Comment renforcer le dialogue politique concerté sur la sécurité alimentaire au Sahel ?
Depuis des décennies, les ONG travaillent à l’amélioration de la sécurité alimentaire dans certains pays du Sahel. Avec le projet Diapoco-SA (DIAlogue POlitique COncerté sur la Sécurité Alimentaire), le CCFD-Terre solidaire propose aux acteurs locaux une nouvelle approche pour améliorer leur impact, en leur donnant les moyens d’influer davantage sur le choix des politiques publiques dans l’agriculture.
Florian de Jacquelot, chargé de mission pour le Sahel au CCFD-Terre Solidaire, présente le projet.
Dans quelle zone le projet va-t-il s’implanter, et quelle est la situation d’insécurité alimentaire sur place ?
Florian de Jacquelot : Nous allons travailler dans la zone du bassin du fleuve Sénégal, qui traverse les régions enclavées et isolées de cinq pays : le Sénégal, la Mauritanie, le Mali, le Niger, et le Burkina Faso. Dans toutes ces régions, éloignées des capitales et des lieux de décision,10 à 20% de la population ne peut pas s’alimenter de manière correcte en quantité et en qualité. La malnutrition infantile atteint toujours 20%. Les petits paysans, souvent isolés, et sans structure pour les aider, sont les premiers touchés. Ce sont aussi des régions concernées par un fort exode rural et des départs en migration.
Pourquoi est-ce important pour les ONG de travailler sur l’action publique ?
Cela fait une vingtaine d’années que le CCFD-Terre Solidaire travaille avec ses partenaires sur les questions de sécurité et de souveraineté alimentaire. Nous avons soutenu beaucoup de micro projets et de projets techniques dans ce domaine. Ces actions contribuent à améliorer la situation, mais souvent ponctuellement et localement. Avec les partenaires, nous ressentons maintenant le besoin d’aller plus loin pour lutter contre les causes structurelles de la faim. Or les politiques publiques peuvent avoir un impact beaucoup plus important que l’action des ONG. Le projet Diapoco propose précisément aux acteurs locaux de s’intéresser aux politiques publiques et à leur impact. C’est un premier projet lancé pour 3 ans, qui initie un travail sur le long terme.
Comment initier un dialogue politique sur la sécurité alimentaire ?
Pour arriver à être en capacité de dialogue avec l’Etat et influer les décisions politiques, nous devons aider nos partenaires à se construire localement une expertise sur les politiques publiques. Le projet cible les organisations paysannes et les acteurs locaux pour les former sur le fonctionnement de l’action publique de leur région et renforcer leurs capacités. La construction du projet passe d’abord par un inventaire réalisé par les partenaires de toutes les politiques publiques. Cet inventaire doit permettre d’identifier les points qui pourront faire bouger les lignes. Les partenaires seront amenés à réfléchir aux politiques de développement, aux moyens pour l’Etat d’investir dans une agriculture familiale. L’objectif est de repérer les initiatives intéressantes et qui fonctionnent pour les proposer à l’Etat.
Comment l’action publique des Etats de cette région peut influer sur la sécurité alimentaire ?
C’est l’Etat qui choisit comment l’argent public est investi dans l’agriculture. Ou encore s’il doit se protéger ou non de l’importation de certains produits. C’est lui aussi qui peut participer au financement des coopératives ou des organisations paysannes comme cela se fait en France. Ces politiques permettent de contribuer à la sécurité alimentaire du pays, à l’emploi des jeunes, au développement de territoires isolées.
Les tensions se sont accrues depuis une quinzaine d’années entre l’agro-industrie et l’agriculture familiale. Or on voit bien que l’agriculture industrielle ne répond pas à tous les enjeux de politique alimentaire, mais aussi de l’emploi. Il faut pouvoir porter la voix des paysans auprès de l’Etat, pour qu’il n’écoute pas que les argumentaires de ce qu’on appelle « l’agro business ».
Existe-t-il des exemples concrets ou les demandes des paysans ont permis de changer une politique publique et d’avoir un impact sur leur situation ?
A la demande des petits producteurs, le Sénégal a par exemple décidé depuis quelques années de bloquer les importations d’oignons pendant trois mois chaque année au moment de la récolte. Cette décision a permis de sécuriser toute une filière, avec l’augmentation des revenus des petits paysans. L’impact a été très important pour la population de toute une région importante productrice d’oignons.
Pourquoi travailler sur cinq pays à la fois ?
Tous les partenaires de la zone Nord du Sahel travaillent dans un environnement similaire. Mais les politiques agricoles sont très cloisonnées dans chaque pays. L’objectif est de créer des alliances et des échanges transfrontaliers.
Quels sont les acteurs qui portent le projet Diapoco ?
Le CCFD-Terre Solidaire joue un rôle de pilotage du projet, qui réunit plusieurs acteurs, dont des partenaires historiques très investis sur la question. Le GRDR existe depuis une cinquantaine d’années et rassemblait à la base des migrants, qui contribuent énormément au développement de leur région d’origine. Ils travaillent beaucoup sur les questions de souveraineté alimentaire.
Afrique verte, née dans les années 80,est une ONG dont le CCFD-Terre Solidaire est co-fondateur et travaille autour des questions de souveraineté alimentaire. Elle a beaucoup contribué à la transformation des céréales produites localement, comme le mil, le sorgho et le maïs. Aujourd’hui les associations nationales d’Afrique verte se sont autonomisées et se sont regroupées au sein d’une fédération : Afrique Verte International.
L’objectif pour les trois organisations est de définir une position commune sur les choix d’orientation des politiques publiques souhaitées. Ces positions seront ensuite relayées par d’autres acteurs. Au Mali, au Sénégal, au Niger, au Burkina-Faso, nous pouvons nous appuyer sur une forte structuration du monde paysan. Seule la Mauritanie est moins structurée. Le projet permettra de renforcer les capacités des organisations paysannes, de leurs membres et des élus des collectivités locales.
Propos recueillis par Anne-Isabelle Barthélémy
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