Gouvernance locale et évasion fiscale

Publié le 13.04.2011| Mis à jour le 08.12.2021

Selon Marc Traore, directeur des Programmes et projets du Centre Djoliba, ONG malienne, la conscientisation des populations peut permettre – à terme – d’enrayer l’évasion fiscale et la corruption, obstacles majeurs au développement. Interview.


« La bonne gouvernance locale freine l’évasion fiscale »

Selon les estimations, plus de 730 millions de dollars de recettes fiscales s’évaporent chaque année de votre pays, soit près du double du budget de l’agriculture. Ce thème est-il matière à débat à Bamako ?

M.T. : Un fait divers a défrayé la chronique en novembre 2009, l’accident d’un avion, surnommé le « Boeing d’Air cocaïne », dans le nord-est du pays. À l’occasion, les Maliens ont fait plusieurs découvertes. Primo, le gouvernement ne dispose pas des moyens de contrôler tout l’espace aérien de son territoire. Secundo, la cargaison de drogue de l’avion et l’équipage s’étant volatilisés, l’incident a révélé que les narcotrafiquants jouissaient de complicités dans l’appareil d’État. Tertio, il se confirmait que le Mali était un pays de transit vers l’Europe de la cocaïne produite en Amérique latine.

Au-delà du trafic de drogue, le gouvernement a-t-il déjà été mis en cause ?

Oui. Un détournement d’argent mobilise les médias depuis septembre 2010. On a alors découvert que 2 milliards de F. CFA (plus de 3 millions d’euros), octroyés par le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, avaient été dilapidés par le ministère de la santé. L’enquête en cours a mis au jour un ensemble de malversations : surfacturation de médicaments, falsification de chèques, etc. Le ministre de la Santé, Oumar Ibrahima Touré, a dû démissionner et une vingtaine d’agents du ministère ont été inculpés et incarcérés. Le rapport d’enquête final, attendu fin avril 2011, devrait revoir le montant de cette fraude massive à la hausse.

Quid des entreprises multinationales ?

Elles sont peu nombreuses, mais présentes dans le secteur minier. La multinationale sud-africaine AngloGold Ashanti, spécialisée dans l’extraction aurifère, exploite trois mines d’or : Sadiola et Yatela près de Kayes, Morila près de Sikasso.  Problème : les recettes tirées des 18 millions de tonnes d’or extraites chaque année profitent peu au pays. L’État malien ne reçoit que 20 % des recettes sous forme d’impôts et de royalties. Les 80 % restants bénéficient à AngloGold Ashanti. S’agit-il d’un contrat léonin ?  Le débat n’est pas lancé à Bamako. Mais les populations ont protesté à cause de trop faibles retombées locales. Elles réclament écoles, dispensaires, routes et plus d’emploi pour les jeunes villageois.

Comment à votre avis enrayer l’évasion fiscale ?

Il faut commencer par sensibiliser la base. La décentralisation a permis la création de 703 communes. Les maires, élus de manière transparente, peuvent aider, comme nous le disons dans un rapport du Centre Djoliba, à « bâtir le Mali à partir de perspectives locales ». Nous misons sur la gouvernance locale pour dessiner un nouvel avenir. Cela prendra du temps. Mais déjà nous expliquons aux populations l’utilité de l’impôt, ce qu’il permet de réaliser en matière de santé ou d’éducation. On constate, de Ségou à Sikasso, que lorsque la transparence est au rendez-vous, la démocratie et le développement se portent mieux. C’est encourageant.

Propos recueillis par Yves Hardy

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