Paris le 1er avril 2005
Monsieur le Secrétaire Général,
Les acteurs internationaux et français de solidarité internationale et de défense des droits de l’Homme, réunis dans « la plate-forme Côte d’Ivoire », suivent avec une extrême préoccupation la situation en Côte d’Ivoire depuis plusieurs années. A quelques jours de l’expiration du mandat de l’ONUCI et de la Force Licorne et à sept mois de la fin du mandat constitutionnel du Président Gbagbo, la résolution pacifique du conflit dans ce pays nous apparaît gravement compromise.
La rupture du cessez-le-feu le 28 février 2005 à Logoualé, la multiplication des milices armées, le recrutement et le déploiement d’éléments armés de part et d’autre de la zone de confiance et l’évocation dans les médias locaux d’un recours aux armes pour régler la crise font craindre une nouvelle escalade de la violence.
Face à cette situation, la communauté internationale doit prendre des décisions fermes pour éviter la reprise des combats, pouvant conduire à la généralisation des conflits intercommunautaires et à un possible conflit régional.
L’accumulation des crimes impunis, commis par les deux parties au conflit depuis le début de la rébellion, constitue un obstacle majeur à la réconciliation nationale. L’absence de justice créée un besoin de revanche et enclenche inévitablement une spirale de la violence. Pour y mettre un terme, les responsables présumés de ces crimes doivent être traduits en justice. Le système judiciaire, soumis à de fortes pressions, manque d’indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif. Dans la zone de confiance, l’autorité judiciaire est absente. Il existe ainsi sur l’ensemble du territoire ivoirien un climat d’impunité pour les violations des droits de l’homme.
Le gouvernement de réconciliation nationale n’a pas l’autorité pour mener à bien le programme de désarmement et assurer seul la crédibilité du processus électoral.
La « plate-forme Côte d’Ivoire » vous demande en conséquence de bien vouloir proposer au Conseil de sécurité des Nations Unies d’adopter une nouvelle résolution qui :
a. Fixe la protection des populations civiles comme une des priorités opérationnelles principales de l’ONUCI, notamment en la dotant de règles d’engagement claires afin d’aller au delà de la contribution à la promotion et à la protection des droits de l’homme et de la simple protection des civils exposés à une menace imminente.
b. Assure une présence plus efficace en matière d’observation des droits de l’homme sur le terrain, en ouvrant de nouveaux bureaux de la division de l’ONUCI en charge des droits de l’homme, à Odienne, Korhogo, Bouna et San Pedro, et en déployant davantage d’observateurs.
c. Renforce la lutte contre l’impunité, en menant des enquêtes judiciaires au sujet des violations des droits de l’homme, en identifiant les auteurs de ces violations, et en les amenant à répondre de leurs actes.
d. Crée une Commission internationale d’enquête sur les violences commises sur l’ensemble du territoire ivoirien depuis la rupture du cessez-le-feu du 4 novembre 2004.
e. Augmente les effectifs de la force militaire, de la police civile, et du personnel civil de l’ONUCI, en créant notamment une unité de réaction rapide convenablement équipée.
f. Prenne en charge le programme de Désarmement, de Démobilisation et de Réinsertion (DDR) des deux côtés de la zone de confiance.
g. S’implique fortement dans l’organisation, la supervision et le contrôle des différents scrutins.
Dans l’immédiat, la « plate-forme Côte d’Ivoire » vous demande de :
- Déployer davantage de casques bleus dans l’ouest et le centre ouest de la Côte d’Ivoire afin de mettre un terme aux attaques d’éléments armés sur les populations civiles qui occasionnent de graves et constantes atteintes aux droits de l’homme depuis septembre 2002.
- Appliquer immédiatement les sanctions ciblées à l’encontre de tous ceux dont les actions constituent une menace à la paix et à la réconciliation nationale, notamment à l’encontre des responsables d’atteintes graves aux droits de l’homme et aux responsables des médias qui exacerbent les tensions ethniques et intercommunautaires et appellent à combattre les forces impartiales.
- Rendre public le rapport de la commission internationale d’enquête sur les allégations de violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire perpétrés en Côte d’Ivoire entre le 19 septembre 2002 et octobre 2004, achevé depuis octobre 2004.
Nous espérons que vous aurez à cœur de relayer nos préoccupations auprès des membres du Conseil de sécurité des Nations unies, et que des efforts seront apportés pour améliorer les points que nous avons soulevés.
Veuillez agréer, Monsieur le Secrétaire Général, l’expression de ma haute considération.
Sylvie Bukhari de Pontual
Présidente de l’ACAT-France
Copies aux :
Représentant de la France au Conseil de sécurité des Nations unies,
Monsieur Jean-Marc Rochereau de la Sablière, Fax : 00.1.212.207.87.65
Directeur Général des Affaires Politiques et de Sécurité, Ministère des Affaires étrangères,
Monsieur Stanislas de Laboulaye, Fax : 01.43.17.45.45
Directeur des Nations unies et des Organisations internationales, Ministère des Affaires étrangères,
Monsieur Jean-Maurice Ripert, Fax : 01.43.17.46.91
Signataires :
- Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture France (ACAT-France)
- Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement (CCFD)
- Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH)
- Secours Catholique Caritas France
- Survie
- Terre des Hommes France
Documents joints