Au Kosovo, le Humanitarian Law Center recherche et fait connaître la vérité sur les crimes de guerre

Publié le 09.07.2014| Mis à jour le 08.12.2021

Betim ZLLANOGA travaille pour le Centre de droit humanitaire (Humanitarian Law Center) au Kosovo. Invité en France par le CCFD-Terre Solidaire, il témoigne du travail de recherche mené par son organisation sur les crimes commis pendant la guerre de 1999 et sur l’accès à la justice dans le tout nouvel état Kosovar.


Le Humanitarian Law Center (HLC) est à l’origine une ONG créée en Serbie en 1992 pour dénoncer la responsabilité de l’état serbe dans les crimes commis en Croatie, en Bosnie, et au Kosovo. Depuis les années 90, HLC recherche la vérité sur les crimes qui ont été commis dans les différents conflits de l’ex-yougoslavie. Ses membres contribuent à établir la responsabilité pénale des auteurs de crimes de guerre et de violations massives des droits de l’homme. Leur objectif est de promouvoir la primauté du droit et la justice comme un outil de prévention des conflits et de reconstruction pour toute la région. HLC au Kosovo travaille toujours en étroite collaboration avec HLC en Serbie, mais est devenue aujourd’hui une organisation autonome.

Quelle est l’activité d’HLC au Kosovo ?
Le Kosovo est engagé dans un processus de « justice transitionnelle » qui concerne tous les mécanismes judiciaires et institutionnels visant à faciliter la transition d’une situation de conflit à la paix et à la démocratie. Dans ce cadre nous faisons un suivi de l’instruction des procès pour crimes de guerre et des projets de réformes institutionnelles.

Le CCFD-Terre Solidaire nous soutient également depuis longtemps dans nos travaux de recherche et d’enquête pour établir la vérité concernant ce qui s’est passé au Kosovo pendant la guerre avec la Serbie et la période qui a suivi l’intervention de l’Otan. Nous avons créé une base de données avec l’ensemble des informations relatives à chaque personne tuée ou disparue afin de pouvoir recouper tous les témoignages et informations existantes. Nous avons ainsi pu éclairer de nombreuses familles concernant ce qui était arrivé à leurs proches. En mars 2011, nous avons publié le « Memory book », qui fait la synthèse de toutes les informations recueillies concernant les personnes tuées ou disparues en 1998. Nous travaillons actuellement sur la parution d’un prochain tome pour les années 1999 à 2001.


Chacun se pense unique victime

Vous avez fait un travail considérable pour rétablir la vérité sur ce qu’il s’est réellement passé pendant le conflit. Au-delà des familles concernées directement, le grand public est-il informé des résultats de vos recherches ?
Le public est en réalité très mal informé concernant cette période qui fait l’objet de beaucoup de propagande. C’est pourquoi nous avons commencé un travail de sensibilisation dans les écoles. Nous avons conçu une intervention d’une journée entière pour expliquer les mécanismes de la justice transitionnelle, et évoquer la guerre : nous donnons les chiffres sur le nombre de personnes qui ont été tuées ou ont disparu, ainsi que le nombre de procès en cours. Tous ces chiffres proviennent des recherches que nous avons menées. Actuellement nous préparons, pour le niveau collège, un chapitre sur la justice transitionnelle pour les livres scolaires du programme d’éducation civique. Nous aurions aimé pouvoir travailler sur les manuels scolaires d’histoire, mais nous avons senti que c’était trop tôt. L’histoire est un sujet encore très sensible dans les Balkans. Chaque peuple écrit son propre récit historique.

Comment réagissent les élèves ?
Lors de nos interventions, nous constatons qu’ils sont peu informés. Les jeunes kosovars sont souvent très étonnés d’apprendre que des Serbes, des Roms, des Ashkalis, ont aussi été victimes de la guerre. Les Albanais ont tendance à se penser comme ayant été les seules victimes, et les Serbes font la même chose. Il est important pour nous d’intervenir dans les écoles, qu’elles soient serbes ou albanaises, pour permettre aux enfants de s’ouvrir à des réalités plus complexes. Au final, cette action dans les écoles, qui a débuté de manière expérimentale, est aujourd’hui un nouveau challenge que nous souhaitons développer.

Comment travaillez-vous avec les ONG des états voisins concernant cette recherche de la vérité et de la justice?
HLC travaille avec d’autres ONG de la région en faveur de la mise en place d’une commission régionale sur les crimes commis en Ex-Yougoslavie. Nous nous inscrivons ainsi dans une dynamique de recherche de la vérité et de réconciliation régionale à travers une initiative qui s’intitule RECOM (regional commission on establishing the facts on Balkans countries). C’est une initiative prise par des ONG de la société civile dont font maintenant parties plusieurs milliers d’ONG. Lors de la dernière réunion, tous les présidents des républiques de l’ex yougoslavie y ont envoyés un représentant. Natacha Kandic, célèbre militante des droits de de l’homme et créatrice du premier HLC en Serbie en est la coordinatrice.

Les internationaux ont construit une sorte d’état idéal déconnecté de la population

Quelle est la stratégie du nouvel état kosovar face aux discriminations rencontrées par les différentes minorités, notamment serbes ou roms ?
Les minorités souffrent au Kosovo d’importantes discriminations. Il existe pourtant une stratégie gouvernementale pour la période 2009-2015 pour promouvoir et améliorer les droits des minorités. Mais en réalité, le gouvernement n’a encore rien fait depuis 5 ans. Aucun objectif n’a été atteint, et aucun ministère n’a dédié un budget pour son application. 90% des Roms, des Egyptiens et des Ashkalis sont au chômage. C’est très difficile pour eux d’avoir accès aux institutions publiques, à l’école, à la justice, aux services publics. Il y a un manque de budget évident pour permettre l’application des réformes, que ce soit au niveau national ou local. Ce manque de ressource est un problème majeur pour le Kosovo en général. Sur le papier, nous avons un système législatif de très bon niveau en termes de standards de droits de l’homme et de lutte contre les discriminations. Mais en réalité, leur application échoue, par manque de budget, mais aussi par absence de réelle volonté politique.

Comment sont perçues les institutions du Kosovo dont la mise en place a été chapeautée par la communauté internationale et notamment l’Europe ?
Beaucoup de nos lois ont été comme « copiés collés » de ce qui existe dans des pays développés avec une plus grande expérience démocratique que le nôtre. Les internationaux ont travaillé à construire sur le papier une sorte « d’état idéal ». Mais les standards apportés par la communauté internationale étaient souvent très éloignés de la base de la société. Ce n’était pas très réaliste. Il y a aujourd’hui un énorme travail de sensibilisation à faire auprès de la population.

D’un côté c’est très bien d’avoir ces lois anti discriminations et ces règles démocratiques. Mais si les politiques et le système judiciaire ne suivent pas, cela devient compliqué. Il existe trop d’interférences des politiques dans notre système judiciaire, et un grand nombre d’affaires ne sont jamais résolues. Nous avons par exemple un problème pour l’instruction des crimes de guerre.


« Le Kosovo reste le trou noir de l’Europe »

La présence de la communauté internationale au Kosovo a parfois été perçue par la population comme une nouvelle puissance occupante. Qu’en est-il aujourd’hui ?
La mandat d’Eulex , la mission « état de droit » de l’Union européenne au Kosovo devrait se terminer en juin. Mais, en réalité notre parlement vote chaque année pour prolonger son mandat. Nous avons beaucoup de questions à propos de l’efficacité d’Eulex et des suggestions à faire pour améliorer son impact. Mais pour l’instant nous préférons que son mandat soit encore prolongé car nous savons que notre système est encore trop faible et sensible à la corruption. Nous avons notamment besoin d’Eulex pour l’instruction des crimes de guerre.

Pouvez-vous circuler librement en Europe ?

Pour que je puisse venir en France, le CCFD-Terre Solidaire a du envoyer beaucoup de garanties et de documentations ! Au final j’ai obtenu un visa de 20 jours alors que mon billet d’avion prévoyait que je reste 25 jours. En réalité c’est très difficile pour les Kosovars d’obtenir des visas ! Tous les Etats autour de nous, comme la Bosnie, l’Albanie, la Macédoine, la Serbie peuvent désormais circuler librement dans l’UE. Mais pas nous. Le Kosovo reste un trou noir européen. Nous espérons que cela s’arrange d’ici la fin de l’année ou dans les deux ans qui viennent. Dans les Balkans, nous pouvons voyager en Macédoine, en Albanie et même en Serbie sans visa.

Propos recueillis par Anne-Isabelle BARTHELEMY

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