Retour sur le Sommet de l’Élysée pour la Paix et la Sécurité en Afrique

Publié le 10.12.2013| Mis à jour le 08.12.2021

Cinquante ans après les indépendances, en demandant la création d’une force d’action rapide africaine, la France ne fait-elle pas l’aveu de l’échec de son action diplomatique et de sa coopération militaire vis-à-vis de l’Afrique ?


Le Sommet de l’Élysée pour la Paix et la Sécurité en Afrique a réaffirmé la nécessité de développer d’ici 2015 une véritable capacité militaire africaine de réaction rapide pour faire face aux crises que connait le continent.

Cinquante ans après les indépendances et après des dizaines d’années de coopération militaire – entre autre française – l’absence de forces africaines en capacité d’intervenir d’une façon autonome, rapide et efficace ne peut qu’interroger. Derrière la question de la mobilisation des moyens financiers réaffirmée lors du Sommet de l’Elysée, il faut se demander s’il existe vraiment une volonté politique africaine, française voire européenne en faveur de la création d’une telle force d’action rapide ?

La question mérite de se poser. En effet, dès 1994, lors du sommet Afrique France de Biarritz, François Mitterrand appelait déjà à la création d’une force d’action rapide interafricaine (FARI). En outre, suite au Sommet de 1998 était lancé le programme français de Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix (RECAMP). Depuis RECAMP a mobilisé des moyens humains et financiers considérables pour renforcer les armées africaines dans leurs capacités à intervenir et à se coordonner au niveau régional afin de faire face autant aux situations de crises, aux risques terroristes et aux menaces des trafics organisés et criminels transfrontaliers. Les pays du Sahel ont particulièrement bénéficié du programme RECAMP. Les évènements récents de cette région ne peuvent que questionner sur l’efficacité d’un tel programme et sur le bilan qu’il est en fait.

Une telle force d’action rapide ne peut se faire sans l’existence de puissants mécanismes de coordination et décision politique entre États africains. De tels processus politiques sont longs et complexes à mettre en œuvre. Comme le démontre les difficultés pour l’Union Africaine à faire vivre son mécanisme de paix et de sécurité régional avec notamment un projet décidé en 2002 d’avoir des Forces Africaines en Attente (FAA) mais pas encore opérationnelles à ce jour. Les rivalités et les concurrences très fortes entre Etats africains sont des explications à ces difficultés de l’UA. Beaucoup de ces Etats se caractérisent également par des espaces démocratiques faibles voire en régression. Acceptent-ils réellement de déléguer à une instance politique supranationale (Union Africaine ou instance régionale) le pouvoir de décider en leur nom, objectivement et rapidement de l’utilisation d’une telle force armée pour intervenir dans un pays africain qui peut être dans leur sphère d’influence ? Face à ces considérations, on ne peut de ce fait que douter de l’objectif d’avoir une telle force opérationnelle pour 2015.

Une des premières menaces pour la sécurité en Afrique provient des trafics (drogues, armes, pillage des ressources comme les minerais et les pierres précieuses) qui prolifèrent depuis une décennie. Ces trafics sont un élément essentiel du financement et de l’existence des groupes islamistes armés et des mouvements rebelles en Afrique. Les faibles coopérations entre Etats africains voire les rivalités qui existent entre certains d’entre eux favorisent le développement de ces trafics. Ainsi, la non-coopération entre l’Algérie, le Maroc et les pays sahéliens expliquent en grande partie la montée en puissance des mouvements islamistes et narcotrafiquants au Sahel. Les ingérences récurrentes dans les affaires centrafricaines du Tchad, du Soudan, du Congo et de la République Démocratique du Congo sont des facteurs aggravants de la situation dramatique du pays. Pour le CCFD-Terre Solidaire, l’amélioration de la sécurité en Afrique ne peut passer que par de réelles politiques de coopération entre Etats africains et par des mécanismes forts de l’Union Africaine pour dénoncer et sanctionner les pratiques de déstabilisation de certains Etats africains dans les affaires intérieures d’autres Etats.

Lors de ce sommet, la France en appelle une nouvelle fois à une meilleure coordination africaine, mais ne conçoit toujours pas ses relations avec les pays africains dans un cadre multilatéral comme l’Union Européenne. De la même manière, les autres pays européens et l’Union Européenne continent à agir seuls et sans véritables concertations. Le Sommet de l’Élysée met ainsi une nouvelle fois en lumière l’absence de volonté des pays européens à agir de concert en faveur de la paix et du développement en Afrique. De ce fait, les portées politiques et diplomatiques du Sommet de l’Élysée ne pourront être que limitées.

Bien qu’il faille saluer les volontés de la France d’évoluer dans ses relations franco-africaines et d’agir au Mali et en Centrafrique pour éviter des drames humanitaires, il n’en demeure pas moins que les situations de crise sur le continent – comme en Centrafrique – sont également en partie la conséquence de politiques françaises anciennes, disparates et contradictoires. Depuis la fin de la guerre froide et au nom de la stabilité du continent et du maintien de son influence internationale, la France est trop souvent passée à côté de l’aspiration démocratique des peuples. Que 50 ans après les indépendances, la France demande une nouvelle fois aux pays africains d’assurer leur sécurité ne peut être que le constat d’un échec de plus de trente ans de coopération militaire et de stratégies diplomatiques hasardeuses vis-à-vis de certains pays africains comme le Tchad ou la Centrafrique.

Le CCFD-Terre Solidaire le rappelle, le meilleur moyen de prévenir les crises et les conflits en Afrique est d’agir d’une façon multilatérale, transparente et sur le long terme en faveur des droits économiques, sociaux et culturels des populations africaines.

Philippe Mayol,
Responsable du service Afrique
CCFD-Terre Solidaire

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