Bénin-Togo : « Une dynamique paysanne remarquable »
De retour d’une mission – entre les 8 et 16 juillet 2012 – dans les deux pays du golfe de Guinée, le Délégué général du CCFD-Terre Solidaire, Bernard Pinaud, se déclare « très impressionné » par les progrès accomplis en moins de dix ans par deux syndicats paysans partenaires.
À la fin des années 90, les organisations paysannes béninoises et togolaises étaient en jachère. « Le premier sursaut, pointe Bernard Pinaud, remonte à février 1999, lorsque le MRJC-Bénin et le CCFD-Terre Solidaire invitèrent à Lokossa (Bénin), 200 jeunes paysans béninois et togolais. » La rencontre a donné naissance à un nouveau cadre organisationnel, le Carrefour national des jeunes ruraux (CNJR). Ces quelques dizaines de jeunes leaders ont bientôt porté sur les fonts baptismaux, Synergie paysanne (SYNPA) en 2002 au Bénin et le Mouvement pour une alliance paysanne togolaise (MAPTO) en 2003. « Une décennie plus tard, reprend le Délégué général, j’ai rencontré des organisations en plein essor – plus de 1500 paysans adhèrent à SYNPA et près de 20 000 au MAPTO -, qui occupent le devant de la scène et sont de plus reconnues comme de précieux interlocuteurs par les gouvernements de Cotonou et Lomé. »
Comment en est-on arrivé là ? « Les paris audacieux mais judicieux effectués voici dix ans, tant par le CCFD-Terre Solidaire que par ses partenaires ont été couronnés de succès », répond Bernard Pinaud. En 2002 en effet, le CCFD-Terre Solidaire infléchit en profondeur sa stratégie de partenariat. « Nous avons alors transféré le soutien accordé aux ONG d’appui vers les petits paysans eux-mêmes. » Autrement dit, le CCFD-Terre Solidaire accepta de donner aux fondateurs du SYNPA et de MAPTO des moyens de fonctionnement, une ligne budgétaire pour les déplacements, un poste de coordination, etc. Une « aventure » qui s’est bien déroulée car, dans le même temps, les deux syndicats embryonnaires investissaient des champs d’action porteurs aptes à rassembler le monde rural.
Le Bénin, cible des accapareurs de terres
Ainsi, en 2005, le SYNPA inscrit la question foncière comme « sa première priorité » et tire la sonnette d’alarme à propos des achats massifs de terres. Belle intuition. Quelques années plus tard, les législateurs béninois s’efforcent toujours de réguler une situation foncière dominée par l’insécurité et marquée par la coexistence du droit coutumier et du droit moderne. « Surtout, complète Bernard Pinaud, les orientations libérales du régime du président Thomas Boni Yayi ont laissé la porte ouverte aux accaparements de terres. » On découvre que les grands pays africains (Éthiopie, Soudan) ou Madagascar n’ont pas le monopole de la prédation, mais que le Bénin et ses 113 000 km2 suscite aussi les convoitises. Une particularité tout de même : plus des deux tiers des acheteurs sont béninois. Parmi eux figurent même trois anciens présidents de la République ! Mais il n’est pas impossible qu’un certain nombre d’acquéreurs nationaux servent de prête-noms à des intérêts étrangers.
« Non seulement, remarque encore Bernard Pinaud, le SYNPA s’est mobilisé sur des thèmes qui avaient une résonance profonde, mais il a aidé des paysans considérés comme des citoyens de seconde zone à relever la tête et à affirmer fièrement leur identité paysanne. C’est la raison principale de son succès. » Signe de ces avancées, la Plate-forme des organisations paysannes béninoises (PNOPPA) a confié au SYNPA le soin de représenter le monde paysan dans les actions de plaidoyer et de négociations avec l’État. Prochaine tâche : sensibiliser et former les députés béninois aux enjeux fonciers du point de vue de la petite agriculture paysanne et des jeunes ruraux privés d’accès à la terre.
Potentialités agricoles togolaises
« Côté togolais, poursuit Bernard Pinaud, le MAPTO a bâti sa réputation en défendant les intérêts concrets des petits paysans. » Par exemple, il impose sur les marchés le « bol MAPTO », unité de mesure standardisée et non déformable de 2,5 kilos qui met un terme à la triche des commerçantes de céréales. Dans la région Centre, le Mouvement organise la filière céréales (maïs et riz) à partir d’une coopérative performante, la Rhincami. Au Nord, en pays kabyé, plus d’un millier de producteurs maraîchers sont rassemblés autour d’une quarantaine de groupements. « Surtout, le MAPTO a accru sa crédibilité en obtenant une hausse substantielle du prix du maïs payé aux paysans en 2009/2010. »
Certes, il a bénéficié d’une conjoncture favorable, le pouvoir cherchant à rallier le vote paysan avant l’élection présidentielle de 2010. Le succès n’en est pas moins incontestable. Au point que l’organisation est désormais considérée par les pouvoirs publics comme « la principale centrale paysanne du pays ». Cette affirmation sur la scène nationale s’est réalisée « à la manière d’une plante qui se développe d’abord à la racine ». Mais les fleurs sont déjà là : ainsi, l’un des membres fondateurs du MAPTO a été porté à la tête de la Chambre d’agriculture du Togo, avant de devenir vice-président de la Chambre d’agriculture d’Afrique de l’Ouest. « Aujourd’hui, indique Bernard Pinaud, le défi pour MAPTO est d’accompagner cette croissance aussi rapide que spectaculaire par une bonne formation de cadres et des leaders. Pour s’inscrire dans la durée. » Et inciter l’Etat togolais, qui ne consacre à l’agriculture que 3 % de son budget, à miser un peu plus sur ces paysans qui concourent tout de même à 38 % du PIB.
A l’heure du bilan, Bernard Pinaud insiste sur « la dynamique paysanne remarquable à l’œuvre dans les deux pays visités ». Il ajoute. « Cet éveil de la composante rurale des sociétés civiles africaines fait plaisir à voir. Là, j’ai reçu en quelque sorte confirmation de la sensation éprouvée précédemment lors des Forums sociaux mondiaux de Bamako et Dakar. »
« Après la dénonciation ces derniers mois du rôle délétère des paradis fiscaux, conclut Bernard Pinaud, cette dernière mission au Bénin et au Togo centrée sur les questions agricoles et foncières et la lutte contre les accaparements de terres, est une manière d’annoncer qu’elles seront au cœur de la communication et du plaidoyer du CCFD-Terre Solidaire lors du second semestre 2012. Une manière aussi de renouer avec l’une de nos thématiques fondatrices. »
Propos recueillis par Yves Hardy
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