« En Côte d’Ivoire, le feu couve sous les cendres »

Publié le 08.04.2013| Mis à jour le 08.12.2021

Âgé de 57 ans et président du conseil d’administration de l’ONG Animation rurale de Korhogo (ARK, partenaire du CCFD-Terre Solidaire). Basée dans le nord du pays, Jean-Paul Tuho évoque l’atmosphère de tension qui continue de régner dans le pays.


« Après la crise post-électorale, entre décembre 2010 et avril 2011, et les affrontements meurtriers qui ont fait près de 3 000 morts, on pouvait espérer que le nouveau président, Alassane Dramane Ouattara favorise l’apaisement et tente de réintégrer les vaincus, les partisans de Laurent Gbagbo dans le jeu politique. Les résultats sont décevants.
Le Front populaire ivoirien (FPI), le parti de Gbagbo, a déclaré qu’il boycotterait les prochaines élections municipales et régionales du 21 avril 2013. Surtout, les déséquilibres politiques persistent. « C’est à notre tour de manger », proclamaient les partisans de Ouattara, au lendemain de son intronisation à la présidence. Hier marginalisés, ils ont de fait raflé tous les postes dans l’administration. On critiquait hier les pratiques d’exclusion du régime Gbagbo, on déplore aujourd’hui celles du système ADO.

La terre, objet de toutes les convoitises

Enfin, les problèmes de fond ne sont pas traités. Je pense notamment aux conflits fonciers dans l’Ouest. Autour de Duékoué ou de Bangolo – où l’ARK intervient – la colère gronde parmi les populations autochtones : certaines sont dépossédées de leurs terres par des groupes de chasseurs traditionnels Dozos, qui servent de supplétifs à l’armée nationale, les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI). Comme dans le même temps, les flux migratoires en provenance du Burkina Faso et du Mali se poursuivent, l’Ouest m’apparaît comme la région de tous les dangers. L’étincelle d’une bataille pour la terre couplée à des rivalités ethniques pourrait relancer la guerre civile, car partout le feu couve sous les cendres.

La réconciliation est restée lettre morte malgré les belles déclarations d’intention. La Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR) se parachute une journée dans une région, organise un meeting, puis repart. Aucun travail en profondeur à la base n’est entrepris.

C’est ce que tente de réaliser l’ARK à sa modeste échelle. Nous nous sommes lancés – au Nord et à l’Ouest – dans des programmes de réhabilitation communautaire et de cohésion sociale. Concrètement, il s’agit de rétablir le dialogue entre des communautés voisines qui se sont affrontées lors du récent conflit. Nous donnons l’occasion aux Anciens de s’exprimer sur la délimitation des territoires. Nous mobilisons aussi les forces vives pour reconstruire les écoles et les centres de santé détruits. Elles apportent leur quote-part (5% du coût total), tandis que les bailleurs de fonds – Banque mondiale, en particulier – fournissent l’essentiel des contributions. C’est une manière efficace de désamorcer les tensions, mais les plaies profondes ne cicatrisent pas en quelques semaines ou mois. Des efforts persévérants sont nécessaires.

Miser sur les femmes

La région de Korhogo a été moins touchée par les affrontements que l’Ouest ou l’agglomération d’Abidjan. Mais le Nord s’est appauvri, car il a servi de zone de repli à ceux qui fuyaient les combats et les persécutions. De nombreux foyers ruraux ont accueilli des parents et se sont endettés pour subvenir à leurs besoins. À présent, les déplacés sont rentrés chez eux, mais il faut faire redémarrer l’économie agricole locale. L’ARK a décidé de miser sur les femmes. À partir d’un diagnostic simple : si tu donnes 1000 F CFA à un homme, il va l’utiliser pour lui, en buvant par exemple sa calebasse de chapalo, la bière de mil. Avec la même somme, la femme achètera en priorité de la nourriture pour ses enfants.

Bref, soutenir les femmes, c’est favoriser la promotion de toute la famille. Dans cette optique, nous avons relancé l’appui aux cultures vivrières et aux jardins maraîchers que gèrent les femmes. Nous les aidons à mieux conditionner leurs produits et à les écouler sur les marchés locaux. Et, en réaction à la tendance à utiliser les engrais chimiques – disponibles pour le coton, la culture de rente dominante dans le Nord – nous leur vantons les mérites de la fumure organique. Parallèlement, nous organisons des cours d’alphabétisation et les animateurs locaux les incitent à prendre des responsabilités dans les activités villageoises.

La société civile ivoirienne, elle, poursuit sa longue marche. Hier, elle était embrigadée par les trois grands leaders politiques – Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara, Henri Konan Bédié – et leurs partis respectifs : le FPI, le RDR et le PDCI. La Convention de la société civile ivoirienne (CSCI, partenaire du CCFD-Terre Solidaire) a frayé la voie à une expression indépendante. En 2010 par exemple, la CSCI a pu dénoncer les exactions commises par les Jeunes Patriotes de Charles Blé Goudé, disciple de Laurent Gbagbo. Aujourd’hui, elle n’hésite pas à se prononcer contre les tentations hégémoniques du RDR, l’impunité des ex-rebelles ou les excès des chasseurs Dozos.

Le nouveau coordonnateur de la CSCI, le docteur Christophe Kwame, un pharmacien, a été élu démocratiquement par les diverses composantes de la Convention. Ces derniers temps, il a convoqué à plusieurs reprises les journalistes pour des points de presse. Mais, nous avons le regret de constater que les médias proches du pouvoir brillent par leur absence ou ne relaient pas nos communiqués. C’est bien le signe que la bataille pour instaurer une démocratie équilibrée en Côte d’Ivoire n’en est qu’à ses débuts. Mais je ne me décourage pas. Cela fait plus de vingt ans que je me suis engagé au sein de la société civile. Et malgré les déconvenues, nous avançons. »

Propos recueillis par Yves Hardy

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