Burundi : paroles d’étudiants face à la crise
De retour du Burundi à la rencontre des partenaires, Samuel Pommeret, chargé de mission Afrique au CCFD-Terre Solidaire, évoque la situation de crise du pays à travers la parole d’étudiants burundais.
« Il faut exercer le pouvoir avec les autres, pas contre les autres », explique un étudiant de l’université du Burundi. Ce dimanche 19 mars 2016, les étudiants se sont répartis sous les arbres du campus de Kamenge pour échapper un peu à la fournaise de la capitale Bujumbura.
Le campus de psychologie clinique et sociale accueille un dialogue entre universitaires organisé dans le cadre du programme « Éducation des jeunes vers une culture citoyenne de paix, de tolérance et de résolution pacifique des conflits », programme cofinancé par l’Union Européenne et le CCFD-Terre Solidaire. Un projet porté par l’Association des Scouts du Burundi (ASB), en synergie avec le Réseau des jeunes en action pour la paix, la réconciliation et le développement (REJA), partenaires du CCFD-Terre Solidaire.
Un contexte de crise majeure
Depuis un an, le Burundi s’est enfoncé dans une crise politique. La mobilisation pacifique des jeunes contre le troisième mandat du Président Pierre Nkurunziza a été réprimée dans le sang. Selon l’UNHCR, plus de 200 000 réfugiés burundais ont fui. Et un cycle de violences aveugles – assassinats, arrestations et enlèvements, attentats – ensanglante le pays. Pis, la perspective d’un dialogue inter-burundais peine à se concrétiser.
Contrairement aux années 1990 – qui ont vu une guerre civile ethnique ravager le pays – la majorité des Burundais refusent l’antagonisme Hutus-Tutsis. Les problèmes, plus profonds, sont ailleurs : chômage de masse, pauvreté, crise agricole, manque de perspectives sociales et économiques, culture de l’embrigadement, difficulté du dialogue entre générations, ravages de la rumeur qui diffuse la peur de l’autre.
Décidés à briser les tabous, les jeunes débattent, disent tout haut les mots qui fâchent : « corruption », « violence contre les femmes », « irresponsabilité ou incompétence des élites qui les manipulent », etc. Par ailleurs, ils convoquent mentalement des figures africaines et universelles des luttes pour les droits et la démocratie : Louis Rwagassore – père de l’indépendance – et Melchior Ndadaye – premier président démocratiquement élu – bien sûr, mais aussi Nelson Mandela, Thomas Sankhara, et enfin Martin Luther King.
Un dialogue constructif
Parmi l’assistance, des jeunes étudiants des facultés de sciences sociales, de pédagogie ; des jeunes de la société civile comme de l’Union des étudiants musulmans ou de l’Association villageoise d’entraide et de développement communautaire (AVEDEC) ; des responsables des mouvements de jeunes politiques : les Imbonerakure du parti présidentiel et ceux des partis d’opposition, se rassemblent régulièrement.
Animées par le professeur Adolphe Sururu – spécialiste de la communication non-violente et de la gestion des conflits à l’université du Burundi – les séances permettent de confronter les points de vue, de mettre à jour des oppositions dans le respect mutuel. Une gageure dans le Burundi de 2016.
« Nous, entre intellectuels, si nous avons un problème, nous arrivons à dialoguer. Nous ne sommes pas d’accord mais nous pouvons le dire dans le respect », précise un étudiant. Côte-à-côte, un jeune Imbonerakure du Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD) et le deuxième de l’UPD-Zigamibanga. Le premier appartient à une ligue crainte pour ses violences ; l’autre à un parti qui a payé un lourd prix dans les manifestations de 2015 avec l’assassinat de son président Zedi Feruzi.
Opposés politiquement, ces deux jeunes déplorent cependant la même chose : la manipulation des jeunes, pions au milieu d’un jeu d’intérêts qui les dépassent. Et la violence qu’on leur prête ? « Comment tu veux que je tienne un camarade si un chef lui dit de faire la violence et donne un quelque chose (de l’argent)? », raconte le jeune Imbonerakure. Réalité prosaïque d’un pays où 5000 francs, soit 3 dollars, représentent une somme.
Manque de considération des jeunes
Pourtant, c’est quelque chose de plus profond qui se joue. « Le pays a été fait par des jeunes. Louis Rwagassore a moins de 30 ans quand il est assassiné. Melchior Ndadaye a 40 ans quand il est assassiné. 50% des Burundais ont moins de 15 ans. Pourtant, les politiques sont vieux, ne leur proposent rien et les embrigadent pour commettre des violences politiques », explique un universitaire. « Sans emploi, sans perspective personnelle, on crée les conditions de la violence. Au-delà, les jeunes souffrent d’un manque de considération. Ils se disent qu’ils sont incompétents, manquent d’expérience et de leadership. C’est faux », poursuit-il.
Frustrés, ils détournent les yeux d’un horizon bouché. Et en attendant que leurs recommandations soient prises en compte par les responsables politiques, ils se répètent que les cadres de dialogue sont utiles.
Le soleil descend sur le lac Tanganyika. Il faut rentrer dans les quartiers car avec la nuit, revient la violence. « Un jour, mon pays comprendra que je suis une richesse », conclut Espérance, une étudiante, avant de partir.
Chiffres clés
– 26 avril 2015 : l’annonce de la candidature pour un troisième mandat du Président Pierre Nkurunziza déclenche des manifestations pacifiques dans plusieurs quartiers de la capitale burundaise Bujumbura.
– Selon l’Organisation des Nations unies, la répression des manifestations à fait plus de 474 morts. Officieusement, il y aurait plus de 1000 morts depuis un an.
– 5000 arrestations, 500 allégations de tortures, enlèvements et violences sexuelles sont dénoncés par les organisations de défense des droits humains.
– 200 000 Burundais, selon l’UNHCR, ont fui leur pays pour trouver refuge dans les pays voisins.
– Des mouvements armés rebelles se sont constitués pour affronter les forces de sécurité burundaises. Le pays risque de sombrer dans une nouvelle guerre civile.
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