Au détriment des populations ?

Publié le 15.10.2013| Mis à jour le 02.01.2022

Toutes les conditions doivent être mises en œuvre pour créer un environnement favorable à l’investissement… même au détriment des populations ?


S’ajoutant aux difficultés de mise en œuvre d’une multitude de textes relatifs à l’investissement (principe 1), l’application de certaines initiatives s’accompagne d’une exigence de modifications législatives pour favoriser les grands investisseurs étrangers.


La Nouvelle Alliance et son attirail de modifications législatives pour faciliter les investissements

Les principaux engagements politiques pris dans le cadre de la Nouvelle Alliance visent avant tout à assurer une libéralisation des échanges et une sécurisation des investissements internationaux. Les cadres de coopération formulés entre chaque pays concerné et les pays du G8, annoncent ainsi clairement la donne. Le Burkina souligne qu’il s’agit de « créer un climat d’investissement sécurisant pour les investisseurs privés et faciliter l’accès à la terre et son utilisation productive sécurisée ». La Tanzanie annonce sa volonté d’« accroitre la stabilité et la transparence des politiques commerciales, avec une baisse des taux ou la mise en place de barrières non tarifaires ». Enfin, le Mozambique déclare vouloir « promouvoir la libéralisation et la facilitation des échanges commerciaux ».
Autre pays, même recette. L’Union Européenne coordonne la Nouvelle Alliance au Malawi, sur la base du cadre de coopération qui regroupe les engagements financiers et politiques des membres du G8, du gouvernement et du secteur privé. Parmi les actions attendues du gouvernement, la « création d’un environnement compétitif» se traduira par l’accélération des réformes destinées à favoriser le climat des affaires. Parmi elles, la révision à la baisse des régimes d’imposition pour maximiser les incitations à l’investissement dans des secteurs spécifiques d’exportation, favorise monocultures à grande échelle et investisseurs étrangers. L’objectif d’« amélioration de l’accès à la terre» entraînera l’identification de 200 000 ha pour l’agriculture commerciale à grande échelle d’ici 2015, dans un contexte foncier tendu où 80% des terres sont cultivées par des agriculteurs familiaux. Projet sur lequel alerte aujourd’hui Olivier de Schutter, Rapporteur Spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation .

Les sociétés civiles au Nord mais également au Sud interpellent pourtant de plus en plus leurs Etats pour qu’ils exigent une contribution fiscale juste des entreprises : contribution qui doit permettre à l’Etat de mettre en place des politiques publiques de qualité, nécessaires au développement du pays.

Au Cameroun, la vigilance de la société civile doit être de tous les instants
Au Cameroun, un réseau national de suivi indépendant des politiques publiques, des stratégies de coopération et de l’exécution du budget de l’Etat s’est mis en place depuis 2005. Cette Dynamique Citoyenne est constituée d’organisations issues des différentes familles d’acteurs de la société civile camerounaise (ONG et associations, syndicats, organisations confessionnelles) des dix régions. Leur objectif est d’obtenir une implication effective de la société civile dans le débat public à travers le suivi indépendant des politiques publiques et des stratégies de coopération.
« Nous questionnons le gouvernement sur les budgets consacrés aux secteurs sociaux (éducation, santé, logement), largement délaissés. Nous ne remettons pas en cause les missions régaliennes de l’Etat, mais exerçons un contrôle citoyen. Sur le terrain, les populations relaient la démarche : ils vérifient que telle route, payée avec leurs impôts est bien réalisée et que les matériaux ne sont pas détournés » [[Jean-Marc Bikoko ou vingt ans de combats syndicaux, septembre 2011, Faim et Développement Magazine, http://ccfd-terresolidaire.org/projets/afrique/cameroun/jean-marc-bikoko-ou]] Jean Marc Bikoko.
C’est ce contrôle citoyen qui permet au Nord comme au Sud de s’assurer que l’accueil de l’investisseur ne se fait pas au détriment des populations locales.
Et la vigilance doit en effet être de tous les instants. En avril dernier, le Président Paul Biya promulguait une loi d’incitations à l’investissement privé en République du Cameroun. L’objectif est de «favoriser, de promouvoir et d’attirer les investissements productifs en vue de développer les activités orientées vers la promotion d’une croissance économique forte, durable et partagée, ainsi que l’emploi» [[loi n°2013/004 du 18 avril 2013 fixant les incitations à l’investissement privé en République du Cameroun, http://www.ambyaounde.esteri.it/NR/rdonlyres/91577196-0BE1-43FB-BE7C-649FA090BEF3/67245/Loi18avril2013CMRInvest.pdf]]. Les investissements ciblés à travers les « objectifs prioritaires » sont si larges [article 14] que tous peuvent peu ou prou être concernés et les incitations peuvent potentiellement s’étendre sur 17 ans.
Le texte prévoit un arsenal d’incitations en tout genre [[Voir notamment : Cameroun: De nouvelles facilités pour l’Investissement privé, Jocelyne Ndouyou-Mouliom, Cameroon Tribune, avril 2013 ; Une nouvelle loi stimule les investissements privés au Cameroun, Mimouna Hafidh, avril 2013 – http://www.legriot.info/8610-une-nouvelle-loi-stimule-les-investissements-prives-au-cameroun/; 12 raisons pour investir au Camroun, Agence de promotion des investissements du Cameroun, http://investincameroon.net/?p=129]] :

  • Incitations fiscales et douanières (exonérations sur les droits d’enregistrement des actes de création ou d’augmentation de capital; de la TVA sur les prestations de services liées à la mise en place du projet et provenant de l’étranger; des taxes et droits de douane sur tous les équipements et matériels liés à l’investissement; de la TVA due à l’importation des équipements et matériels ; et exemptions ou réductions au paiement des taxes et autres impôts sur les sociétés, les bénéfices, …)
  • Incitations financières et administratives (droit d’ouvrir au Cameroun et à l’étranger des comptes en monnaie locale et en devises et d’y effectuer des opérations ; le droit d’encaisser et de conserver librement à l’étranger les recettes liées à leurs opérations; le droit de paiement directement à l’étranger des fournisseurs non-résidents ;…).
  • Incitations spécifiques pour les secteurs « prioritaires » dont l’agriculture (exonération de TVA sur les crédits; l’exonération de la taxe foncière) et l’exportation.
  • « Somme toute, aussi bien pour les investisseurs que pour le Cameroun, la nouvelle loi présente des avantages : c’est une belle illustration d’un partenariat public-privé à tendance gagnant-gagnant » conclue un article de presse camerounais.

Le texte va particulièrement loin ; ainsi le représentant du ministère des mines et du développement technologique se faisait l’écho de témoignages des investisseurs qui s’exprimaient satisfaits soulignant que cette loi était allée au-delà des attentes [[TJN-A, en collaboration avec le Centre Régional Africain pour le Développement Endogène et Communautaire (CRADEC), Atelier de Présentation de l’Etude sur la Fiscalité au Cameroun : Identification des problèmes clés liés à la Justice fiscale au Cameroun, Yaoundé, 3 juillet 2013, 13 p.]]. Alors gagnant pour le Cameroun …mais pour les camerounais ?

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