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L’agroécologie vue du Burkina-Faso : relever les défis du climat, de l’islam radical et des migrations

Publié le 28.03.2019| Mis à jour le 13.01.2022

Au nord du Burkina Faso, l’association Aprossa Afrique verte relève de nouveaux défis dans son accompagnement des organisations paysannes vers l’agroécologie. Non seulement l’organisation travaille sur l’adaptation des cultures aux dérèglements climatiques, mais elle intègre aussi des éléments de tolérance religieuse dans ses actions.


portrait_amadou.jpgAmadou Diallo est animateur-formateur de terrain à l’Aprossa (Afrique verte – Burkina Faso). Il accompagne des organisations rurales dans le cadre du programme Transition vers une agroécologie paysanne au service de la souveraineté alimentaire (Tapsa) lancé par le CCFD-Terre solidaire.
Il est confronté dans son travail à des problèmes nouveaux : à l’adaptation au dérèglement climatique s’ajoutent désormais l’impact sur les esprits de la radicalisation islamiste ainsi que la tentation pour les jeunes de migrer.


Quelle est la situation dans votre région, au nord du Burkina Faso, où des groupes islamistes radicalisés sont actifs ?

Le Sahel burkinabè, en sandwich entre le Mali et le Niger, est d’accès assez facile pour les groupes, parfois terroristes, dont l’activité est en recrudescence depuis cet automne.
Le Burkina Faso n’a pas pris des mesures de surveillance aussi drastiques que ses voisins, qui ont récemment décrété l’état d’urgence aux abords de la frontière commune. Dès que les groupes radicalisés se retrouvent en difficulté, ils viennent se réfugier chez nous.
Les gens, ici, ont le sentiment d’être abandonnés par le gouvernement et les politiques.
S’il existe bien un Programme d’urgence pour le Sahel, il est principalement dédié à la sécurisation : on considère trop facilement qu’il s’agit d’abord d’une question militaire, au détriment de la satisfaction des besoins des gens.
Cela alimente leur frustration dans une région qui manque d’emplois, d’infrastructures, d’hôpitaux, etc.

Les forces de sécurité ne suffisent pas à lutter contre ces groupes ?

Il ne manque pas d’unités en arme très visibles. Mais nous nous préoccupons d’une menace plus insidieuse : dans un Sahel burkinabè fortement islamisé, les messages radicaux trouvent un écho.
Signe préoccupant, des dizaines d’écoles ont fermé suite à l’intervention de ces idéologues. Ils ont gagné tellement d’influence qu’ils se permettent de brûler des établissements scolaires ou de les convertir en écoles coraniques.
Il faut travailler à atténuer les tentations de radicalisation. Si bien que nous intégrons désormais des éléments de tolérance religieuse dans nos actions d’animation rurale.
Cela ne faisait pas partie de nos pratiques, mais nous avons estimé, agents de terrain, qu’il fallait prendre en compte cette nouvelle donne pour contribuer à apaiser la société locale.
À Dori par exemple, il existe depuis longtemps l’Union fraternelle de croyants, une organisation catholique très investie dans le dialogue inter-religieux, et sur laquelle nous nous appuyons.
Elle a obtenu des résultats très intéressants. Ainsi, les imams participent aux fêtes catholiques.
Ce qui nous incite à penser qu’un gros travail social pourrait minimiser la menace de la radicalisation bien plus considérablement qu’une réponse militaire.

Avez-vous été conduit à réduire vos activités en raison de cette pression ambiante ?

Non. Nous n’avons fermé aucun bureau ni déplacé d’agent, je circule en moto sans crainte.
Mais tout le monde parle du problème, les conversations finissent toutes par converger. Il monte une forme de psychose.

Les gens tentent-ils de fuir la zone ?

Il y a des mouvements vers Djibo à la frontière avec le Mali, plusieurs milliers de personnes se seraient déplacées, se sentant menacées.
La ville est sous couvre feu, de 19h à 6h depuis octobre dernier. C’est très nouveau, une privation de liberté de ce genre.
Autre risque de fuite, croissant : les jeunes. Ils sont extrêmement désœuvrés dans cette zone.
À Dori, une voie de transit, il m’est arrivé de voir passer une douzaine de cars par jour, transportant des jeunes de Sierra Leone, de la Guinée, du Liberia, etc., en direction de la Libye.
On ne voit pas encore beaucoup de jeunes Burkinabés tentés par la migration, mais qui pourra les retenir sans alternatives pour les fixer ?

Que faire pour eux ?

L’action d’Aprossa vise justement à valoriser la capacité des populations à tirer localement les moyens de leur subsistance ainsi que des revenus.
C’est notre vision du développement et de l’accompagnement : même si la nature est hostile, des pratiques adaptées sont à même de valoriser la zone.
Notre cheval de bataille : le Sahélien peut nourrir le Sahel.

Le dérèglement climatique est-il un frein à cette ambition ?

C’est certain, car les précipitations sont encore plus faibles et capricieuses qu’auparavant.
La saison humide démarre aléatoirement, elle s’est raccourcie, le désert progresse, les dunes se déplacent.
Les paysans témoignent aussi de la disparition d’espèces animales et végétales.
Cependant, nous avons entrepris d’adapter les pratiques traditionnelles des petits producteurs, dans une approche agroécologique : diguettes pour retenir les pluies, semis en poquet avec fumure (zaï), plantations en cuvette « demi-lune » pour réduire le ruissellement, collecte de la fumure organique, développement des cultures fourragères, etc.
Comme les semences à cycle végétatif long ne sont plus adaptées, nous avons lancé, avec une vingtaine de producteurs locaux, un programme de promotion et de diffusion du sariasso, un sorgho qui mûrit en 90 jours (la durée moyenne actuelle de la saison des pluies)  alors que les variétés traditionnelles nécessitent 120 voire 150 jours.
Le sariasso, jusque là peu utilisé au Sahel, élargit les options culturales des paysans, et leur permet d’être plus facilement en mesure d’alimenter les marchés sahéliens voisins.
C’est aussi un axe de travail d’Aprossa : favoriser les échanges de proximité pour renforcer la sécurité alimentaire locale.

Introduisez-vous aussi des pratiques innovantes  ?

Nous n’introduisons de nouvelles pratiques que dans la mesure où elles sont adaptées et maîtrisables.
Ainsi ces petits biodigesteurs à fumure animale, qui offrent plusieurs débouchés. La fermentation produit du méthane, qui peut remplacer en cuisine le précieux bois sec, et alimenter un point d’éclairage — pour permettre par exemple aux enfants d’étudier après la nuit tombée. Quant au résidu, c’est un excellent fertilisant liquide pour le maraîchage.
Nous promouvons également le moringa, dont les feuilles et l’écorce sont d’une grande valeur nutritive et médicinale.
L’exploitation de cet arbre peut être une bonne source de revenus pour les femmes. Bien que peu exigeant, le moringa est cependant assez peu cultivé dans le Sahel. Pour le vulgariser, nous sommes en train de créer deux vergers spécialisés.

Patrick Piro

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