Accompagnement des migrants

Publié le 23.03.2012| Mis à jour le 08.12.2021

Ladji Nian Gane ou le combat d’un ancien migrant malien contre la malnutrition. « Pour enrayer la crise alimentaire, différentes mesures devraient être prises : à court terme, des aides d’urgence en céréales pour les zones les plus affectées par la sécheresse et des livraisons de semences pour ménager l’avenir. A moyen terme, il faudrait conforter les banques de céréales.« 

Ladji Nian Gane ou le combat d’un ancien migrant malien contre la malnutrition

« Je suis agriculteur et fils de paysans de la région de Kayes dans l’extrême-ouest du Mali. Je suis âgé de 64 ans, mais lorsque je suis arrivé en France en 1967, je n’avais pas 20 ans. Je suis resté une dizaine d’années, je vivais dans un foyer de Noisy-le-Sec en Seine St-Denis.

A mon retour au pays, après la grande sécheresse de 1973-74 qui avait fait des ravages, un groupe de migrants – avec l’appui d’une ONG française, le GRDR – a décidé de miser sur les périmètres irrigués le long du fleuve Sénégal. En nous appuyant sur les femmes. Elles se retrouvaient par la force des choses chefs d’exploitation, puisque la plupart des maris avaient émigré en France.

Ce fut un défi difficile à relever car la réalisation de ces périmètres n’était pas à la portée des ONG. Il a fallu mobiliser le gouvernement et les bailleurs de fonds internationaux pour effectuer les travaux de planage – en faisant venir de Bamako, des bulldozers, des niveleuses et des scrapers – et construire des canaux.

Au bout du compte, ces périmètres sont un succès. Ils produisent des pommes de terre, des tomates, des salades, des carottes. Et même des bananes. Si vous ne voyez plus d’enfants aux ventres ballonnés autour de Kayes, comme il y a vingt ans, c’est dû notamment à cette diversification de l’alimentation locale.

Un vrai risque de famine

Je me félicite d’autant plus de cette initiative que la situation actuelle est à nouveau très préoccupante. Dans notre région, l’hivernage (saison des pluies) a été très mauvais. Je connais même plusieurs zones autour de Yélimané, au nord-est de Kayes, où il n’a pas plu une goutte d’eau. L’inquiétude est grande, tant pour la prochaine soudure, à partir des mois d’avril-mai que pour la prochaine campagne agricole. En effet, de nombreux paysans ont semé à trois ou quatre reprises. Faute de pluie, cela n’a rien donné et les réserves de semences sont épuisées.

Là, il faut le dire à haute voix, la famine menace. Déjà, sur les marchés locaux, on constate une flambée des prix. Le kilo de mil a grimpé début mars à 300 F CFA le kilo ; celui du maïs à dépassé les 350 F CFA et celui du riz atteint les 400 F CFA. Je suis également inquiet car les autorités nigériennes sont présentement accaparées par le conflit avec les Touaregs au nord-est du pays. Elles sont mobilisées par l’effort de guerre et risquent de délaisser les paysans en souffrance.

Pour enrayer la crise alimentaire, différentes mesures devraient être prises : à court terme, des aides d’urgence en céréales pour les zones les plus affectées par la sécheresse et des livraisons de semences pour ménager l’avenir. A moyen terme, il faudrait conforter les banques de céréales. Je rappelle que ce sont les migrants – avec l’appui technique d’une autre ONG française, Afrique verte – qui ont vulgarisé cette initiative dans la région.

Nos associations de migrants en France adressaient l’argent aux trésoriers des associations villageoises : cela leur permettait d’acheter des céréales dans les zones excédentaires – celles de Ségou et de Sikasso, au centre et à l’est du Mali – de les stocker et d’aider à passer la période de soudure entre deux récoltes. Il faut souligner que les migrants ont joué un rôle pionnier, puisque le gouvernement, après plusieurs évaluations de l’expérience, toutes élogieuses, a repris l’initiative à son compte et l’a généralisé.

En 2009, il a en effet décidé que les 703 communes du Mali seraient dotées d’une banque de céréales. Le projet est devenu réalité et va permettre d’atténuer la crise alimentaire.

Le salut par l’irrigation

A plus long terme, il faudrait – mais cela a un coût – étendre également les périmètres irrigués à proximité des fleuves, des étangs et des mares. Nous le répétons depuis vingt ans : le salut pour les Sahéliens, c’est le développement de l’irrigation. Pour que le paysan ne soit plus tributaire exclusivement de pluies aléatoires. Sur ce point, les autorités ne nous ont écouté que d’une oreille distraite. Elles ont préféré mettre leurs œufs dans un seul panier et investir massivement dans l’Office du Niger, situé au nord de Ségou. Mais nous le répétons à l’envi : si l’on veut asseoir dans la durée une politique de sécurité alimentaire, il faut multiplier partout les aménagements hydro-agricoles.

J’espère comme l’on dit chez vous qu’à quelque chose malheur est bon. Et qu’à la faveur de la rude crise alimentaire qui s’annonce, les investissements dans l’agriculture revêtiront enfin un caractère prioritaire. »

FUCOPRI (Fédération des Unions des Coopératives des Producteurs de Riz), partenaire du CCFD-Terre Solidaire

La FUCOPRI est une organisation paysanne composée de 37 coopératives locale (21 000 membres) localisées le long de la vallée du fleuve Niger. Les activités de la FUCOPRI vise à renforcer les capacités organisationnelle et institutionnelle de la Fédération et de ses unions, d’accroitre la production nationale de riz, améliorer et diversifier les formes de commercialisation du riz, améliorer la gestion financière et comptable au niveau des coopératives, des unions et de la fédération, améliorer la gestion de l’eau au niveau des coopératives.

Mme Saa Malam Harouna de FUCOPRI au Niger : « Les riziculteurs nigériens réussissent à amortir la crise alimentaire »

« Je suis originaire de Zinder dans l’est du Niger. Agronome de formation, j’ai été recrutée comme salariée au sein de la Fédération des unions de coopératives de producteurs de riz (FUCOPRI), dont le siège est situé dans la capitale, Niamey.

En dix ans, la FUCOPRI a réellement décollé. Créée en 2001, elle rassemble aujourd’hui plus de 25 000 producteurs, membres de 37 coopératives regroupées en 9 Unions. Les coopératives s’étagent le long du fleuve Niger, de Tillabéry au nord jusqu’à Gaya au sud, en passant par les abords de Niamey et de Dosso. Bien sûr, les riziculteurs sont affectés par l’actuelle crise alimentaire, surtout les familles qui ont accueilli des migrants – ceux qui rentraient de Libye, suite aux combats puis à la chute de Kadhafi – et plus récemment, des réfugiés qui fuyaient les affrontements au nord du Mali entre la rébellion touareg et l’armée de Bamako.

Selon le gouvernement, 5,5 millions de personnes sont en état d’insécurité alimentaire dans le pays, soit le tiers de la population du pays. La plupart sont des familles rurales qui ne disposent que de deux ou trois mois de réserves dans leurs greniers. C’est dire que la malnutrition va faire des dégâts dès le mois de mai prochain. Les villes aussi sont touchées car l’exode rural se poursuit.

Solidarité avec les plus vulnérables

Dans ce contexte difficile, les riziculteurs sont relativement épargnés. Grâce aux aménagements hydro-agricoles, leurs champs sont irrigués. Certes, des matériels sont vétustes et l’eau arrive parfois difficilement jusqu’à la parcelle, mais au moins ces paysans ne dépendent pas des caprices des cieux. Par ailleurs, la FUCOPRI est intervenue – avec succès – auprès du gouvernement pour réduire à la fois le coût de l’électricité (30 % de réduction) qui conditionne le pompage de l’eau dans le fleuve et le coût des engrais : le sac de 50 kilos est désormais vendu à 13 500 F CFA au lieu de 17 000 F CFA.

Je signale en outre que la centrale nationale d’approvisionnement de la FUCOPRI consent des avances sur récolte à ses membres qui peuvent acheter au meilleur prix matériel agricole et intrants.

Grâce au CCFD-Terre solidaire, la promotion des femmes marque des points. Une quinzaine de groupements féminins, chacun équipé d’une décortiqueuse se sont constitués. Trois unions départementales de femmes étuveuses (qui assurent la pré-cuisson du riz paddy préalablement hydraté) ont vu le jour. Bientôt, plusieurs responsables féminines devraient accéder aux instances de direction de la FUCOPRI.

Il est une autre manière de lutter contre la crise, c’est notre tentative pour changer les comportements alimentaires. Au Niger, les consommateurs délaissent trop souvent le riz local – pourtant moins cher et de meilleur qualité nutritive – au profit du riz asiatique importé : « Il gonfle plus à la cuisson et il remplit mieux l’estomac », entend-on fréquemment. Nous tentons lors de journées de sensibilisation, avec dégustation à la clé, de modifier les mentalités.

Cela dit, c’est un travail de longue haleine. Je crois que la FUCOPRI a réellement contribué à renforcer la sécurité alimentaire de ses membres. Mais aujourd’hui nous pensons à tous les autres Nigériens, fragilisés par la sécheresse et à nos frères Maliens qui cherchent refuge chez nous à cause de la guerre et que nous devons secourir. »

Yves Hardy

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