Corne de l’Afrique, une région convoitée faite de crises politiques et humanitaires récurrentes…

Publié le 24.08.2011| Mis à jour le 08.12.2021

En dehors des crises humanitaires comme celle de l’été 2011, la Corne de l’Afrique nous parait absente de toutes les préoccupations internationales et semble n’intéresser qu’une poignée d’universitaires et d’ONG de part le monde.


Et pourtant, cette partie du continent africain est au contraire un enjeu stratégique majeur pour les grandes puissances et ce depuis la fin du 19ème siècle. Ce ne sont pas les populations et leurs devenirs qui intéressent ainsi, mais le contrôle politique – et militaire – de ces territoires bordant la côte sud de la mer Rouge et le golfe d’Aden.

Après l’ouverture du canal de Suez en 1869, le contrôle de cette nouvelle route vers l’Océan Indien devient un enjeu stratégique pour les grandes puissances européennes qui commencent à y exercer leur emprise : l’Italie colonisa de 1880 à 1941 l’Erythrée et de 1890 à 1960 la Somalie ; la Grande Bretagne occupa le Nord de la Somalie (l’actuel Somaliland) de 1887 à 1960 et l’Erythrée de 1941 à 1952. Quant à la  France, elle occupa Djibouti.de 1884 à 1977.

Après la seconde guerre mondiale et pendant la guerre froide, la Corne de l’Afrique est un point chaud de la rivalité Est/Ouest. L’enjeu reste bien sûr le contrôle de la mer Rouge et du Golfe d’Aden mais aussi la lutte d’influence Est/Ouest sur l’ensemble du continent africain. Au cours de cette période, les deux blocs soutiennent des régimes forts – souvent dictatoriaux et opprimants pour leur peuple – et tentent régulièrement de renverser les régimes soutenus par le camp adverse. Les Etats Unis soutiennent ainsi jusqu’en 1974 l’empereur éthiopien Haïlé Sélassié, renversé ensuite par le dictateur Haïlé Mariam Mengistu. Ce dernier sera alors soutenu par l’Union Soviétique et Cuba. En Somalie, l’URSS soutient la dictature du général Siyaad Barre. Suite à un conflit avec l’Ethiopie, le dictateur somalien change d’alliance et se tourne en 1978 vers les États-Unis, avec lesquels il signe un accord militaire en 1980. Quant à la France, elle veille précieusement sur la stabilité politique de Djibouti en finançant et soutenant le régime en place.

Une région marquée par une histoire récente faite de crises politiques et humanitaires récurrentes

La chute de l’URSS et la fin de la guerre froide n’entrainent pas une stabilisation politique de la Corne de l’Afrique. Bien au contraire.

En Somalie, dès la fin des années 80, de multiples rebellions au nord et au sud provoquent une guerre civile. Elle entraîne la chute du dictateur en 1991, l’indépendance du Somaliland (avec les anciennes frontières coloniales) et laisse le sud du pays (l’ancienne Somalie italienne) dans un état de guerre permanent sans autorité gouvernementale centrale et uniquement contrôlé par un ensemble de seigneurs de guerre rackettant et pillant les populations locales. Le sud du pays sombre alors dans un chaos politique et humanitaire qui perdure jusqu’à aujourd’hui. Cette crise profonde entraine l’exode de centaines de milliers de personnes et le décès de centaines de milliers d’autres. En décembre 1992, face à l’urgence humanitaire – mais également inquiet par l’instabilité politique de la Somalie dangereuse pour la sécurisation de la voie maritime stratégique vers l’Océan Indien – le gouvernement américain intervient militairement en Somalie. Sous l’égide de l’ONU, cette opération humanitaire et militaire, Restore Hope, est un échec. Elle se termine en 1995 par le retrait des troupes américaines et de celles de l’ONU laissant sur place des populations aux mains de chefs de guerres et autres milices islamiques.  En 2006, l’Union des Tribunaux Islamiques (UTI) parvient à reprendre Mogadiscio aux mains des « Seigneurs de Guerre » – alors soutenus par les USA – et envisage de reconstruire une Somalie unie. L’Ethiopie voisine voit alors d’un mauvais œil la perspective d’un tel Etat islamique (même si beaucoup d’observateurs qualifiaient l’Union des Tribunaux Islamiques comme modérés) d’autant plus que l’Ethiopie soupçonne l’Erythrée de soutenir l’UTI. Enfin, l’Ethiopie redoute que la Somalie revendique une nouvelle fois le territoire éthiopien de l’Ogaden. Après les attentats du 11 septembre 2001, les USA craignent que la Somalie devienne un Etat islamique radical. Ce vaste territoire non contrôlé pourrait servir de base arrière pour des mouvements terroristes (l’UTI est soupçonnée par les USA d’être soutenue par l’Iran et d’être également liée à la mouvance Al-Qaida) et qui menacerait la circulation maritime dans le Golfe d’Aden. C’est ainsi, que fin 2006, l’Ethiopie intervient militairement en Somalie avec le soutien des USA et de l’Union Africaine. Cette opération permet au Gouvernement Fédéral de Transition Somalien – issu des accords de Djibouti de 2000,  mais contesté par les Tribunaux Islamiques et par les Seigneurs de Guerre – de revenir dans la capitale. Depuis, la situation est enlisée. L’armée éthiopienne – épaulée par une force de l’Union Africaine (troupes ougandaises et burundaises) – est très impopulaire auprès des populations et est soumise à des attaques incessantes de la part des milices islamiques (Al-Shabab issues des éléments extrémistes de l’UTI et liées à Al-Qaida) et des Seigneurs de Guerre. Le Gouvernement Fédéral de Transition, instance reconnue par la communauté internationale, et soutenu par l’Ethiopie et l’Union Africaine ne contrôle qu’une infime partie du territoire somalien (même la capitale n’est pas contrôlée).

En Ethiopie, la fin des années 80 (1984-1985) est marquée par de grandes famines. Celles-ci sont provoquées par une situation climatique extrême mais amplifiée par les conséquences des politiques passées en matière de réforme agraire et également aggravées par le régime socialiste de Mengistu. Celui-ci, au plus fort de la famine et au motif de lutter contre l’insécurité alimentaire, déplaça manu-militari plus de 600.000 personnes du nord (particulièrement les régions où sévissaient des mouvements rebelles) vers le sud du pays. Le régime imposa également en 1985 aux populations paysannes déjà fragilisées (plus particulièrement celles des territoires en proie à des mouvements rebelles hostiles au régime) une politique de  villagisation, officiellement pour optimiser les productions agricoles mais dans la réalité pour mieux contrôler ces territoires et les mouvements de populations. Cette politique de villagisation et de déplacement forcé de populations entraina une diminution forte des récoltes. Pire, il s’est avéré par la suite qu’une grande partie de l’aide alimentaire et financière mobilisée au niveau international était détournée par le régime de Mengistu pour nourrir son armée et ses milices et fixer la population civile ciblée par la politique de villagisation. Comme en 1973, où une famine très grave provoqua la chute du pouvoir impérial d’Haïlé Sélassié, le régime de Mengistu sort fragilisé de cette tragédie humanitaire (plus d’un million de morts). Ayant perdu avec la fin de la guerre froide le soutien financier et politique de l’URSS, étant accusé par la communauté internationale d’avoir amplifié la crise par le déplacement forcé de populations, fortement contesté à l’interne du pays, Mengistu est renversé en 1991 par le Front Révolutionnaire Démocratique du Peuple Ethiopien (FRDPE) et par les forces du Front Populaire de Libération de l’Erythrée. Un gouvernement de transition est mis en place en Ethiopie et des élections législatives sont organisées en 1995 et gagnées par le FRDPE. Ce parti – contrôlé par Meles Zenawi – dirige le pays depuis cette date et a gagné de façon contesté les différentes élections qui y ont été organisées depuis (en 2005, le résultat des élections générales est remis en cause par l’opposition. De violentes manifestations éclatent dans le pays font de nombreux morts). Depuis, ce pays – touristique et qui accueille le siège de l’Union Africaine (ce qui fait d’Addis- Abeba un grand centre diplomatique sur le continent) – donne l’apparence d’un pays avec une certaine stabilité politique qui masque néanmoins de fortes contestations internes. Mais la liberté d’association et d’opinion y est extrêmement restreinte. Le régime éthiopien est accusé régulièrement par les organisations internationales comme Human Rights Watch de violations des droits de l’homme et de détournement de l’aide de développement internationale  à des fins partisanes (discrimination contre les opposants politiques et les dissidentes). Le fait que l’Ethiopie accueille le siège de l’Union Africaine et soit le principal allié des puissances occidentales dans cette région particulièrement instable, explique la diplomatie silencieuse et la relative mansuétude dont bénéficie le régime éthiopien.

Deux ans après la chute de Mengistu, et après trois décennies de rebellions, l‘Erythrée déclare son indépendance privant ainsi l’Ethiopie d’un accès vital à la mer. Les relations avec l’Erythrée se détériorent jusqu’à l’éclatement (juin 1998 – décembre 2000) d’un conflit armé – particulièrement meurtrier et dramatiques pour les populations. Depuis, les relations entre les deux Etats demeurent tendues. L’Erythrée est un pays fermé, contrôlé par un régime politique dictatorial et où la liberté d’association, d’opinion et de circulation n’existe pas. Les violations des droits de l’Homme (comme la torture, le travail forcé) sont fréquentes et sans cesse dénoncées par les grandes organisations internationales comme Human Rights Watch. La situation stratégique de l’Erythrée en bord de la mer Rouge, ses soutiens aux milices islamiques en Somalie et son nationalisme sourcilleux et belliqueux  vis-à-vis de l’Ethiopie fait de l’Erythrée un pays particulièrement suivi par la communauté internationale mais paradoxalement sans initiative politique de grande envergure pour aider à une normalisation de la situation. La situation sociale et alimentaire des populations est régulièrement préoccupante et l’isolement du pays fait que les interventions extérieures pour leur venir en aide restent très limitées.

Le Soudan est quant à lui dirigé par un régime militaro-islamique, présidé par le général Omar el-Béchir depuis 1989. Le pays est miné depuis son indépendance de 1956 par des conflits internes très violents entre le pouvoir central basé à Khartoum et des mouvements rebelles issues des régions périphériques : le Sud Soudan (de 1955 à 1972 puis de 1983 à 2005), l’Est du Soudan (de 1958 à 2006), au centre dans les Monts Nouba (des années 60 à 2002) et à l’Ouest, dans la région du Darfour depuis 2003. Ces multiples conflits créent une instabilité récurrente auprès des populations, particulièrement en zone rurale et entraînent des situations humanitaires graves comme au Darfour depuis 2003 mais également au Sud Soudan (famine de 1988 par exemple). Un processus de paix entre le Nord et le Sud Soudan a été initié en 2001 et a abouti à un accord de paix global (CPA- Comprehensive Peace Agreement) entrée en vigueur en janvier 2005. Cet accord porte à la fois sur les relations entre Khartoum et le sud Soudan mais aussi sur l’ensemble du pays (partage du pouvoir et des richesses, conflits au sud Kordofan, au Nil Bleu, à Abyei,…). Cet accord prévoyait entre autre la tenue d’un référendum d’autodétermination pour le Sud Soudan qui s’est déroulé en janvier 2011 et a conduit à l’indépendance de la République du Soudan du Sud le 9 juillet 2011. La création de ce nouvel Etat ne veut pas dire normalisation de la situation politique, sociale et économique des deux Soudan bien au contraire. Des défis colossaux attendent ces deux pays dans les années à venir. L’indépendance du Sud Soudan est vécue par les élites politiques du nord comme un traumatisme. La survie politique du régime pourrait passer par un durcissement de celui-ci via un renforcement annoncé de la charia et un recul des espaces démocratiques qui ont été favorisés par le CPA. Le nord Soudan connait une situation sociale et économique difficile et exacerbée par la perte de la rente pétrolifère (les ressources en pétrole se situent majoritairement au sud). En janvier 2011, des manifestations contre la vie chère ont été durement réprimées. Afin d’éviter une contagion du « Printemps Arabe », sont fréquemment répétées diverses annonces officielles rappelant la révolution de 1989 et l’ouverture de négociations sociales. La perte du sud-Soudan change également la donne politique au nord. Par exemple, la région du Darfour représente dorénavant le tiers du territoire soudanais ce qui risque de raviver les revendications darfouries.

La nouvelle République du Soudan du Sud, quant à elle est confrontée au double défi de la construction d’un Etat sur le long terme tout en faisant face à des urgences sociales et économiques très fortes (le sud-Soudan sera très vraisemblablement le dernier pays du prochain classement IDH (Indice de Développement Humain), du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) tant ses capacités en matière d’éducation, de santé, de sécurité alimentaire, etc., sont faibles). Les mouvements de populations de grande ampleur entre le nord et le sud Soudan constatés depuis le début de l’année 2011 viennent accentuer la pression démographique au Sud qui ne dispose pas des infrastructures nécessaires pour les accueillir ni parfois les nourrir. Malgré la fin du CPA et l’indépendance du Soudan du Sud, de nombreux points d’achoppement existent entre le Nord et le Sud Soudan qui compromettent les relations entre les deux pays (litiges territoriaux, partage de la manne pétrolière, répartition de la dette, etc.). La création du Soudan du Sud, les évolutions à venir au Soudan mais également les conséquences des changements de régimes politiques en Egypte et en Libye auront des répercussions pour la région et modifieront des équilibres politiques déjà fragiles. Par exemple, le partage des eaux du Nil était jusqu’ici régit par un accord de 1959 qui octroie au Soudan et à l’Egypte 74% des eaux du Nil. L’arrivée du Soudan du Sud entraînera très vraisemblablement une remise en cause de cet accord réclamée de longue date par l’Ethiopie, l’Ouganda, la Tanzanie et le Rwanda.

Depuis le 11 septembre 2001, une région d’abord perçue comme une menace pour l’Occident.

Les attentats d’août 1998 contre les Ambassades des Etats-Unis à Nairobi (Kenya) et Dar-es-Salam (Tanzanie) suivi en octobre 2000 par l’attaque du navire américain USS Cole à Aden (Yemen) entraînent un regain d’attention des USA et de la communauté internationale pour cette région d’Afrique. Ce ne sont plus seulement le contrôle de la mer Rouge, ni les famines récurrentes qui préoccupent les USA et leurs alliés, mais également le fait que ces territoires politiquement fragiles et non contrôlés puissent héberger des mouvements armés avec une capacité militaires suffisante pour s’opposer aux puissances occidentales et à leurs intérêts. Les conséquences des attentats de 1998, puis de ceux du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis viennent donner un second intérêt géostratégique pour les USA et leurs alliés vis-à-vis de cette région. Outre le contrôle politique de la liaison maritime Méditerranée – Océan Indien, la lutte contre le terrorisme deviendra l’objectif premier de la communauté internationale vis-à-vis de cette région.

La piraterie maritime originaire de Somalie (mais également du Yemen) existe depuis les années 90 mais a connu à énorme essor en 2005. En réponse aux fréquentes attaques des navires commerciaux, des bâtiments militaires de plusieurs pays sont mobilisés depuis 2008 (Union Européenne, USA, Russie, Inde, etc.) pour escorter les navires marchands et lutter contre les pirates. En plus de la lutte contre le terrorisme international, la lutte contre la piraterie devient ainsi la deuxième préoccupation de la communauté internationale vis-à-vis de la Corne.

Enfin, cette région africaine située à la croisée du monde arabo-musulman et africain se caractérisent par un ensemble de trafics lucratifs (armes, drogues, etc.) entre le Soudan, l’Ethiopie, la Somalie, l’Ouganda, la République Démocratique du Congo (RDC), la République Centrafricaine. Ces trafics sont contrôlés par des bandes armées qui veillent jalousement sur leurs territoires d’action, contribuant ainsi à l’instabilité chroniques de vastes régions et à l’insécurité des populations locales. La jonction des bandes armées entre l’Ouest (Mali, Niger, Tchad) et l’Est de la bande sahélienne est plus que probable (sinon déjà réalisée via la LRA par exemple). Cette situation vient conforter à la Corne de l’Afrique son statut de région très instable et hostile pour l’Occident (pays de l’Union Européenne et USA) ce qui ne peut que détourner encore plus l’attention de la communauté international du sort des populations locales. La LRA (Lord’s Resistance Army- Armée de résistance du Seigneur) était au départ un mouvement de rébellion nord-ougandais crée en 1987. Ce mouvement aux motivations politiques nébuleuses était connu jusqu’aux années 2000 pour ses violences et atrocités commises contre les civils en Ouganda. Confrontée à une intense offensive de l’armée ougandaise depuis 2005, la LRA sort de son territoire traditionnel et s’éparpille entre la République Démocratique du Congo, la Centrafrique, le Soudan du Sud, et le Sud du Darfour. Dans tout ces pays, elle est accusée de massacrer les populations civiles, de procéder à des enlèvements massifs entre autres d’enfants (pour servir d’enfants soldats et d’esclaves) et de s’adonner à des trafics d’armes, de drogues et de minerais précieux. La LRA est depuis pourchassée – avec des résultats mitigés car elle reste une cause importante de trouble dans ces régions – par les forces ougandaises (Uganda People’s Defence Forces) au Sud Soudan, en RDC, en RCA avec l’appui limité des armées de ces pays qui n’ont pas les capacités opérationnelles nécessaires.

Et les populations ?

Victimes et oubliées de ces conflits, les populations de la Corne vivent majoritairement en zone rurale. Nomades et vivant du bétail pour une très grande partie ; agriculteurs sédentarisés pour les autres, l’existence de ces populations est fortement soumise aux aléas climatiques de cette région du monde caractérisée par un climat chaud et une faiblesse des précipitations annuelles (semi désertique en Erythrée, au nord du Soudan, de l’Ethiopie et de la Somalie, semi-tropical avec de longues périodes de sécheresse dans les autres parties de la Corne) Depuis une dizaine d’année, il est constaté une diminution régulière des pluies, conséquences selon les météorologues du courant chaud El Niño venu de l’Océan Indien. Ce climat ne permet pas un couvert végétal permanent et oblige les populations nomades du nord à migrer vers les pâturages du sud pendant la période de sécheresse. La quasi-majorité des agriculteurs pratiquent une agriculture peu intensive et peu mécanisée et principalement à portée vivrière (teff, sorgho, millet, arachide, etc.). Les enjeux autour de l’eau sont énormes. Eau pour la consommation humaine bien sûr, mais aussi pour les récoltes et le bétail (qui outre être un capital économique revêt d’abord une importance culturelle et de cohésion sociale au sein des clans et entre les groupes communautaires). Les conflits autour des points d’induction d’eau et entre éleveurs et agriculteurs sont nombreux. Malgré le fait que ces populations agricoles soient majoritaires, elles ont été peu accompagnées et appuyées par les gouvernements locaux et la coopération internationale pour les aider à moderniser leurs techniques agricoles mais également pour qu’elles puissent bénéficier d’infrastructure routières, de santé, d’éducation, etc. Ces populations sont bien sûr les premières victimes de l’insécurité qui caractérise l’ensemble des pays de la Corne. Il devient alors très difficile pour une famille paysanne de la Corne de pouvoir capitaliser un minimum de richesses et de développer sur le long terme ses outils et moyens de productions tant les incidents climatiques et sécuritaires sont récurrents et obligent très souvent les familles à abandonner ou revendre les quelques biens en leurs possessions.

Les organisations locales structurées

Partout dans le monde, le développement social, économique et culturel d’un territoire ne peut se faire sans ses habitants. La structuration de ces populations en organisations locales en capacité d’analyser leurs contextes et de mettre en œuvre des actions locales de développement et de transformation sociale est indispensable. C’est un formidable levier durable de développement. Les partenaires habituels du CCFD-Terre Solidaire sont ces organisations émanant des communautés locales. La Corne de l’Afrique se caractérise par une très faible structuration associative. L’instabilité politique, les nombreux conflits, les mouvements forcés de populations et les faibles espaces démocratiques laissés au citoyens ne leurs permettent pas de pouvoir s’organiser entre eux pour construire leurs propres développement et défendre leurs intérêts et leurs droits. Certes, il existe de nombreuses associations locales d’entraide et culturelle, mais peu de mouvements d’envergure en capacité d’élargir leur territoire d’action, de pérenniser leurs actions de développement et d’influer sur les Etats pour qu’ils développent des politiques sociales ambitieuses.

En Somalie, après les guerres et les sécheresses, la solidarité clanique a canalisé les seules ressources : l’aide internationale, l’argent des expatriés et les trafics en tout genre. Le nombre des intervenants humanitaires internationaux est faible compte tenu de l’insécurité récurrente. Les acteurs locaux structurés de la société civile sont peu nombreux.

L’Ethiopie quant à elle possède une société civile dynamique et très nombreuse que se soient dans les quartiers ou les villages (organisations paysannes, de jeunes, de femmes, etc.) ou au niveau national. Les actions des associations liées aux Eglises chrétiennes sont nombreuses et couvrent quasiment tout le territoire. Les ONG internationales sont également nombreuses à intervenir dans ce pays mais sont fortement restreintes dans leurs actions par une surveillance continue et accrue des autorités sur leurs activités. La majorité de ces organisations locales, nationales et internationales concentrent leurs activités vers la prestation de services sociaux pour les populations. Les faibles marges de manœuvre laissées par le pouvoir font qu’il est d’ailleurs très difficile pour la société civile de sortir des actions de prestations de service et de structurer des mouvements citoyens (paysans par exemple) en capacité de défendre leurs droits. En 2010, est entrée en vigueur en Ethiopie une législation qui interdit aux ONG internationales et nationales d’être actives sur les questions liées aux Droits de l’Homme et limite le financement extérieur des ONG locales.

L’Erythrée connait un régime politique qui ne laisse aucun espace pour une liberté associative. Il existe un très grand nombre de petites associations d’entraide ou culturelle, mais mis à part les organisations satellites du parti (Union des femmes, des jeunes) et la présence de quelques ONG étrangères, il n’y a pas de société civile organisée en Erythrée (organisations paysannes, de droit de l’homme, etc.) .
Au Soudan, il existe un fort clivage entre une élite militante, bien éduquée et parfois politisée et qui dirigent les organisations qui comptent dans le paysage associatif nord-soudanais et des associations de quartiers ou de villages moins visibles et à l’action limitée et principalement orientée vers la prestation de service et l’action culturelle. Le tissu associatif en zone rurale est faible. Le monde paysan soudanais est peu structuré. Les actions des Eglises chrétiennes au Soudan sont à souligner compte tenu de l’importance des services sociaux et éducatifs proposés (principalement dans la banlieue de Khartoum où résident la majorité des réfugiés sud soudanais). Les mouvements massifs de population du nord vers le sud du Soudan observés depuis le début de l’année 2011 influeront sur le nombre et la qualité des services proposés par les Eglises. Le resserrement des espaces démocratiques envisagés au Soudan suite à l’indépendance du Sud réduira très vraisemblablement la capacité d’action de la société civile soudanaise.

Le Soudan du Sud connaît quant à lui une quasi-absente de société civile organisée mis à part des petites associations culturelles ou d’entraides dans les quartiers de Juba, dans les villages et dans les camps. En plus de la très forte intervention étrangère (Nations Unies, ONG internationales) principalement orientées vers les actions d’urgence, les Eglises chrétiennes et plus particulièrement l’Eglise Catholique sont les seules organisations en capacité de proposer en plus des actions d’urgence, des prestations sociales régulières et un accompagnement agricoles des populations et ce dans quasiment toutes les régions du pays.

On le comprend au travers de ces rapides éléments d’analyses que du fait de l’énormité des enjeux, l’avenir de la Corne de l’Afrique ne peut plus être simplement abordé à coup d’aide humanitaire d’urgence et de lutte contre le terrorisme ou les trafics internationaux. Ce ne sont pas les quelques rencontres internationales convoquées pour faire face aux urgences humanitaires qui permettront aux millions d’hommes et de femmes qui vivent sur ces territoires de se construire un avenir meilleur. Ses habitants ont besoin d’être accompagné sur le long terme pour reconstruire une cohésion sociale mise à mal par des décennies de conflit et développer une agriculture familiale et pastorale en capacité de les nourrir et d’affronter la rigueur du climat et les conséquences du changement climatique. Ce sont sur ces deux enjeux majeurs que se mobilisent le CCFD-Terre Solidaire et ses partenaires depuis plus de vingt ans. Plus que pour toutes autres régions du monde,  aucune avancée pérenne ne sera possible dans la Corne de l’Afrique sans une véritable approche politique globale de la part de la communauté internationale qui permettra la résolution des multiples conflits, une stabilité politique et la mise en œuvre de véritables politiques de développement territorial impliquant les populations concernées.

Philippe Mayol
Responsable du service Afrique
CCFD-Terre Solidaire

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