Côte d’ivoire : L’Ouest renaît de ses cendres
La région de l’Ouest a été le théâtre de violents affrontements en 2011. Pourtant, y compris à Duékoué, lieu des tueries les plus féroces entre communautés, la vie reprend ses droits. D’aucuns imaginent même que l’esprit de concorde y prévaudra demain.
Dahoua, le 3 février 2012. Dans ce petit village proche de Duékoué, la fête de la réconciliation bat son plein. Après le match de foot entre l’équipe locale et celle voisine de Bahebe, des adolescents chantent et dansent au son des djembés. « Les dessins au kaolin sur leur peau sont signes de bonheur », renseigne Jean-Baptiste Monpaho, président du comité de paix de Dahoua. Puis vient le tour des fi lles, âgées de huit à onze ans, qui concourent pour le titre de mini-miss. Elles défi lent devant le parterre des notables et la population et lâchent quelques mots au micro : « Nous sommes toutes des Ivoiriennes », « Chers parents, aidez-nous à vivre. » Elles repartent en se déhanchant sous les applaudissements et les sourires de l’assistance.
Des femmes et des enfants traumatisés par les violences
À Dahoua, quinze femmes ont été victimes d’un viol collectif durant le conflit. Il n’y est pas fait allusion lors de la cérémonie. « Elles redoutent d’être stigmatisées, raconte Cécile Koffi , assistante sociale de l’Asapsu, partenaire du CCFD-Terre Solidaire[[L’Association de soutien à l’autopromotion sanitaire urbaine (Asapsu) intervient dans la région de l’Ouest depuis 2003.]]. Mais elles nous ont raconté les violences subies. » Quatre assistantes sociales et deux psychologues accueillent les femmes victimes de violences au Centre de Duékoué ouvert par l’Asapsu avec le soutien du CCFD-Terre Solidaire.
« Sur plus de deux cents femmes venues en consultation, indique Cécile Koffi, la majorité était âgée de vingt-deux à quarante ans, mais nous avons eu aussi la visite de jeunes filles de treize ans et de personnes âgées. C’est dire la folie qui a dévasté la région. » « Une relation de confiance s’est instaurée avec les femmes, reprend l’assistante sociale. Elles jouent le rôle de relais et nous adressent d’autres victimes. »
Des enfants fréquentent aussi le Centre. La pratique du dessin les aide à évacuer les chocs. Certains demeurent inconsolables. Comme cette petite fille dont la grand-mère a été tuée sous ses yeux. Depuis, chaque jour, elle cherche la robe bleue qu’elle lui avait offerte et qui fut volée dans le pillage suivant le meurtre.
Au fait, pourquoi la ville de Duékoué a-telle été l’épicentre de ce déchaînement de violences qui s’est soldé par plusieurs centaines de morts ? « Il est indéniable, répond une responsable d’ONG, que les assassinats ont été commis par les deux camps : autochtones Guérés d’un côté ; “allogènes” Dioulas et migrants étrangers soutenus par les Forces nouvelles et la confrérie des chasseurs Dozos, pro-Ouattara, de l’autre. »
Une propagande délétère
« Cependant, reprend-elle, les esprits ont d’abord été échauffés, conditionnés même, par les Jeunes patriotes pro-Gbagbo. Ils ont multiplié les meetings et les discours de haine. » Selon plusieurs témoins, des Kalachnikov ont été distribuées en nombre. Les premiers affrontements meurtriers se sont déroulés dès janvier, signes avant-coureurs de la crise qui éclatera fi n mars.
« C’était l’horreur, se souvient Cyprien Ahouré, le père salésien qui dirige la Mission catholique de Duékoué. Les appels au meurtre fusaient de partout. Les populations terrorisées se sont réfugiées chez nous. Sur notre territoire exigu, nous avons accueilli jusqu’à 32 700 déplacés. On avait du mal à se frayer un chemin pour distribuer la nourriture et soigner les blessés. » Ils sont désormais moins d’un millier à séjourner dans l’enceinte de la Mission. Beaucoup ont été transférés un peu plus loin, sur le site de Nahibly, plus vaste, mieux équipé et cogéré par les ONG Caritas et Afrique secours et assistance (Asa). L’Unicef a installé des écoles. Sous des tentes, le camp de déplacés abrite encore près de 6 000 personnes. « Où aller ? Nos maisons ont été brûlées », répètent à l’envi les familles accueillies.
Dans le quartier « Guéré », les maisons « décoiffées », les façades sans porte ni fenêtre, les murs noirs de suie, témoignent des violences passées. Pourtant, là aussi, la vie revient. Quelques familles rebâtissent au milieu des ruines. Une vendeuse de rue fait cuire des bananes plantains pour préparer un plat d’alloco pour les nouveaux résidents. À proximité, le marché du centre ville renoue avec l’animation d’antan. On joue des coudes pour accéder aux étals de fruits et légumes bien achalandés. Les mêmes scènes se répètent à Guiglo, bourg voisin, où les taxis signalent à coups de klaxon la reprise des activités.
L’espoir d’une nation arc-en-ciel
Retour à la Mission catholique de Duékoué, où le père Cyprien invite à partager un repas. « Mes nuits sont encore agitées par le souvenir des morts », avoue-t-il. Il songe également au père Bixente qui l’a accompagné lors des mois difficiles et qui a dû repartir se soigner en Espagne : il était épuisé à force d’insomnies. Pourtant, le père Cyprien trouve les ressources pour « rêver à l’avenir ». « Je ne pense pas quitter Duékoué maintenant, dit-il. Je voudrais construire un centre culturel doté d’une bibliothèque, un lieu de dialogue et d’écoute entre communautés. » Il marque une pause, puis continue de dérouler son rêve : « J’imagine la Côte d’Ivoire de demain comme une nouvelle nation arc-en-ciel. Nous ne pouvons pas revenir en arrière. Nous sommes une nation multiculturelle et pouvons intégrer nos étrangers. Il nous faut renouer avec le projet de Félix Houphouët- Boigny et bâtir une Côte d’Ivoire cosmopolite et pacifiée. »
Étonnant paradoxe : c’est à Duékoué, hier ville-carrefour de la haine, que l’on trouve les plus encourageants motifs de renaissance du pays !
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