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Vingt ans après la mort de Dom Helder Camara, son message continue de nous inspirer

Publié le 27.08.2019| Mis à jour le 08.12.2021

Surnommé « l’évêque des bidonvilles », Dom Helder Camara demeure une figure de l’action non violente et d’une nouvelle façon de vivre l’Eglise à travers la création des communautés ecclésiales de base.
Walter Prysthon, aujourd’hui responsable du service Amérique latine, et qui l’a connu personnellement quand il était étudiant, témoigne de l’actualité de son engagement dans la lutte contre les injustices.


La pauvreté pour Dom Helder n’était pas une fatalité. Il la voyait comme une injustice, reposant sur un système qu’il fallait changer. Pour autant, ce n’était pas une considération idéologique. Dom Hélder avait fait des pauvres de Recife et du monde leurs frères. Ainsi, dans cette fraternité, il les accueillait, les écoutait, et éventuellement dans ses voyages autour du monde, il leur prêtait sa voix. C’était un engagement qui prenait source dans l’évangile.

Tout le monde connaît sa célèbre phrase : « Quand je donne à manger aux pauvres, on dit que je suis un saint. Quand je demande pourquoi, on dit que je suis communiste ».

Par là, Dom Hélder parlait non seulement des perceptions qu’on avait de lui – « saint » et « communiste » – mais de deux actions inextricables : il fallait s’occuper de l’humanité des hommes, en leur donnant à manger. En même temps, il était conscient que simplement donner à manger n’était pas suffisant pour ne pas les laisser succomber à l’injustice de la faim et des inégalités. Il fallait se demander pourquoi ; connaître et dénoncer les causes de la pauvreté.

Et que dirait-on de Dom Hélder quand il se serait posé du côté des pauvres d’aujourd’hui ? Ces pauvres aux multiples visages –les migrants refoulés d’Europe et des Etats Unis, les réfugiés de guerres qui continuent à ravager la planète, les indigènes spoliés de leurs terres pour donner place à des industries minières à ciel ouvert au Guatemala ou ailleurs dans le monde (à Madagascar par exemple), les paysans empêchés de semer sur leur terre pour que des grands monocultures s’installent pour produire la matière première à des agro-carburants, les travailleurs esclaves au Brésil… (oui, l’esclavage est encore d’actualité au Brésil – et le combat de la Commission Pastorale de la Terre, créée en 1975 avec l’appui de Dom Hélder, pour éradiquer ce fléau est exemplaire), … Que dirait-on de lui quand il dénoncerait les méfaits d’un modèle de développement injuste, qui accroît les inégalités, opprime et tue des êtres humains ? Que dirait-il aujourd’hui face à l’Amazonie qui brûle?

« Communiste », cet adjectif qui au temps de Dom Hélder (et des dictatures militaires en Amérique latine) a amené tant de gens à la prison et à la torture, est aujourd’hui « démodé » ou, en tout cas, il n’est plus de mise. Mais les efforts pour faire taire les voix prophétiques et disqualifier l’action de ceux et celles qui résistent et combattent les injustices n’ont pas cessé. Peut-être, serait-il encadré dans une des lois anti-terroristes qui se mettent en place ici et là et qui dans certains pays d’Amérique latine amènent des militants sociaux ou des syndicalistes à la prison. En Amérique latine (et ailleurs dans le monde), et plus particulièrement au Brésil, on assiste à une « criminalisation » de la contestation.


Une nouvelle vision de l’Eglise

La spiritualité qui mobilisait Dom Hélder reste d’actualité dans les communautés ecclésiales de base. Moins visibles, moins exposées aux polémiques, elles n’en restent pas moins vivantes et tout aussi fondamentales pour que des chrétiens se mettent en route en suivant l’exemple de Jésus. Les engagements de Dom Hélder se poursuivent dans ceux de milliers d’hommes et de femmes qui ont été accompagnés par l’Eglise de Recife dans leur prise de conscience sur les causes des inégalités et dans leur action pour transformer les réalités d’injustice.

Ces réalités, hier comme aujourd’hui, doivent continuellement interpeller l’Église. Une Église invitée à être témoin de pauvreté et solidaire des pauvres.

Luiz Alberto Gomez de Sousa, sociologue brésilien, qui a collaboré de près avec Dom Hélder de par son travail en tant que laïc engagé dans l’Action Catholique (il était membre de la JUC – Jeunesse Universitaire Catholique), parle de Dom Hélder comme un évêque sans frontières, un évêque pèlerin, investit d’une responsabilité universelle, plutôt qu’un gardien du temple. Son « temple », son archidiocèse était confié à une équipe compétente de collaborateurs, dont un grand nombre de laïcs. Son exemple devrait inspirer davantage l’ensemble de l’Église.

Dom Hélder nous a appris la solidarité, la fraternité. Il a insisté sur la réalité de notre destin partagé comme humanité : Sud et Nord travaillant ensemble pour une même cause. Celle des pauvres. Il disait ne pas croire à un développement qui ne soit pas conduit par le peuple. Il ne perdait jamais de vue la force et fécondité des pauvres (les minorités abrahamiques).

Au CCFD Terre-Solidaire, où je travaille actuellement, on cultive cette même perspective ; par l’importance que l’on accorde aux relations de partenariat avec des acteurs de transformation sociale présents sur le terrain, enracinés dans la vie des populations les plus pauvres.

L’Evangile et une relation privilégiée avec les pauvres

L’évangile et une relation filiale avec Dieu étaient les sources de la force de Dom Hélder. C’était aussi le point de départ pour une relation privilégiée avec les pauvres. C’est en poursuivant ses intuitions que nous pouvons faire vivre le message de Dom Hélder. Comme lui, nous sommes invités à porter des convictions.

Cette fraternité avec les pauvres était représentée par son attitude d’écoute et d’accueil. Nous sommes invités à garder toujours la porte ouverte et être prêts à écouter les pauvres et les groupes socialement marginalisés d’aujourd’hui :les étrangers (les migrants), les femmes, les jeunes… Et à leur faire une place dans la société et dans l’église, en travaillant en même temps pour que des politiques publiques inclusives – qui viennent réparer des injustices – soient mises en œuvre.

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Dom Helder Camara avec des bénévoles et des salariés du CCFD en 1979

Le sens du collectif

Justement, à propos de politique, une autre intuition féconde de Dom Hélder qui mérite d’être poursuivie était la création de sujets collectifs. Il en a été ainsi pour la création de la Conférence Episcopale Brésilienne, première dans le genre, ou de la conférence des évêques latino-américains ou encore des nombreuses initiatives qu’il aidait à lancer et animait de son charisme. Dom Hélder était toujours là à articuler des efforts. Dans tous les espaces qu’il aidait à créer et dans son rôle en tant que pasteur, Dom Hélder adoptait toujours un esprit de service. C’est une attitude et une vision différente de la politique et du pouvoir.

Pouvoir (ou plus exactement, pouvoirs) que Dom Hélder était amené à fréquenter. Toujours, au service de la cause de la paix, du respect des droits humains, de la justice sociale.
Comme lui, nous ne devons pas nous lasser d’interpeller les autorités. Il est peut-être intéressant de souligner que, à bien des égards, Dom Hélder était un précurseur de méthodes aujourd’hui très en vogue dans le milieu de la solidarité internationale comme le plaidoyer et le lobbying.
Dans ses discours en Europe, il plaidait toujours la cause du Tiers-Monde, en rappelant les responsabilités du Premier Monde. Il invitait les citoyens français et européens à s’engager ici pour transformer la réalité du monde. Aujourd’hui, premier ou tiers monde ne sont pas dans le langage de la mondialisation. Reste néanmoins que l’interdépendance entre les pays s’est accrue. Et si on utilise davantage les expressions « Nord » et « Sud », on n’omet pas de diagnostiquer des « nords » au Sud, constitués par l’extrême richesse de certains, et des « suds » au Nord, par les réalités de pauvreté qui ne sont pas étrangères à des pays comme la France.

L’Eglise du Brésil et d’Amérique latine qui ont tant contribué à la formation de leaders sociaux, nous encourage à poursuivre ce chemin.

Reconnaître les signes d’espérance présents dans notre réalité

Même si l’époque que nous vivons ne semble pas porteuse pour l’utopie de la justice sociale, il faut savoir reconnaître et accompagner les signes d’espérance présents dans notre réalité. Ainsi, l’Eglise en Amérique centrale assume une voix prophétique pour défendre l’intégrité de la Création et les peuples indigènes menacés. Comme aurait dit Dom Hélder, « quand les problèmes deviennent absurdes, les défis deviennent passionnants ».

Walter Prysthon

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Des jeunes indigènes wampis jouent sous la pluie en Amazonie, ©JC Gerez/CCFD-Terre Solidaire

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