Inde : elles défendent leurs droits
L’Inde est l’un des pays les plus dangereux au monde pour les femmes. Qu’elles appartiennent à la classe urbaine éduquée ou vivent en milieu rural, elles subissent de nombreuses discriminations de genre : violences domestiques, harcèlement dans l’espace public. Les traditions archaïques, notamment liées au veuvage ou aux dots restent très ancrées, en particulier dans certaines zones rurales.
Pour informer les femmes sur leurs droits, Nirantar, centre pour l’éducation et le genre, partenaire du CCFD-Terre Solidaire, revendique une vision féministe. Créé en 1993, elle agit dans cinq États en s’appuyant sur du matériel éducatif, puisant dans le récit de l’expérience des discriminations vécues par les femmes.
Rencontre croisée avec Archana Dwivedi, directrice de Nirantar, et Santosh Sharma, coordinatrice au Bihar, l’un des États les plus pauvres du pays.
Vous travaillez avec sept fédérations de femmes ? Comment agissent-elles ?
Santosh Sharma : Nous soutenons ces fédérations de femmes qui existent depuis 15-20 ans. Le gouvernement a décidé brutalement de suspendre leur financement. Il nous a fallu deux/trois ans pour financer la reprise de ce programme abandonné par l’État.
Ces groupes sont structurés selon les découpages administratifs, en village, bloc, district, État. Tous les 15 jours, nous organisons des rencontres pour les adolescentes et pour les femmes plus âgées. Pour les 14-20 ans, les questions tournent autour des mariages ou des grossesses précoces (une femme sur 5 est mariée avant 15 ans). Ces mariages sont encore pratiqués malgré des campagnes d’éducation.
Suite au confinement pour lutter contre la pandémie de Covid-19, beaucoup d’hommes sont rentrés de la ville et on a constaté une recrudescence de harcèlement sexuel. Par ailleurs, les jeunes filles se plaignent de la discrimination dont elles font l’objet en termes d’accès au numérique. 80 à 85 % n’y ont pas accès. Les familles craignent qu’elles échangent avec leur petit ami.
Pour les femmes plus âgées, les préoccupations sont liées à l’école, la santé, la violence, le travail.
Nirantar revendique une approche féministe. C’est-à-dire ?
Archana Dwivedi : Notre objectif dépasse la question de l’accès à l’éducation. Nous souhaitons influencer le système éducatif lui-même. Car ce dernier renforce souvent les divisions de genre. Nous tentons de faire émerger chez les femmes de nouvelles réflexions.
Nous les interrogeons sur leurs connaissances, pour comprendre leur point de vue. Par exemple, qu’est-ce que le travail ? Comment le définissent-elles ? De quel travail parle-t-on ? Quel est celui qui est mis en valeur, celui des femmes marginalisées non payées, ou celui des hommes ?
Nous cherchons à créer un autre regard. Une manière de questionner la place des femmes dans l’histoire. On fait ainsi évoluer les manuels et les bases des cours, écrits dans un langage très simple, accessibles à toute.
Nous utilisons beaucoup les jeux de rôles permettant aux femmes de revivre certaines situations, avec des histoires ou des vidéos dont le contexte entre en résonnance avec leurs propres histoires. Par exemple pour évoquer les discriminations de caste et de genre. Ces jeux permettent des prises de conscience et des réflexions pour voir comment réagir.
Vous évoquez notamment la chasse aux sorcières, cette pratique reste fréquente au Bihar.
Archana Dwivedi : De nombreuses recherches soulignent combien la chasse aux sorcières est liée à la question de la propriété ou de faveurs sexuelles. Le Bihar est un État féodal, les castes continuent à y jouer un rôle très fort.
Ces femmes appartiennent souvent aux communautés les plus marginalisées.
Les accusations de sorcellerie concernent au premier chef les veuves ou les femmes sans protection d’un homme. Cette accusation permet de les déposséder de leur patrimoine, de leur terre.
Vous soutenez aussi les nari adalat, un mécanisme de résolution des conflits à l’intention des femmes et par les femmes.
Santosh Sharma : On compte 24 nari adalat dans sept districts au Bihar. Il s’agit d’une sorte de juridiction, de lieux de conseils, qui se réunit deux fois par mois, où sont débattus des questions de droits, de garde des enfants, de propriété, de dispute familiale, de violence domestique. C’est un lieu où les femmes ne se sentent pas jugées. Cela leur offre un recours. Elles interrogent leurs pairs sur ce qu’elles peuvent faire et n’attendent pas forcément une décision, une sanction mais un conseil.
Aucun lien organique n’existe entre ces nari adalat, la police et le tribunal. Dans certains districts, la police suggère aux femmes de s’adresser au nari adalat, car ils pensent qu’elles y seront mieux écoutées. Il arrive que le tribunal reconnaisse les notes du conseil des femmes, mais cela n’est pas courant.
Les femmes qui y siègent sont souvent reconnues par la communauté comme des personnes aptes, qui connaissent bien les lois. Elles ont démontré leur impartialité. Elles écoutent le point de vue des femmes et des hommes. Les accusés décident de suivre les conclusions du conseil.
Archana Dwivedi : Ce système est une alternative au long et tortueux chemin des tribunaux dans lesquels, parfois, au bout de 15 ans de procédure, il n’y a toujours aucun résultat. Les nari adalat sont un espace qui ne nécessite pas de ressources. La victime ne cherche pas nécessairement une punition du coupable. Elle attend plutôt une résolution du conflit. Par exemple, dans notre système féodal, les hommes pensent que c’est leur droit de frapper les femmes, qu’il n’y a rien de mal à cela. Il faut leur expliquer que ce n’est pas un droit.
Les membres des classes et castes dominantes n’écoutent pas ce que des femmes pauvres leur disent, mais ils savent que le nari adalat joue un rôle de contre-pouvoir. Cela peut modifier leur attitude.
Rencontrez-vous de la résistance de la part des hommes et des institutions dans votre démarche féministe ?
Archana Dwivedi : Si nous parlions d’approche féministe, nous aurions des résistances. Donc nous préférons parler de justice de genre. Nous nous appuyons sur la Constitution qui garantit l’égalité des droits.
Les travailleuses sociales reçoivent de nombreuses menaces. Elles sont très courageuses. Elles savent qu’elles ne peuvent pas s’opposer frontalement aux hommes de haute caste qui harcèlent ou ciblent les femmes dalit. La solidarité au sein de leurs groupes est essentielle.
Propos recueillis par Christine Chaumeau
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