Inde : du droit des femmes aborigènes au développement local
WORD (Women’s organization for rural developpement), soutenu par le CCFD-Terre solidaire, est une ONG initiée par des femmes pour le développement des zones rurales. Basée en Orissa, un État de la côte Est de l’Inde, dans le district de Koraput, elle travaille essentiellement avec des femmes aborigènes, dites Adivasis. Entretien avec Racheal Ray-Kumari, directrice de l’ONG.
Quel est le but principal de WORD ?
Nos cherchons à atteindre l’égalité des hommes et des femmes dans la société en travaillant particulièrement contre les discriminations qui affectent l’exercice des droits humains, que ce soit les droits des femmes bien sûr, mais aussi les droits des enfants, les droits des aborigènes ou encore les droits des Dalits.
Il existe de nombreuses inégalités produites par les discriminations fondées sur le sexe, ainsi WORD accompagne les femmes dans différents domaines : la santé, l’éducation, le logement, l’accès à l’eau, la protection de l’environnement. Et la gouvernance locale. Nous intervenons aujourd’hui dans 120 villages, ce qui représente environ 12 000 familles.
Pourquoi ce choix de travailler en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes ?
Quand je suis arrivée dans la région en 1997, j’ai été frappée par la réserve des femmes, leur timidité, leur refus de sortir de la maison en présence d’étrangers. Au niveau communautaire, toutes les décisions étaient prises par les hommes. Cet effacement des femmes entrave sérieusement l’exercice de leurs droits mais aussi le développement local.
Les Aborigènes sont en effet les principales pourvoyeuses de vivres de leur communauté car elles sont à la cueillette, tout en travaillent à part égale avec les hommes dans l’agriculture. Elles stockent les graines, ramènent l’eau, collectent le bois de chauffe, s’occupent de l’éducation et des soins aux enfants. Elles sont donc incontournables pour comprendre ce qui doit être amélioré et comment le faire.
Ça a pris du temps pour que les femmes réalisent qu’elles avaient des droits et autant de capacités que les hommes à décider. Elles étaient effrayées de parler en public, de prendre position pour des choix concernant la communauté. Mais depuis, nous avons beaucoup progressé. Aujourd’hui, les femmes siègent dans les Panchayats (assemblées locales), au niveau des villages et du district.
Comment avez-vous obtenus ces résultats ?
Il a d’abord fallu gagner leur confiance. Les femmes étaient très dubitatives. Nous y sommes allées à pas de loup, par de minis-actions les aidant à améliorer leur savoir-faire en matière d’éducation des enfants ou de santé par exemple. Nous ne sommes pas arrivées en déclarant qu’elles devaient prendre le pouvoir !
Dans un second temps, lorsqu’elles ont compris que le changement ne s’obtient que par l’action collective, nous leur avons proposé de former des groupes de dix à quinze femmes par village pour s’unir dans une fédération.
Un des enjeux fort de cette époque, nous étions en 2011, était qu’elles puissent siéger dans les Panchayats ou les présider, en assumant pleinement leur responsabilité. La loi réserve un quota de 33 % de sièges aux femmes, mais dans les faits, comme beaucoup sont analphabètes, une grande partie des élues continuent à faire de la figuration pendant que les hommes prennent les décisions.
Nous avons animé beaucoup de formations avant les élections pour qu’elles apprennent à régir un village : organiser la concertation, dégager des priorités, identifier leurs interlocuteurs dans les administrations.
Diaporama issu du reportage « En Inde, les tribus oubliées se forgent un destin » paru dans Pèlerin magazine, jeudi 3 mars 2016. ©Michaël ZUMSTEIN/CCFD-Terre Solidaire
Comment travaillez-vous avec les membres de la fédération ?
Une grosse partie de notre travail consiste à faire connaître les programmes développés par le gouvernement pour lutter contre la pauvreté, de manière à ce qu’elles diffusent ces informations autour d’elles. Si nécessaire, nous les accompagnons aussi dans leur démarche pour qu’elles ou leur village en bénéficient.
Les femmes enceintes, par exemple, ont droit à des suppléments alimentaires gratuits pendant leur grossesse et l’allaitement, ainsi qu’à la prise en charge de leur accouchement à l’hôpital et des frais de vaccination des enfants. Mais dans les faits, la plupart d’entre-elles ignorent ces droits.
Nous faisons aussi la promotion du « Mahatma Gandhi national rural employment guarantee act » (MGNREGA), un dispositif qui garantit à chaque villageois et villageoise, 100 jours de travail par an rémunéré 164 roupies par jour, pour effectuer des travaux d’intérêt collectif : construction de ponts, de routes, d’écoles, électrification d’un village. C’est très intéressant pour les familles comme pour la collectivité.
Quels sont les obstacles que les femmes rencontrent encore pour faire valoir leurs droits ?
Avant tout, la résistance des hommes à partager le pouvoir. Beaucoup ont du mal à accepter qu’une femme, en particulier une aborigène, dirige un Panchayats. Chez les aborigènes, les femmes sont cependant davantage respectées que dans d’autres communautés. Sans doute en raison de la simplicité de leur mode de vie. Ce n’est pas déshonorant pour un homme par exemple, de préparer le repas ou de laver les vêtements. Il n’y a pas d’infanticide parmi les aborigènes, la naissance d’une fille est toujours bien accueillie. Il n’y a pas de système de dot non plus, qui rend le mariage des filles si onéreux. Au contraire, c’est à l’homme d’apporter des cadeaux.
En revanche, les femmes aborigènes sont particulièrement affectées par le manque de facilités. Les villages sont très peu accessibles, enclavés dans la montagne. Il n’y a pas d’eau potable, la déforestation complique le ravitaillement en bois de chauffe. Les conditions de transports pour vendre leur production sur les marchés de taille importante restent dissuasives.
C’est aussi très difficile de faire venir des personnes formées dans la région. Rares sont les professeurs ou médecins disposés à vivre dans la jungle ! D’où l’importance de soutenir les filles dans leurs études. La plupart des diplômées reviennent pour exercer au sein de leur communauté. Les garçons, eux, prennent souvent goût à la ville.
Koraput est la région d’Inde la plus riche en Bauxite. L’activité minière constitue-t-elle une menace pour les aborigènes ?
Les compagnies minières mettent en avant les emplois qu’elles créent mais dans les faits, les aborigènes ne sont pas formés pour être embauchés, ce sont des personnes qui viennent d’ailleurs qui y travaillent. Tout ce que les compagnies minières veulent des aborigènes, c’est leur terre.
Sur le papier, la législation est très protectrice. Le « Forest Rights Act » permet aux personnes qui cultivent une terre depuis trois générations d’en devenir propriétaire, avec en contrepartie l’interdiction de la vendre et le devoir d’en prendre soin pour préserver la forêt. Mais en l’absence d’une société civile forte, c’est très difficile à faire appliquer.
Depuis 2010, WORD y travaille activement en incitant les villageois à réclamer leur dû. Huit des villages que nous accompagnons ont déjà obtenu la reconnaissance d’un terrain communautaire d’une surfaces allant de 1000 à 2000 acres [[de 405 à 810 hectares]], 2000 familles possèdent maintenant un titre de propriété – sur lequel le nom de la femme est inscrit en premier – pour des terres de 2 à 10 acres [[de 0,810 à 4 hectares]] et 1000 demandes sont en cours.
Quelles sont vos priorités pour les années à venir ?
L’adaptation au changement climatique est un défi majeur à relever. Quand je suis arrivée dans la région, la saison des pluies durait six mois. Aujourd’hui, en raison notamment de la déforestation massive, elle est réduite à deux mois et encore les pluies sont intermittentes. Les aborigènes vivent déjà avec si peu. Ils ne peuvent se permettre de perdre davantage.
WORD forme les villageois à des pratiques agricoles qui améliorent la production tout en respectant l’environnement. Nous collectons aussi des savoirs traditionnels aborigènes très précieux en la matière qui sont en train de se perdre. La lutte contre le chômage des jeunes et la prévention des conflits inter-religieux sont également des axes de travail auxquels il va nous falloir réfléchir.
Bénédicte Fiquet
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