Au Sahel, un touareg au service de la paix
Au sein de l’ONG malienne Azhar, Assinamar Ag Rousmane recherche les moyens d’installer la paix entre les communautés sahéliennes, trop longtemps laissées à elles-mêmes. Cette paix, qui permet le développement agricole, passe par le dialogue entre l’Etat malien et les communautés.
Assinamar Ag Rousmane en est fier : l’an dernier, il a mis autour de la table de négociations deux factions touaregs de la région de Tessalit, au nord du Mali.
« Elles étaient en conflit depuis des années et nous les avons convaincu de signer un pacte de paix » explique le directeur de l’ONG malienne Azhar.
Le secret de sa réussite : « nous avons ciblé les bons acteurs de la négociation. Avec eux, nous avons identifié que le découpage territorial était la source du problème. Ici, dans le Sahel, les gens votent pour un candidat de leur communauté. Or, certains avaient le sentiment de ne jamais être représentés. Notre plaidoyer auprès des autorités a permis un accroissement du nombre d’élus. »
« Notre but est de consolider la paix »
Assinamar, âgé de 34 ans, est originaire de Tessalit, une petite ville au milieu du désert sahélien, à une centaine de kilomètres de l’Algérie. Un peu plus au sud, c’est la région de Kidal, libérée de l’emprise djihadiste par l’armée française à la fin de l’année 2012.
Tous nos locaux ont été saccagés par les djihadistes
Assinamar venait de commencer à travailler dans l’ONG qu’il dirige aujourd’hui, Azhar, « ce qui veut dire – lien de famille – en langue touareg. En 2012, tous nos locaux ont été saccagés par les djihadistes. L’appui financier du CCFD-Terre Solidaire a été déterminant pour renaître. Aujourd’hui, nous intervenons dans huit régions du Mali, sur la gestion des conflits et la prévention de l’extrémisme violent.»
Azhar forme à l’agroécologie maraîchers et éleveurs. L’ONG peut fournir des semences, du matériel agricole, reconstituer un cheptel.
« Notre but est de consolider la paix. Sans cette paix, il est impossible de pratiquer le maraîchage ou l’élevage » explique-t-il.
Au Sahel, la paix est une question de survie
Assinamar est un homme du Sahel. Sa grand-mère vit entre le Mali et l’Algérie au gré de la transhumance de ses chamelles, chèvres et moutons.
Il considère que la chance de sa famille a été d’appartenir à une « tribu de vassaux. Cela a permis à mon père d’aller à l’école. Car, pour un chef, envoyer un enfant à l’école, c’était faire entrer les idées nouvelles. Alors, les chefs envoyaient les enfants de leurs vassaux et de leurs esclaves à l’école et cachaient les leurs. Beaucoup le regrettent aujourd’hui. »
Assinamar, a poursuivi des études à Bamako, à Alger, obtenu un diplôme universitaire de l’Institut catholique de Paris sur les interventions civiles de paix.
Formé à la non-violence
«Cet enseignement prône la non-violence et met en avant l’importance des acteurs locaux. Aujourd’hui, je forme une quarantaine de jeunes sahéliens à la paix. »
La paix au Sahel est une question de survie. Assinamar rappelle que la majorité des Maliens était contente de l’arrivée des militaires français de l’opération Barkhane.
« C’était une manière de stabiliser le pays. Mais, aujourd’hui, on ne voit pas la paix. On annonce régulièrement la mort d’un chef terroriste, et la situation sécuritaire ne s’améliore pas. En plus, l’armée malienne est coupable de nombreux abus sur les populations civiles.»
Faire en sorte que la population sahélienne se reconnaisse dans l’Etat
Le Sahel est un terreau fertile aux conflits, car les populations qui l’habitent ne se reconnaissent pas dans les Etats censés les gouverner, résume Assinamar.
Ce constat est vrai pour le Mali, comme pour le Niger ou le Burkina Faso. Les éleveurs ont l’impression d’être condamnés à rester en marge d’Etats qui favorisent les agriculteurs. Dans ce contexte, Assinamar estime que « le problème religieux est secondaire. La base est de régler les conflits intercommunautaires. C’est un travail de longue haleine pour la société civile. »
Les gens ont l’impression que la démocratie ne les prend pas en compte
Ces rancœurs entre communautés ont été attisées ces dernières années, selon lui, « par le trafic de la drogue vers l’Europe qui a provoqué la prolifération des armes, et aussi par le retour, après la chute de Kadhafi, des Maliens engagés dans les forces armées libyennes. »
Sur le terrain, Assinamar ne désespère pas de la paix. La première des choses est que l’ensemble des communautés du Sahel se reconnaissent dans la gouvernance et la justice.
« La crise de 2012 était aussi un révolte des ruraux sur les citadins du Sahel, une revanche des périphéries sur les villes. Les gens ont l’impression que la démocratie ne les prend pas en compte. »
L’autre priorité concerne les jeunes dans un Sahel où la natalité est la plus forte au monde. Certains partent vers le Maghreb ou l’Europe. Il constate « qu’ils y trouvent des conditions de vie plus acceptables. Ceux qui restent peuvent être enrôlés dans les groupes armés. »
Par Pierre Cochez
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