Mobilisation paysanne dans le Sud-Est de l’Inde
A la fin du XIXème siècle, les Britanniques avaient distribués des terres censées être inaliénables à ceux qu’on appelait alors les Intouchables. Plus d’un siècle après, l’association PEEDS lutte contre l’accaparement de ces terres.
La tension monte sur la route qui relie Madurai à Theni, deux villes de l’Etat du Tamil Nadu, dans le Sud-Est de l’Inde. Nous sommes le 12 juillet 2013. Une marche rassemblant des paysannes et paysans spoliés de leurs terres pour faire pression sur les autorités a été lancée par PEEDS (People’s Education and Economic Developpement Society), une association partenaire du CCFD-Terre Solidaire. La veille dans la nuit, la police a bloqué les villages, confisquant bœufs et charrues, intimidant les membres de PEEDS avec des menaces de prison.
Une centaine de personnes ont néanmoins réussi à se rassembler devant le lieu de ralliement prévu, à savoir le bureau du « District Collector », le fonctionnaire en charge de la gestion du cadastre. Devant les caméras de Sun TV, le directeur de PEEDS et avocat à la Haute Cour de Madurai, T. Baskaran, ne mâche pas ses mots et accuse publiquement le frère du ministre des finances du Tamil Nadu d’avoir accaparé illégalement de nombreuses terres. Le « District Collector » s’engage à les redistribuer rapidement. Quelques semaines plus tard, il est muté dans un autre district.
Le 5 février 2014, ce sont cette fois près de 500 membres de PEEDS qui s’unissent dans une marche pour exiger la redistribution des terres. Les autorités font de nouvelles promesses. L’affaire suit son cours…
Des terres supposées inaliénables
Devant l’ampleur du phénomène d’accaparement des terres au Tamil Nadu, que ce soit par de gros propriétaires, des investisseurs ou des multinationales, PEEDS et quatre autres partenaires du CCFD-Terre Solidaire (IRDS, AREDS, SHEHA et HRDF) ont créé en 2011 une fédération : La Tamil Nadu Land Rights Fédération (TNLRF). Cette fédération réunit des ONG et des mouvements investis dans la défense du foncier et des ressources naturelles. Nouant des alliances inédites, des ONG Dalits (anciennement dits « intouchables ») et Adivasis (aborigènes), des mouvements de femmes et des organisations de pêcheurs, de paysans et d’habitants des bidonvilles s’apportent ainsi un soutien réciproque, de manière à articuler leurs luttes du niveau local au niveau de l’Etat. Un enjeu fort pour le Tamil Nadu où 60% de personnes vivant de l’agriculture sont des paysans et des paysannes sans terre.
Une partie du travail de PEEDS consiste à organiser les Dalits d’une quarantaine de villages pour récupérer ce qu’on appelle les Panchami Land. Traditionnellement, les Dalits n’étaient autorisés à posséder ni terres ni moyens de production, tout en constituant l’essentiel de la main d’œuvre agricole mise en esclavage par les caste dominantes. Les Britanniques ont d’abord contribué à renforcer le système mais à la fin du 19ème siècle, ils leur distribuèrent des terres censées être « inaliénables ». Bien qu’une loi de 1978 consacre l’interdiction de vendre ces terres en dehors des communautés dalits, les Panchami Land, ont été dans leur quasi-totalité négociées à vil prix ou directement usurpées par des Indiens de castes dominantes. Dans les seuls districts de Theni et Madurai, PEEDS a ainsi identifié près de 1000 ha à récupérer.
De la violence des protagonistes à l’inertie complice des pouvoirs publics
Une des priorités de PEEDS est d’amener les Dalits à surmonter leur peur à déposer plainte, et le cas échéant d’assurer leur protection, sachant que la plupart des terres ont été spoliées par des Indiens Thevars, une caste réputée pour son extrême violence et politiquement très puissante dans la région. Pour ce faire, l’association forme un réseau de militants et militantes de base à la culture des droits de l’Homme et assure une permanence téléphonique pour les victimes d’atrocités. Depuis près d’un an, PEEDS œuvre également à un rapprochement audacieux avec une sous-caste plutôt pauvre des Thevars, les Kallars, car ces derniers, qui fournissent beaucoup d’hommes de main aux usurpateurs, ont été eux-mêmes spoliés de certaines de leur terre. Aujourd’hui, sur les deux districts de Theni et Madurai, les Kallars constituent 20% des membres de PEEDS. Leur participation au mouvement de récupération des terres contribue ainsi à conjurer une partie des violences, tout en inscrivant résolument la lutte sur le terrain du droit plutôt que sur celui de la défense des seuls Dalits.
Autre défi à relever par l’association : ébranler l’inertie complice de l’administration qui fait traîner l’examen des requêtes, classe les dossiers sans suite ou mute les fonctionnaires enclins à faire respecter les droits des personnes dépossédées. « Un contentieux par village » c’est l’objectif que s’est fixée PEEDS pour maintenir un certain niveau d’émulation à la base et faire monter le rapport de force en puissance. Avec au programme : le soutien juridique des plaignants et l’occupation pacifique des terres. « Nous avons fini de miser sur les seules procédures juridiques, explique T. Baskaran. L’équation est simple : selon le cadastre, ces terres leur appartiennent, les labourer est leur droit le plus absolu ».
Bénédicte Fiquet
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