République de Serbie : La transition inachevée

Publié le 15.10.2012| Mis à jour le 08.12.2021

À l’heure où la Serbie engage des négociations d’adhésion à l’Union européenne, la transition démocratique est restée au milieu du gué. Le nationalisme continue de structurer les discours politiques. Au grand dam de la société civile, décidée à mettre l’accent sur l’éducation et le développement de l’esprit critique pour mobiliser une jeunesse qui oscille entre espoir et résignation.


À quelques jours du deuxième tour de l’élection présidentielle, Ivana, ne cachait pas son désarroi : « Lors du premier tour, j’étais à Berlin, soulagée de ne pas avoir à choisir parmi les candidats. Dimanche prochain, il me faudra bien trancher, même si je ne me fais pas d’illusions. Depuis dix ans, les changements que nous avons tant attendus tardent à se concrétiser. Parfois, je me sens prête à mettre n’importe quel bulletin dans l’urne, simplement pour que les choses bougent », raconte cette metteur en scène belgradoise qui anime des ateliers initiés par le Groupe 484, partenaire du CCFD-Terre Solidaire, pour réapprendre aux lycéens et étudiants la tolérance et le vivre ensemble, afin de poursuivre son combat.

Aux espoirs nés avec la chute de Milošević a succédé la gueule de bois. « Naïvement, les gens ont pensé que tout irait mieux, sans se rendre compte que la société civile, qui était alors aux premiers rangs dans la contestation, ne représentait pas l’ensemble de la population, explique Zagorka Golubović, anthropologue. Les changements ont toujours été repoussés et ce, d’autant plus facilement que, dans les partis comme dans les administrations, les mêmes personnes qu’autrefois sont restées en poste. » Ironie de l’histoire : l’ancien porte-parole de Milošević, Ivica Dačić, chef de file des socialistes briguait ouvertement le poste de Premier ministre, du moins jusqu’au 20 mai dernier où Tomislav Nikolić, le candidat nationaliste, lui aussi ministre de Milošević, était élu à la tête de l’État. Faisant mentir les derniers sondages, il a coiffé sur le poteau l’ex-titulaire du poste, Boris Tadić, soutenu, même du bout des lèvres, par une partie de la population aspirant à poursuivre la transition démocratique inachevée et l’intégration à l’Union européenne.

La victoire de Nikolic inquiète la communauté internationale

Plongeant la communauté internationale dans l’embarras, cette victoire signifie-t-elle un retour en arrière ? « Nikolić, qui par ailleurs a indiqué dans sa campagne vouloir poursuivre le rapprochement avec l’Union européenne, devrait, en raison de son passé, être surveillé de près par Bruxelles, ce qui devrait limiter les risques de dérapages. De plus, la constitution donne davantage de pouvoirs au gouvernement qu’au président », se rassure Dursas Radosavljevic, professeur de sciences politiques à Novi Sad.
Pour l’universitaire, le nouveau président a surtout su séduire les perdants de ces années de transition en promettant des milliers d’emplois. Alors que le chômage touche 24 % de la population, trouver un job devient un véritable casse-tête dans un pays où les relations comptent plus que les compétences. Les sujets économiques ont monopolisé les débats, sans qu’aucun des candidats n’ait pris le soin de préciser les mesures qu’il entendait prendre pour relancer la machine complètement grippée. Et ce n’est pas l’annonce par Fiat d’un investissement record dans une usine automobile du centre du pays qui semble de nature à inverser la tendance… « Sans le retour de la confiance, inutile de parier sur l’arrivée massive d’entreprises étrangères », pointe Izabela Kisić, directrice du comité Helsinki, mettant en avant le nombre de scandales qui ont émaillé la privatisation des entreprises publiques. Nombre d’entre elles ont été rachetées par des hommes d’affaires véreux s’appuyant sur leurs réseaux au centre du pouvoir. Leur objectif : récupérer des terrains pour réaliser des investissements immobiliers plutôt que relancer la production.

Repli communautaire

Dans une Serbie au bord du gouffre, minée par la corruption, ni l’Europe ni le Kosovo n’ont été au centre des débats entre les deux principaux candidats. Une preuve de normalisation ? Pas si simple… L’absence de ces thèmes s’explique surtout par le fait qu’ils sont d’accord sur l’essentiel. Sur le premier sujet, le discours apaisant des politiques est avant tout destiné à rassurer la communauté internationale, quand, sur le Kosovo, les évolutions sont marginales. Pour rallier les suffrages d’une population majoritairement opposée à l’idée de voir cette province voler de ses propres ailes, les politiques s’obstinent à ne pas reconnaître le nouvel État. « Le nationalisme a encore de beaux jours devant lui », note Borka Pavićević, directrice du Centre de décontamination culturelle de Belgrade où artistes et militants cherchent à contrer ces vents dominants.
Il suffit d’ailleurs d’arpenter le pays pour découvrir, sous le vernis démocratique, des zones grises : en Voïvodine, l’arrivée de réfugiés serbes qui fuyaient la Croatie, la Bosnie puis le Kosovo dans les années 1990 a modifié les équilibres entre communautés. « Frustrés de ne pas avoir pu rester chez eux, ils sont souvent dans le ressentiment et ont du mal à accepter l’esprit de tolérance qui, autrefois, été ici la règle », regrette Zlatoje Martinov, rédacteur en chef de Republika, un des rares journaux indépendants.
Au Sud, la situation s’est, elle aussi, détériorée. Dans la vallée de Presevo, la majorité albanaise n’attend plus grand-chose de Belgrade, peu soucieuse de participer au développement de cette région déshéritée qui a souffert de la dislocation de l’ex-Yougoslavie. Les routes commerciales qui permettaient aux habitants de vendre leurs produits au Kosovo ou en Macédoine servent surtout désormais à acheminer des produits de contrebande, les échanges ayant été repris en main par le pouvoir central[[Auparavant, les différents États de l’ex-Yougoslavie commerçaient librement entre eux. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, les échanges sont centralisés.]] .

Vivant des subsides envoyés par la diaspora et de multiples trafics, la région semble davantage voir son avenir dans un rattachement au Kosovo que dans le resserrement des liens avec les Serbes de cette partie du pays. La route entre les principales villes de la vallée a déjà des allures de frontières : d’un côté, les villages serbes ; de l’autre, les villages albanais où pointent vers le ciel des minarets. Sans compter la mosquée flambant neuve bâtie à Presevo, une des plus grandes du pays, pour une population de 35 000 habitants et financée par les pays musulmans…


Inventer de nouveaux lieux de débats

« L’Église orthodoxe joue, elle aussi, avec le feu, exacerbant le sentiment nationaliste et les valeurs traditionnelles orientées autour de la famille ou de la Nation », ajoute Dursas Radosavljević.
En Serbie, il ne fait pas bon contester l’ordre établi. « La censure n’a pas disparu », rappelle Zagorka Golubović qui a autant de difficultés que vingt ans auparavant, à trouver un éditeur pour publier ses livres. « Récemment, un rapport sur la corruption qui aurait pourtant dû faire la une des journaux a été passé sous silence dans la quasi-totalité des médias ! », s’emporte Nedim Sejdinovic, secrétaire général de l’Association des journalistes indépendants de Voïvodine. « Il n’y a pratiquement plus de lieux de débats capables de développer l’esprit critique des citoyens, et notamment des jeunes qui pour la plupart n’ont jamais franchi les frontières », renchérit Ivan Stojanovic, directeur de Youth Initiative for Human Rights, partenaire du CCFD-Terre Solidaire. Cette ONG foisonne d’idées pour sensibiliser et mobiliser les jeunes et les encourager à lancer eux-mêmes des initiatives collectives. Elle organise aussi des conférences et des manifestations destinées aux lycéens et étudiants : campagnes citoyennes incitant ceux qui sont en âge de voter d’aller déposer leur bulletin dans l’urne, ouverture d’un blog permettant à chacun de s’exprimer sur des sujets aussi divers que les années de guerre ou l’environnement… « C’est un peu comme un monde parallèle dans lequel de plus en plus de jeunes prennent leur destin en main », se félicite Ivana. Un véritable bol d’air frais dans un paysage politique et économique qui peine à se recomposer…

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