République de Serbie : La jeunesse, entre résignation et engagement

Publié le 11.10.2012| Mis à jour le 08.12.2021

Si une majorité de jeunes Serbes est tiraillée entre un départ à l’étranger et la résignation, une partie d’entre eux entend bien participer à la transition démocratique inachevée, aidée par la perspective de l’intégration à l’Union européenne.


La pluie battante transforme les rues de Presevo en véritables torrents. Pas un chat dans cet endroit du bout du monde resté à l’écart de l’axe routier reliant Belgrade à Salonique. Seuls quelques jeunes téméraires ont bravé les intempéries pour se retrouver devant une bière, dans un des cafés du centre-ville. Une manière comme une autre de tuer le temps dans cette ville peuplée à 90 % d’Albanais. Située aux confins de la Macédoine et du Kosovo, elle détient un triste record : avec plus de 60 % de ses 35 000 habitants au chômage (contre 24 % au niveau national), elle est une des plus pauvres de Serbie. Une malédiction qui n’épargne pas les diplômés. La valeur de leur parchemin délivré par l’université de Pristina, où ces albanophones ont choisi de faire leurs études pour des raisons plus linguistiques que politiques, n’est pas reconnue par les autorités de Belgrade. En représailles à la déclaration d’indépendance du nouvel État…

Délicat, dans ces conditions, d’imaginer son futur ! « Pour moi, il se sera pas ici ! », tranche Shqipe, une lycéenne de dix-huit ans, dont le regard s’illumine lorsqu’elle se remémore ces quatre semaines passées l’été dernier aux États-Unis, dans le cadre du programme « Youth Leadership Program With Central Europe ».

Avec quelques camarades de cette région enclavée et d’autres postulants venus de Hongrie, de Slovaquie et de Slovénie, elle a assisté à des conférences et participé à des ateliers avec des jeunes Américains. Forts de leur expérience respective, ils ont réfléchi ensemble à la manière de construire de bonnes relations entre communautés, à mille lieux des discriminations et replis identitaires qui minent toujours la Serbie… À la fin de ce séjour, je n’avais pas envie de rentrer. Bien sûr, il y a partout des problèmes, mais j’ai trouvé là-bas une liberté d’agir que nous n’avons pas chez nous », poursuit Shqipe. Depuis, elle étudie à la loupe les différentes possibilités d’y retourner afin d’y suivre une partie de ses études en Communication. Même si, dans un premier temps, c’est plutôt à Skopje, en Macédoine, qu’elle devrait effectuer sa première année de fac…

Course d’obstacles

Tout comme Shqipe, de plus en plus de jeunes, et pas seulement à Presevo, envisagent leur avenir hors des frontières. « La tentation d’aller voir ailleurs ne concerne pas que les étudiants, observe Daniela, professeur d’allemand à Kraljevo, au centre de la Serbie. Je connais deux médecins et un ingénieur qui, à peine sortis de l’université, ont trouvé un emploi Outre-Rhin. » Reste que pour bien des candidats, transformer leur désir en réalité ressemble à une véritable course d’obstacles : difficultés financières, problèmes administratifs pour travailler en Europe, angoisse du saut dans l’inconnu pour une partie de la population qui n’a jamais voyagé. Car, depuis l’éclatement de l’ex-Yougoslavie, la Serbie a des allures de citadelle assiégée. « Les élites reprennent la propagande nationaliste selon laquelle le pays aurait été victime d’un complot monté contre lui par ses voisins et la communauté internationale. On ne parle pas des guerres en Croatie ou en Bosnie, y compris dans les livres d’histoire, où cette période est passée sous silence. Dans la presse ou à la télévision, les espaces dédiés aux débats sont devenus inexistants », explique Izabela Kisic, directrice du Comité Helsinki.

Nés trop tard pour avoir connu l’effervescence qui accompagna la chute de Milosevic, la plupart des moins de vingt-cinq ans seraient aujourd’hui peu enclins à passer par-delà ces discours lénifiants, ventant par ailleurs les valeurs traditionnelles. Selon un sondage commandité par le Comité Helsinki au printemps 2011 auprès de 650 lycéens, 45 % d’entre eux estiment que les hommes doivent avoir le dernier mot dans la famille, 43 % pensent que les femmes devraient donner naissance à davantage d’enfants afin de « sauver la Nation ». Et 37 % tiennent des propos racistes contre les Roms… « De nombreux jeunes sont conformistes et calculateurs, s’emporte Jelena, vingt-neuf ans, qui termine ses études d’anthropologie à l’université de Belgrade. Pour ceux qui ne peuvent pas partir à l’étranger, ne pas faire de vague est la meilleure façon d’obtenir un job ! Ils ne se rendent pas compte que la seule façon d’atteindre leur objectif est de s’engager en faveur de véritables changements,.

Le système est totalement corrompu. Le pouvoir est confisqué par un petit groupe de personnes qui cherchent à tout contrôler et pratiquent le népotisme. Trop de gens pensent que l’on ne peut pas changer les choses. Ils manquent de motivation », ajoute Jelena. La jeune femme travaille à mi-temps au Centre de décontamination culturelle, un lieu où se pressent artistes, ONG, politiques serbes et internationaux militant pour rendre l’air plus respirable. Joignant le geste à la parole, il y a un an, elle a pris la tête d’une manifestation d’étudiants contre la hausse des frais de scolarité et a réussi à y entraîner des salariés en colère contre la dégradation de la situation économique. « C’est un premier pas », dit-t-elle, prête à recommencer.

Soulever la chape de plomb

Sans parler de lame de fond, nombre de jeunes prennent progressivement conscience de la nécessité de secouer le cocotier, sous l’impulsion d’ONG qui organisent des conférences, ateliers et autres écoles d’été destinés à leur ouvrir les yeux et à développer leur sens critique. Apprentissage de la différence et du vivre ensemble, travail d’introspection sur les années de guerre avec les pays voisins, réflexions sur la justice dans cette période de transition démocratique inachevée, autant de nouveaux chapitres qui sont actuellement revisités. Des programmes qui pour certains, comme ceux initiés par le Groupe 484, s’adressent également aux adolescents, invités à y participer dès l’âge de quinze ans.

À vingt-cinq ans, Zeljko, fait partie de ces jeunes bien décidés à soulever la chape de plomb. En attendant de pouvoir exercer son métier de journaliste dans des conditions satisfaisantes ; qui faute de transparence et de liberté de la presse ne sont pas réunies – il a choisi de rejoindre le bureau de Youth Initiative for Human Rights, partenaire du CCFD-Terre Solidaire, à Novi Sad où il est actif depuis 2006. C’est lors d’un stage dans un journal local qu’il découvre l’existence de cette organisation qui lui propose rapidement de participer à des visites dans d’autres régions de l’ancienne Yougoslavie. « En me rendant au festival international de cinéma de Sarajevo ou en rencontrant d’autres jeunes à Pristina, j’ai compris que nous avions en réalité les mêmes problèmes, les mêmes interrogations. Je n’avais jamais, à l’époque, quitté la Serbie. Ce fut une bouffée d’air frais. Même ici, à Novi Sad, où le multiculturalisme, souvent décrit comme une des spécificités de la Voïvodine, est en réalité de plus en plus un paravent », raconte-t-il. Derrière les immeubles pimpants de cette ville à l’architecture austro-hongroise, tout n’est en effet pas aussi propre que pourraient le laisser supposer les façades colorées, fraîchement ripolinées. Au détour d’une petite rue, une croix gammée a été tracée sur un mur, alors que le nouveau mouvement politique « Dveri », un repère de nationalistes bien-pensants et plus présentables que les anciens mercenaires serbes, vient d’envoyer des députés au parlement régional…

L’aiguillon européen

Une nouvelle qui ne laisse pas indifférent Miroslav, vingt-sept ans, en dernière année d’études d’ingénieur en environnement à Novi Sad. Pour contrer le risque de radicalisation, il a rejoint la Ligue des sociaux démocrates de Voïvodine où il vient d’être élu président de la section jeunes. Son ambition ? Pourfendre les intégrismes de tout bord et redonner confiance à la population en combattant la corruption et le clientélisme. « La transition démocratique, c’est d’abord dans les têtes qu’elle se joue », martèle cet apprenti politicien qui, comme nombre de jeunes de cette génération, croit à l’intégration européenne pour faire avancer son combat.

« Par sa pression, Bruxelles peut nous obliger à faire des pas en avant en matière de droits de l’homme », insiste-t-il. Procureur dans l’âme, Mirna, vingt-quatre ans, diplômée de la fac de droit de Novi Sad, qui souhaite travailler à la cour de justice de Voïvodine, partage ce point de vue. « Il est temps d’inscrire sur notre agenda d’autres priorités que le Kosovo, dont l’évocation ne sert qu’à renforcer le nationalisme. C’est une question sur laquelle nos hommes politiques sont intarissables, afin de recueillir des voix et continuer à occuper le pouvoir », critique-t-elle. Étudiante en pédagogie dans la capitale de Voïvodine, Mirjana, vingt-cinq ans, Serbe originaire de Vukovar, ville martyre de Croatie, observe d’ailleurs avec satisfaction combien le processus d’adhésion engagé par Zagreb a fait bouger les lignes dans son pays. « Aujourd’hui, un ancien Premier ministre – Ivo Sanader – se retrouve devant les tribunaux pour corruption. Une telle évolution n’est pas imaginable, ici ! », note-t-elle, récoltant l’approbation de ses camarades.

L’Union européenne serait-elle dotée d’une baguette magique, capable de débloquer la situation d’un pays qui, depuis dix ans, fait du surplace et s’enfonce quotidiennement un peu plus dans la crise économique ? « Attention aux désillusions, tempère Jelena, mettant en évidence les déceptions de jeunes d’autres pays de l’Est, déjà membres du “club“, qu’elle a pu rencontrer. Avant, on se plaignait, car pour visiter l’Europe, il nous fallait des visas. Aujourd’hui, nous n’en avons plus besoin, mais nous n’avons plus d’argent pour voyager ! » À dix-neuf ans, Sarah – qui vient d’achever ses études secondaires à Belgrade et s’envolera dès septembre prochain pour Paris où elle a été admise à Sciences Po – nuance, elle aussi, ses propos : « Nous devons nous transformer nous-mêmes. L’Europe peut certes nous y aider en mettant des sujets sur la table, mais il ne faudrait pas qu’elle agisse comme un professeur et nous comme des bons élèves. Nous devons faire comprendre à la population que ce n’est pas parce que l’Europe nous dit de faire telle ou telle chose que nous devons obéir. Nous devons les faire, parce que c’est bon pour nous. Sans quoi, loin de combattre le nationalisme, le processus d’adhésion ne fera que le renforcer ». Convaincue que c’est aussi en Serbie que se joue l’avenir du pays, Altina, lycéenne de dix-sept ans de Presevo, tentée par des études de droit, envisage de revenir, son diplôme en poche, dans cette vallée déshéritée. « Je serai bien utile ici », lance la jeune fille qui souhaite œuvrer pour l’émancipation des femmes. Un sujet encore tabou dans une région où la plupart d’entre elles n’ont aucune perspective professionnelle…

Laurence Estival

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