Ouvrier de paix
Né il y a quarante ans d’une mère musulmane et d’un père chrétien, Abderrahmane Ali Gossoumian porte dans son histoire personnelle la capacité de mettre les altérités en dialogue. Un atout précieux dans son pays, le Tchad, déchiré depuis les années 1960 par un conflit où se sont exacerbées les tensions confessionnelles, régionales et ethniques.
Adolescent, le jeune musulman, guidé spirituellement par un père jésuite avait contribué en 1988 à la création d’un cercle islamo-chrétien, pour aborder les questions de la vie courante, la scolarité, la vie du quartier… Une initiative apparemment anodine qui se heurtait déjà aux préjugés. « Quand nous voulions organiser des sorties ensemble dans des camps de jeunes, certaines familles refusaient de laisser partir leurs enfants, se souvient Abderrahmane. Les musulmans avaient peur que ce soit des tentatives d’évangélisation. Les chrétiens craignaient que les musulmans soient violents. Il fallait se rendre dans les familles pour les rassurer. Amener les jeunes chrétiens dans les quartiers à majorité musulmane pour qu’ils se rendent compte que ce n’était pas dangereux. »
Cet enjeu, Abderrahmane Ali Gossoumian va le retrouver à la fin des années 1990, à son retour de France où il a étudié l’économie du développement (entre 1996 et 1998). Il crée alors l’Association des partenaires pour l’appui au développement (Apad) dont le but est de renforcer les associations de jeunes dans un contexte de démocratisation depuis 1990. Mais en 2005, Idriss Déby, au pouvoir depuis quinze ans, fait adopter par référendum une révision de la Constitution qui lui permet de se représenter au-delà de deux mandats. À la désillusion et au sentiment d’avoir été fl oués s’ajoute une reprise des rébellions armées. L’Apad, association partenaire du CCFD-Terre Solidaire depuis 2005, s’engage alors dans l’éducation à la citoyenneté et rejoint un réseau d’une quinzaine d’associations pour la promotion de la paix et de la citoyenneté au Tchad. « La question de la citoyenneté se pose parce que les jeunes sont assignés à leur appartenance confessionnelle et ethnique, par le discours familial et leur environnement social. Les enfants sont élevés dans l’idée qu’à la violence, ils doivent répliquer par la violence. Rien dans l’éducation n’est fait pour créer les conditions du vivre ensemble », déplore Abderrahmane.
Travailler à la réconciliation
En 2006, il intègre le Comité de suivi de l’appel à la paix et à la réconciliation (CSAPR, partenaire du CCFD-Terre Solidaire). Une initiative de la société civile pour amener les acteurs politiques tchadiens et internationaux à s’attaquer aux raisons fondamentales du conflit qui fait à nouveau rage (entre 2005 et 2008). « Nous insistions alors sur trois points fondamentaux pour établir une paix durable, détaille-t-il. Une loi électorale et une charte pour défi – nir les règles du jeu politique ; la création d’une véritable armée républicaine au lieu d’une armée liée au clan présidentiel ; un travail de réconciliation des Tchadiens qui aille au-delà de la signature d’accords entre acteurs politiques. Malheureusement, cette démarche n’a pas été comprise et les politiciens n’ont retenu que ce qui les intéressait : une loi électorale leur permettant de se partager le pouvoir. »
Officiellement, la paix est revenue au Tchad alors que le Comité de suivi a adopté une double démarche : « Nous accompagnons le discours officiel sur la réconciliation pour montrer au pouvoir que la société civile n’est pas une opposition déguisée mais une force de proposition. Mais nous avons conscience que ce discours est superfi ciel et qu’il faut travailler, en profondeur, sur la manière dont le pays est gouverné. En particulier, il faut mettre les questions de redistribution des richesses et des droits de l’homme dans le débat public. Et il reste toujours à travailler sur une véritable réconciliation entre citoyens alors que le moindre incident peut dégénérer en violences communautaires. »
Une situation fragile que risque de dégrader l’envoi d’un contingent tchadien de 2 000 hommes au Mali pour prendre part à la lutte contre les mouvements jihadistes. « Une décision précipitée d’Idriss Déby, estime Abderrahmane, dans l’espoir de bénéfices politiques à court terme. Mais passée l’euphorie, l’opinion commence à avoir peur des répercussions. Le Conseil supérieur islamique tient un langage très responsable, mais un attentat au Tchad ferait exploser les tensions entre chrétiens et musulmans. »
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