Carême : dialogue interreligieux et vivre ensemble

Publié le 22.01.2016| Mis à jour le 08.12.2021

Le CCFD-Terre Solidaire et ses partenaires conçoivent et mettent en œuvre depuis trois ans un large programme régional de vivre ensemble : le Programme Paix. D’abord au Tchad et en République centrafricaine, aujourd’hui au Soudan du Sud et demain au Soudan, ce programme s’engage sur le long terme à aider les populations à construire une paix durable dans leur pays.


Comment parler de vivre ensemble au Tchad dans une société où deux communautés de religion différente, chrétienne et musulmane, s’observent avec méfiance et font peu d’efforts pour partager leurs valeurs et leurs cultures ?

Lors d’un grand forum de jeunes en février 2014, Ali, un leader associatif musulman d’une lointaine province, interpelle un imam de Ndjamena : « Pourquoi n’ai-je pas le droit de manger avec un chrétien ? »
C’est ensuite Jessie, une jeune chrétienne du Sud, mariée à un musulman, qui ose raconter en public que la famille de son mari l’avait écartée du repas familial pendant de nombreux mois jusqu’à ce qu’elle se convertisse à l’islam.

Mais quel islam ? « Chacun croit que ses coutumes sont islamiques, mais elles changent tous les 50 km. Lequel est le bon islam ? », note avec humour l’imam Oubrou, recteur de la grande mosquée de Bordeaux, invité à Ndjamena pour débattre fin 2012 avec la jeunesse tchadienne. Les confusions sont nombreuses entre une religion, ses diverses interprétations et son imbrication avec les coutumes locales multiples.

En outre, on confond facilement l’islam et l’intégrisme musulman, surtout dans le contexte actuel de violence djihadiste. Ainsi, les regards des chrétiens sur les musulmans sont en effet tout autant questionnables : « Tous les musulmans ont une arme » ai-je souvent entendu. À Bangui, un acteur important de la société civile centrafricaine me dit en aparté : « Les musulmans, ils nous narguent ! ». Toujours à Bangui, un leader politique local affirme devant moi, sachant qu’il est enregistré : « Les musulmans, ils n’ont pas leur place en politique en Centrafrique, leur place c’est le commerce »

Dépasser le discours haineux et permettre le débat

La question religieuse est abordée à travers de multiples projets par nos partenaires. À Bangui, la plateforme interconfessionnelle de la jeunesse centrafricaine (PIJCA) rassemble 18 organisations de jeunes ; elle mène de nombreuses actions auprès des jeunes (débats, mise en réseau, solidarité, réconciliation…) mais aussi un travail de médiation dans les zones de crises.
Au Tchad, le Réseau de jeunes pour la Promotion de la Paix et de la Citoyenneté (REPPACT) anime un large réseau d’associations dans 18 villes du pays et forme les jeunes à mener des actions au quotidien dans leur famille ou leurs quartiers, à l’école ou au marché.
Cela peut aller de la dénonciation publique des discours haineux, politiques ou religieux, à un travail d’explication auprès de certains parents afin de leur montrer que certaines coutumes n’ont rien de religieux, par exemple, l’interdit sur les repas en commun. Ce projet permet des débats entre jeunes et religieux, obligeant ainsi ces derniers à aller au-delà des réponses toutes faites.
Ainsi un imam a reconnu en public qu’il n’y avait pas d’interdiction au mariage entre une musulmane et un chrétien, ni d’obligation concernant les enfants à naître. Une petite révolution !
Un leader communautaire de la région du Guerra dans le centre du pays a témoigné que de simples paroles de l’imam Oubrou lui avait fait changer complètement sa propre perception des relations entre chrétiens et musulmans, ce qui l’a amené à faire mieux accepter la petite communauté chrétienne (souvent les maîtres d’écoles) dans son territoire. Serait-ce si simple ?

Une crise allant au delà du sens religieux

En Centrafrique, la crise est moins d’ordre religieux que politique et économique ; elle est le produit d’une double marginalisation, citoyenne et politique pour les musulmans, et économique pour les jeunes de provinces « plutôt chrétiens ». Aborder la crise par le côté religieux n’a pas de sens. Si la question identitaire (« Qui est Centrafricain ? ») fait sens pour les deux parties, c’est plutôt la demande de projets économiques qui est centrale dans la résolution du conflit du côté des milices « supposées chrétiennes » anti-balakas – les musulmans étant déjà plutôt bien intégrés dans les réseaux économiques.

Jacqueline, une responsable d’association de jeunes de Boali, un peu au Nord de Bangui, explique à la PIJCA que son association est capable d’amener les anti-balakas locaux à déposer les armes mais qu’il leur faut juste de petits moyens pour les remettre au travail dans les champs, mettre en place des formations et des activités sportives entre jeunes.
Didier, un ancien chef scout, nous raconte comment il a pris l’initiative d’aider un groupe de jeunes anti-balakas à remettre en état des bassins de pisciculture afin de relancer la production. Ce fut l’occasion de discuter de la crise, de créer la confiance et de les amener à quitter les milices. C’est aussi l’association ACORD RCA qui allie les projets de réhabilitation et de reconstruction du lien social dans le centre-ouest du pays, en organisant des « assises communautaires ». ACORD organise aussi des forums à Bangui sur les problématiques identitaires ou religieuses.

Lorsque nos partenaires du Programme Paix ont mené une mission de médiation à Boda, petite ville à l’Ouest de Bangui où la communauté peuhle (musulmane) réfugiée n’est pas autorisée à sortir du centre-ville, le discours des antibalakas était clair : « Il serait injuste de nous faire réconcilier avec les musulmans qui ont détruit nos habitations et laisser souffrir beaucoup des nôtres en brousse ou sur les sites des déplacés, sans abri ». D’où cette principale exigence : « Pas de réparations des maisons détruites, pas de réconciliation. »


Le dialogue interreligieux, un sujet politique

La question du vivre ensemble est singulière à chaque communauté, territoire et pays. S’engager dans cette voix suppose d’aller bien au delà du dialogue interreligieux pour poser plus largement la question de la justice sociale, de la reconnaissance citoyenne et de la mise en place de vrais projets publics axés sur le vivre ensemble.

Aujourd’hui, le Programme Paix rassemble 10 partenaires qui agissent dans leur pays afin de mettre en place des mécanismes qui permettent la gestion de la pluralité des identités, la conception d’une identité nationale, le développement d’une économie sociale, le soutien à des institutions et une gouvernance qui garantissent la pleine participation des communautés à la vie nationale. Ces partenaires agissent également sur la compréhension des crises — rôle des identités et aspects économiques — sur l’amélioration de la représentation démocratique et du dialogue politique, sur le rôle des femmes, sur la gestion des territoires, etc.

Le dialogue interreligieux fait pleinement partie de ces pratiques essentielles mais il est important de le sortir des lieux où il est confiné et d’ouvrir le débat sur le vivre ensemble dans toutes ses dimensions au sein de la société et d’en faire un sujet politique. Cela doit devenir un enjeu collectif clé pour les sociétés civiles, à elles de se mettre en action pour construire un véritable « commun ». •

Bruno Angsthelm
Chargé de mission Afrique centrale

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