Le refus de l’instrumentalisation des religions par les politiques

Publié le 01.03.2013| Mis à jour le 08.12.2021

Pendant une décennie – entre septembre 2002 et avril 2011 –, la Côte d’Ivoire s’est violemment déchirée. Laurent Gbagbo et ses partisans ont tenté – sans succès – d’utiliser les clivages religieux entre chrétiens et musulmans pour se maintenir au pouvoir. Analyse de l’imam Youssouf Konaté, membre du Conseil supérieur des imams de Côte d’Ivoire (Cosim).


FDM : Les musulmans de Côte d’Ivoire et leurs dignitaires religieux ont-ils eu le sentiment que les affrontements pouvaient gagner le terrain religieux et qu’ont-ils fait pour éviter de tels dérapages ?

Imam Youssouf Konaté : Très tôt en effet, nous avons perçu les signes avant-coureurs de la grave crise qui a secoué le pays ces dix dernières années. Pour cette raison, nous avons organisé avec persévérance des séminaires de formation et de sensibilisation des imams, des leaders des communautés et associations musulmanes du pays. Concrètement, il s’agissait de prévenir les conflits et d’identifier les moyens de préserver la paix sociale, malgré la partition de fait du pays entre Nord et Sud, depuis septembre 2002.

Le message principal délivré comme un leitmotiv lors de ces réunions était que le conflit ivoirien était de nature politique et non religieuse. Il s’agit d’une lutte pour le pouvoir qui n’a rien à voir avec les croyances des uns et des autres. Ce message a été réitéré à de nombreuses reprises par notre Guide spirituel, Cheick Bouakary Fofana, président du Conseil supérieur des imams (Cosim). Notre Guide nous incitait à nous abstenir de riposter, quelles que soient les attaques dont la communauté musulmane pouvait être victime, ce que nous avons scrupuleusement respecté tout au long du conflit. Et ce, bien que plusieurs mosquées aient été incendiées et plusieurs imams tués, à Abidjan ou Duékoué dans l’Ouest. La communauté musulmane dans son ensemble est restée digne dans la douleur. C’était un signal fort adressé à tous les Ivoiriens et je crois qu’il a été perçu comme tel.

À l’heure des bilans, pourriez-vous nous dire, de votre point de vue, quels ont été les principaux succès du dialogue interreligieux, ou les obstacles rencontrés ?

Outre le principal succès – aucun dérapage majeur de la crise sur le terrain religieux – je mentionnerai au titre des avancées notables, le fait que, désormais, les leaders religieux des différentes confessions se rencontrent régulièrement et se fréquentent. Les murs de méfiance, si tant est qu’ils aient existé, sont tombés. Le dialogue avec les prêtres catholiques a été possible partout dans le pays et a même débouché en plusieurs endroits sur des célébrations œcuméniques, à Korhogo par exemple (voir encadré ci-contre). Ce fut aussi le cas avec quelques Églises évangéliques, comme dans le quartier d’Abobo à Abidjan avec le pasteur Kaha. Bien sûr, ces avancées ont été surtout sensibles jusqu’au scrutin présidentiel de novembre 2010. Ensuite, entre décembre 2010 et avril 2011, l’insécurité était telle et les affrontements armés si violents – provoquant la mort d’au moins 3 000 personnes – que la plupart des Ivoiriens se sont repliés sur leur communauté. Que pouvaient-ils faire d’autre ?

De nouveaux affrontements interethniques se sont déroulés à Duékoué en juillet 2012, êtes-vous inquiet ? Oui, il est triste de constater que certaines personnes, très minoritaires, ne pensent qu’à ranimer la flamme de la haine entre ethnies.

Malgré tout, j’ai le sentiment que le vivre ensemble progresse. Espérons que ces quelques irréductibles comprendront un jour qu’il n’y a pas d’autre voie. Inch’Allah !

Le « vivre ensemble » progresse peut-être, mais la Commission dialogue vérité et réconciliation (CDVR) mise en place par le président Alassane Ouattara est critiquée pour son inaction…

Effectivement, la CDVR est l’objet de nombreuses critiques. Sa lenteur déconcerte de nombreux Ivoiriens. Est-elle pour autant totalement inefficace ? Laissons-lui encore le bénéfice du doute, chacun ayant sa manière de travailler. La CDVR a été mise en place fin juillet 2011 et dispose d’un mandat de deux ans.

Est-ce à dire que la réconciliation entre Ivoiriens – qu’ils soient Dioulas, Bétés ou Baoulés ; chrétiens ou musulmans – est en bonne voie ?

Je le crois. La société civile, qui a relevé la tête, est très active en ce sens. J’ai été, jusque début 2012, le président de la Commission culture et cohésion nationale de la convention de la société civile ivoirienne (CSCI) et je peux témoigner que toutes ses composantes se sont prononcées en faveur de l’apaisement des tensions ethniques et religieuses et ont agi en faveur du dialogue interreligieux, facteur de paix.

Je constate aussi, avec plaisir, que les leaders politiques reprennent parfois à leur compte cette volonté de dialogue. Ainsi, Guillaume Soro, après avoir été nommé une première fois Premier ministre en avril 2007, a-t-il mis en place un collectif des chefs religieux.

Des séances de prières ont alors été organisées avec la participation de toutes les confessions religieuses. Tout récemment, la nouvelle directrice des Cultes, Madame Diaby Aminata Dao, a pris une initiative comparable et mis en place un comité d’agrément des différents cultes. En pratique, les chefs religieux de toutes les confessions se rencontrent désormais tous les mercredis. Le dialogue se poursuit donc, il s’intensifie même. De quoi réjouir l’ambassadeur de paix que je suis.

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