux marchés urbains de Nairobi et de Mombasa étaient 60 à 85% plus élevés qu’en mai 2010. Les prix très élevés des denrées alimentaires et du carburant sont un fardeau supplémentaire pour les ménages pauvres qui ont de plus en plus de difficultés à accéder à la nourriture dans la Corne de l’Afrique

La succession de fortes hausses et baisses du prix des denrées agricoles est devenue une constante du commerce mondial depuis quelques années. Cette volatilité des prix met à mal la situation alimentaire des pays du Sud, et place les agriculteurs et les consommateurs dans l’incertitude. Une situation d’autant plus insupportable que des millions de personne sont actuellement menacées par la crise alimentaire.

Le plan d’action du G20 Agricole, la solution ?
Le G20 Agricole organisé sous présidence française en juin dernier s’était engagé à s’attaquer aux causes de la volatilité des prix sur les marchés agricoles. Cependant le plan d’action adopté n’apporte pas les mesures nécessaires pour répondre au défi alimentaire mondial.

La situation dans la Corne de l’Afrique met ainsi en avant la nécessité de mettre en place immédiatement des stocks alimentaires d’urgence au niveau régional , notamment pour faciliter l’approvisionnement du PAM, mais également des stocks de régulation gérés de manière transparente, à même de lisser les prix à moyen terme. Seule une étude de faisabilité de projets pilotes sur les stocks d’urgence a été annoncée fin juin, bien loin donc de répondre à l’urgence.

La priorité est d’appuyer les pays en développement afin qu’ils constituent eux-mêmes des réserves. Le rapport de la FAO sur le gaspillage agricole et alimentaire (5) dresse un constat accablant  jusqu’à 40 % des récoltes en Afrique sont perdues faute de moyens de stockage adéquats. De nombreux pays voient leur facture alimentaire grimper en flèche alors même qu’une partie de leur récolte doit être jetée. On estime ainsi en Afrique Subsaharienne les pertes post-récoltes à 4 milliards de dollars, soit l’équivalent des importations en céréales de la région !

Il en va de même pour la régulation des marchés agricoles. La stabilisation des prix des matières premières agricoles requiert ainsi une réglementation plus stricte des marchés. Il est indispensable d’interdire la spéculation financière sur les marchés virtuels et d’encadrer les pratiques sur les marchés physiques, en obligeant les investisseurs à déclarer et enregistrer la totalité des transactions sur les marchés de matières premières, et en imposant des «limites de positionnement ». Ce dossier, désormais dans les mains des ministres des finances du G20 qui se réuniront en septembre, doit faire l’objet de mesures concrètes et immédiates. Les membres du G20 doivent fortement encourager ces cadres de réglementation afin notamment de limiter les activités des investisseurs non-commerciaux – tels que les hedge funds, les fonds indiciels ou les banques – et ainsi éviter les bulles spéculatives qui exacerbent la volatilité des prix et menacent le droit à l’alimentation des consommateurs pauvres et des petits agriculteurs.

Pour une analyse plus complète du G20 Agricole : «  G20 Agricole, Des paroles aux actes pour agir durablement contre la faim, Propositions et recommandations du CCFD-Terre Solidaire », juin 2011

Maureen Jorand,
Chargée de mission plaidoyer Souveraineté alimentaire
CCFD-Terre Solidaire

(1) Notamment : appel de John Holmes, Secrétaire général adjoint de l’ONU pour les affaires humanitaires, le 13 juillet 2010 ; appel de l’ONU pour des fonds d’urgence à destination de la Corne de l’Afrique le 3 novembre 2010 ; appel de l’UNHCR pour une mobilisation de la communauté internationale le 8 mars 2011 ; puis appels réguliers des différentes agences de l’ONU – FAO, OCHA, UNHCR, PAM – depuis juin 2011

(2) la famine est déclarée lorsque les taux de malnutrition aigüe des enfants dépassent 30%, que plus de deux personnes sur 10.000 meurent par jour et que la population n’est pas en mesure d’avoir accès à la nourriture

(3) Mission de l’Union africaine en Somalie

(4) Agroécolgie et droit à l’alimentation, Rapport présenté à la 16ème session du Conseil des droits de ‘homme de l’ONU [A/HRC/16/49], 8 mars 2011

(5) Global food losses and food waste, FAO, mai 2011

 

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