Au Burundi, elle lance une plateforme pour lutter contre la haine

Publié le 08.06.2021| Mis à jour le 12.01.2022

Très suivi sur les réseaux sociaux, Yaga contribue à la lutte contre les rumeurs et les préjugés, et crée un espace de dialogue favorable à la consolidation de la paix dans son pays. Rencontre avec Dacia Munezero, bloggeuse et une de ses membres fondateurs.


« Yaga signifie « raconter » en kirundi. Yaga raconte des histoires des hommes et femmes du Burundi, de ses champs, de ses oiseaux, de ses vaches et de ses collines. Notre fil conducteur est le respect mutuel dans la diversité », explique-t-elle.
Les « Yaguistes » ; comme aiment s’interpeller les membres du collectif des blogueurs Yaga, savent combien la haine entre les jeunes peut être dangereuse. Ils vivent dans différents coins du Burundi, ce « petit pays » de 11 millions d’habitants du livre de l’écrivain Gaël Faye.
La plupart des membres du collectif Yaga sont dans leur trentaine. Ils n’ont pas vécu plusieurs épisodes de guerre civile qui entachent le passé de leur patrie.
Aux effets de ces guerres répétitives au Burundi, la haine s’invite régulièrement dans les médias. A la veille des élections, Dacia Munezero, Alain Amrah Horutanga, Armel Gilbert Bukeyeneza et Jean Marie Ntahimpera, quatre jeunes burundais, partagent l’envie de ne pas rester indifférent face à la haine qui grandit à travers les médias sociaux et radio télédiffuseurs et créent Yaga, surtout pour donner la parole aux jeunes pour qu’ils expriment ce qu’ils ont sur le cœur.
Yaga devient « une plateforme en ligne dont la vocation est de conduire la jeunesse burundaise sur la voie de la tolérance, surtout d’opinion, du dialogue et l’écoute de l’autre », décrit notre interlocutrice.

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Chaque jour, trois nouveaux articles et une vidéo publiés

Six ans après, le site yaga-burundi.com est tenu par une équipe d’une trentaine de jeunes salariés, des community managers, des vidéastes et éditeurs qui relisent les articles.
En cinq ans, Yaga a formé à l’écriture et à l’utilisation responsable des réseaux sociaux plus d’une centaine de jeunes bloggeurs. Yaga publie chaque jour trois nouveaux textes et une vidéo.
La règle est « de ne pas écrire n’importe quoi. Il faut se baser sur des faits réels et vérifiés, et aucun sujet ne devrait être tabou. Nous prônons le respect de la parole de l’autre et nous sommes dans la communication pacifique. Yaga contribue à la paix », souligne Dacia Munezero.

320 000 abonnés à la page Facebook

Et ça marche ! La page Facebook de Yaga compte 320 000 abonnés, le compte twitter, 28 000 followers, et 65 000 pour le compte Instagram.
Les visiteurs sont des jeunes résidents au Burundi, mais également ceux de la diaspora qui veulent avoir des nouvelles du pays ou des jeunes restés au Burundi.
Deux salariés du site sont chargés de la modération sur Facebook, afin d’en gommer tout propos haineux. « Il y en a de moins en moins. Nous invitons les internautes à exprimer leur message pacifiquement et à laisser l’autre expliquer le sien ».

Dans un pays qui vacille souvent vers l’intolérance, Yaga montre qu’une utilisation responsable du web est possible.

« Le CCFD-Terre Solidaire nous aide, par exemple à former des jeunes entrepreneurs à travers des camps d’été et promouvoir ceux qui sont déjà en activité par le biais des caravanes de découverte d’innovation à travers le pays », précise Dacia.
Yaga se comprend comme « un pont entre la jeunesse et les décideurs. C’est là notre réussite » constate Dacia.

Débattre de la réalité pour former les jeunes à la non-violence

L’enseignement à la non violence est une priorité pour Yaga.
« Nous relisons notre histoire, notamment celle avant l’indépendance. Des personnes âgées qui ont connu cette époque viennent la raconter aux jeunes dans les débats que nous organisons. C’est une manière de parler de politique, d’une façon moins frontale », explique Dacia.
Elle ne nie pas que ces évocations mémorielles puissent être sensibles pour certains selon ce qu’ils ont vécu.

Les débats organisés par Yaga peuvent aussi passer par des échanges touchant à la vie quotidienne. Elle cite une campagne réalisée sur les serviettes hygiéniques.
« Nous plaidons pour en diminuer le prix. Des jeunes filles utilisent des morceaux de matelas ou des feuilles de bananier, et souvent elles arrêtent l’école car elles n’ont pas accès à ces serviettes ».
Informer sur la consommation des drogues est une autre façon de construire une société apaisée. « Nous avons organisé des débats sur le boost, obtenu à partir des résidus d’héroïne. Nous en avons parlé car c’est un fléau méconnu ou ignoré et nous voulions sensibiliser les Burundais et les autorités sur la question. Et cela a bien fonctionné, l’administration publique a pris en main cette question ».
Yaga décrit la réalité de la vie quotidienne des Burundais. D’une manière apaisée, en ne gommant pas les problèmes, en expliquant la vie et l’histoire du pays. En français ou en kirundi.

Le Burundi reste un pays où la liberté d’expression reste très verrouillé selon les rapports de RSF. Yaga a su maintenir un espace où la politique avait une place considérable. « Nous nous basons sur des faits. Nous avons fait un dossier sur les 100 premiers jours du président en comparant les promesses et les actes. Nous ne sommes pas dans les insultes ».
Mais avec l’accession au pouvoir d’Evariste Ndayishimye, des gestes d’ouvertures s’observent.
Des gens de tous bords, autant de la mouvance que de l’opposition, interagissent sur nos plateformes. Yaga publie leurs positions « et ça se passe plutôt très bien, sans accroches », explique Dacia.

Pierre Cochez

Retrouvez d’autres portraits et décryptages dans notre dossier Artisanes et artisans de paix

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