Colombie : trois minutes pour comprendre la mobilisation populaire cinq ans après l’accord de paix

Publié le 28.06.2021| Mis à jour le 10.01.2022

Cinq ans après la négociation de l’Accord de paix en Colombie, une forte révolte populaire portée par la jeunesse se fait entendre. La mobilisation du « Paro » refuse l’héritage de la violence des conflits armés et conteste le gouvernement d’Iván Duque pour son manque de volonté à tenir compte des revendications d’une partie de la population. Décryptage.

© Jean-Claude Gerez /CCFD-Terre Solidaire
© Jean-Claude Gerez /CCFD-Terre Solidaire

Le 15 juin 2016, les négociations pour l’Accord de Paix entre le gouvernement et les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC) touchaient à leur fin. Après 4 ans de délibération, un document final était disponible et fixait un cap ambitieux pour mettre fin au conflit et reconstruire le pays.

Signé en novembre 2016, cet accord a permis de démobiliser la principale guérilla du pays mobilisée pendant plus d’un demi-siècle et qui avait été l’un des principaux acteurs de ce conflit armé.

Pour aller plus loin : retrouvez notre focus sur l’accord de paix et l’implication du CINEP dans ce processus de paix (2017)

Cinq ans plus tard, la Colombie fait face à une recrudescence des violences et des inégalités. En avril dernier, la colère de la population s’est fait entendre sous les tirs à balles réelles des forces de l’ordre, suscitant une onde de choc internationale. La répression a fait plus d’une soixantaine de morts.

En cause : une réforme fiscale de la droite dure d’Iván Duque. Ce projet a ravivé la colère de la population à l’heure où la pandémie a exacerbé la situation économique et sociale désastreuse du pays.

Mais les raisons de la colère sociale sont plus profondes.

Le refus de la répression et de la violence au cœur du « Paro Nacional »

La violence de la répression policière n’est pas nouvelle en Colombie. Elle s’inscrit dans l’héritage du conflit armé où s’est forgée une stratégie de militarisation de la police pour endiguer la guérilla, mais aussi toutes formes d’opposition.

Ce refus de la violence systématique est au cœur de la structuration du « Paro Nacional », un mouvement qui se mobilise depuis 2019 pour contester les violences policières et la politique répressive d’Iván Duque.

En novembre 2019, Dylan Cruz, un jeune étudiant tué d’une balle à la tête, est devenu le symbole de la répression policière, et en septembre 2020 la contestation a été ravivée pour dénoncer le meurtre de l’avocat Javier Ordóñez par deux policiers. Des milliers de jeunes avaient manifesté dans les rues de Bogota et des grandes villes : en à peine deux nuits de mobilisation, 12 personnes avaient été assassinées.

Les organisations partenaires colombiennes que nous soutenons, témoignent que l’excuse du confit armé n’est plus tolérée par la jeunesse qui rejette ce climat de peur et de violence.

Celle-ci veut des réformes de profondeur qui garantissent l’exercice de la mobilisation démocratique, le maintien de la paix et la protection des leaders sociaux et des défenseurs de l’environnement, toujours pris pour cibles dans les territoires ruraux.

La classe politique néglige l’application de l’Accord de paix

Fortement contesté par une partie de la population, le gouvernement d’Iván Duque au pouvoir depuis 2018, affiche un manque de volonté à appliquer une justice réparatrice et un modèle de développement qui étaient prévus par l’Accord de paix.

Un des six piliers de l’accord prévoyait la création d’un système pour assurer la vérité, la justice et la réparation des 7,8 millions de victimes du conflit.

Le manque de budget alloué à ces institutions et les attaques fréquentes du gouvernement pour affaiblir leurs mandats, compromettent le travail effectué par les différentes Commissions : comme celle chargée de faire la lumière sur les violations des droits humains pendant le conflit (Commission pour l’Eclaircissement de la Vérité), ou encore celle en charge des personnes disparues.

A lire aussi : En Colombie, une commission pour faire la vérité sur le conflit- Francisco De Roux

Ce manque de volonté politique à répondre aux traumatismes encore très présents, alimente la colère populaire.

La garantie de la libre parole au cœur des revendications

Les mécanismes de réconciliation prévus avaient aussi pour but de permettre aux revendications de s’exprimer autrement que par les armes, et grâce à la voix politique.

Or, de nombreux opposants et leaders sociaux, dont des anciens guérilleros, continuent d’être assassinés depuis 2016. Pour la seule année 2020, on compte 381 morts

Ce manque de garanties renforce la menace des autres groupes armés illégaux qui constatent les faiblesses de l’accord de paix : ce qui risque de ne pas les convaincre de se démobiliser à leur tour.

La faiblesse de la réforme agraire, alimente la pauvreté rurale et la violence

La contestation populaire déplore une classe politique issue d’une « élite urbaine » qui ignore les revendications de tout un pan de la population, alors que plus de 40 % d’entre elle vit désormais sous le seuil de pauvreté.

Une situation particulièrement critique pour les jeunes, et les communautés indigènes. Exclues des discussions sur le Plan National de Développement, ils souffrent de la frustration de ne pas être entendus.

L’accord prévoyait une réforme agraire pour assurer notamment la restitution des terres à des milliers de paysans qui ont dû fuir de force pendant les années de conflits.

Pourtant, « même lorsque les titres de propriétés, individuels ou collectifs, sont accordés, l’absence de l’Etat pour les faire reconnaître et appliquer facilite les menaces et les violences », explique Juan Sebastian Ospina, membre du CINEP, partenaire du CCFD-Terre Solidaire.

Après 16 ans d’exil, Juan Viloria tente, avec l’aide du CINEP de récupérer ses terres occupées illégalement © Jean-Claude Gerez / CCFD-Terre Solidaire
Après 16 ans d’exil, Juan Viloria tente, avec l’aide du CINEP de récupérer ses terres occupées illégalement © Jean-Claude Gerez / CCFD-Terre Solidaire

L’accord prévoyait également un plan de substitution des cultures illicites pour lutter contre les trafics de drogues, sources de violences et du renforcement des groupes armés illégaux. Mais le gouvernement a opté pour une approche répressive en éradiquant les plants de cultures illicites au moyen de glyphosate, sans inclure ni consulter les communautés concernées dans les processus de décision et la réflexion sur les alternatives.

La faiblesse de la réforme agraire conduit à une explosion de la pauvreté en zone rurale. Et favorise la violence à l’encontre des communautés paysannes et des défenseurs de l’environnement qui vivent sous la menace constante de nouveaux groupes armés et criminels qui ont investi les territoires libérés par les FARC.

A lire aussi : La terre, enjeu d’une paix durable en Colombie

La jeunesse colombienne, déterminée à construire la paix de demain

À travers les mobilisations du « Paro », la population colombienne, en particulier la jeunesse, affirme sa volonté de tourner la page avec la politique du gouvernement actuel dont elle n’attend plus rien.

Le regard tourné vers l’avenir, la nouvelle génération est déterminée à porter un modèle de société différent où le mécontentement pourra s’exprimer librement dans la rue et où toutes les voix pourront être entendues, sans violence ni répression pour construire une Colombie en paix.

Ophélie Chauvin.

Pour aller plus loin :
La paix en Colombie encore davantage fragilisée par l’élection d’Ivan Duque

Colombie : La mort malgré la paix

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