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La France finance une pincée d’agroécologie (rapport)

Publié le 09.02.2021| Mis à jour le 02.01.2022

Trois ONG dont le CCFD-Terre Solidaire, publient les premiers chiffres d’un rapport fouillé[[Une pincée d’agroécologie pour une louche d’agro-industrie. Le rapport complet sera disponible en février 2021 sur le site du CCFD-Terre Solidaire.]] qui montre le double langage de la France, bien souvent vue comme le porte-drapeau de l’agroécologie, mais dont les financements publics favorisent surtout le modèle agro-industriel.


Peut-on d’un côté promouvoir le modèle d’une agriculture écologique, et de l’autre appuyer l’agro-industrie ? En 2018, invitée d’honneur au Salon ouest-africain de l’agriculture à Abidjan, la France expose la vision agroécologique qu’elle dit promouvoir. « Dans le même temps, la France avait fait du groupe Carrefour, dont les pratiques sont très éloignées de ce modèle, un sponsor officiel de sa présence au salon ! relate Valentin Brochard, chargé de plaidoyer au CCFD-Terre Solidaire. Depuis des années, nous sommes confrontés à ce double langage de la France en matière d’intervention agricole dans les pays du Sud. Aujourd’hui, nous disposons d’un document qui en mesure l’ampleur. »

Coproduit avec Action contre la faim et Oxfam France, le rapport Une pincée d’agroécologie pour une louche d’agroindustrie passe en revue une décennie de projets agricoles français soutenus dans les pays éligibles à l’Aide publique au développement. « La France se vante d’être un champion international de l’agroécologie, présentée comme la doctrine officielle de son action dans les pays du Sud, relève Valentin Brochard. Or, le bilan des financements publics octroyés montre une hiérarchie bien différente. »

Le Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne (Basic), commandité par les trois organisations, a épluché 9 571 lignes de projet, totalisant 5,8 milliards d’euros engagés entre 2009 et 2018. Seulement 13,3% de ces montants contribuent à une agroécologie « transformative », agissant à la fois sur les pratiques agricoles mais aussi sur les systèmes – modification du droit foncier, protection des ressources naturelles, etc. 9,3% des sommes ont soutenu des projet « potentiellement » agroécologi­ques – verdissement des pratiques agricoles, mais sans ambition systémique -, et 14,6% des projets « facilitateurs sociaux », par exemple pour améliorer la gouvernance et les politiques agricoles, mais sans critères favorisant une transition écologique.

23,6% des financements pour l’agro-industrie

À l’opposé, 23,6 % des financements ont appuyé des projets « non agroécologiques » – accroissement des rendements sans souci de modèle agricole, développement d’une agriculture industrielle, etc. —, fréquemment avec la participation de groupes français ayant des ambitions dans les pays concernés.

Ainsi, en 2018, Proparco, filiale de l’Agence française de développement (AFD) pour le secteur privé, a accordé environ 9 millions d’euros de prêt à Spayka. Premier négociant arménien de fruits et légumes, il se lance dans la production industrielle intensive, sous serres chauffées au gaz, de tomates et poivrons pour l’exportation principalement. Ce type de projet, renforçant la mainmise d’un acteur déjà dominant sur l’ensemble d’une chaîne de production, « aura finalement peu de retombées positives sur les populations locales », analyse le rapport. Avec un impact conséquent sur le dérèglement climatique : production hors saison, en grande partie hors sol, avec une énergie fossile, transport, etc. Et comment ne pas relever les intérêts français bien compris, dans ce montage ? Le fournisseur de serres est Richel Group, qui a bénéficié pour l’occasion de 15 millions d’euros de garantie export de la part de la Banque publique d’investissement (Bpifrance).

« La France est prompte à financer des projets allant à l’encontre des objectifs qu’elle annonce », appuie le rapport, alors même que sa ligne est clairement explicitée dans les textes. D’une part, l’aide publique est encadrée depuis 2014 par une loi d’orientation sur le développement et la solidarité internationale (LOPDSI) où l’on peut lire que la France promeut « un développement durable dans les pays en développement », pour participer « activement à l’effort international de lutte contre la pauvreté, la faim et l’insécurité alimentaire et de réduction des inégalités sociales et territoriales ». De l’autre, une stratégie internationale de la France pour la sécurité alimentaire, la nutrition et l’agriculture durable a été élaborée en 2019, axée notamment sur « la promotion de pratiques agricoles durables comme l’agroécologie ».

« Quand la voix officielle de la France se traduit par une telle ambivalence à l’heure de financer des actions, les pays du Sud risquent d’être dans la confusion », constate Valentin Brochard. Le rapport dénonce une incohérence « inacceptable », qui se lit dans la multiplicité des institutions intervenant. L’AFD, Proparco, Bpifrance, ministères, chacun oriente ses financements « en fonction de sa propre interprétation des priorités, quitte à aller à l’encontre des objectifs affichés par la France ». Par ailleurs, ajoute le chargé de plaidoyer, « la redevabilité n’est pas leur priorité. Sans même parler de l’analyse d’impact des projets financés… »

Des prêts au risque de l’endettement

L’AFD, révèle cette étude, est le financier quasi exclusif des projets d’agroécologie transformative (à 98 %). « L’agence dispose d’une expertise en la matière », reconnaît Valentin Brochard. Elle soutient, entre autres, le programme Transition vers une agroécologie paysanne au service de la souveraineté alimentaire (Tapsa) engagé en 2018 par le CCFD-Terre Solidaire, ou encore le projet de Promotion de la souveraineté alimentaire par la valorisation des céréales locales au Sénégal (VCLAO).

Ce qui ne fait cependant pas de l’AFD un chantre de l’agroécologie transformative : les montants qu’elle y consacre ne représentent que 28 % du total de ses engagements de nature agricole. Quant aux financements non agroécologiques, ils proviennent en grande majorité de Proparco (à 49,9 %) et de Bpifrance (à 47,5 %), des organismes pour leur part massivement acquis à ce profil de projets, qui représentent respectivement 70 % et 100 % de leur activité.

Par ailleurs, sur le périmètre limité à l’aide publique au développement (APD), l’AFD et Proparco, qui en sont les principaux opérateurs, octroient majoritairement des prêts, entre 60 % et 80 %, « au risque d’endetter encore plus les pays les plus pauvres », alerte le rapport.

Zéro pointé pour le genre et le climat

Les trois associations avaient aussi à cœur de mettre cette investigation en relation avec trois critères clefs de la lutte contre la faim dans les pays du Sud pris en compte par le modèle d’agroécologie transformative qu’elles portent : l’éradication de la pauvreté, la réduction des inégalités de genre, l’adaptation à la crise climatique. Résultat : on est proche du zéro pointé, s’alarment les auteurs.

Sur l’ensemble des projets étudiés, seuls 10 % ciblent la lutte contre la pauvreté (et 81 % ignorent le sujet), 3 % présentent une véritable approche de genre, et un nombre aussi insignifiant évoque le dérè­­­glement climatique…

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Un haut niveau d’opacité rencontré par les auteurs

Enfin, Valentin Brochard s’étonne du niveau d’opacité rencontré par les auteurs. Pour établir son périmètre de travail, le bureau Basic a dû peigner jusqu’à sept bases de données distinctes et se recoupant. Avec un déchet considérable. Près de 40 % des projets analysés n’ont pas pu être classés au regard de leur contribution à l’agroécologie, faute de données disponibles. Pour nombre d’entre eux, il n’existe en tout et pour tout qu’un titre et une allocation budgétaire…

Pour lire le rapport :
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Patrick Piro

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