» Sans justice, pas de dignité «
Renforcer la responsabilité des entreprises transnationales en matière de droits humains, de standards environnementaux et de fiscalité… C’est l’une des revendications du CCFD-Terre Solidaire adressée aux partis et candidats à l’occasion des élections présidentielle et législatives françaises. Avec une demande phare : l’accès à la justice pour les victimes de multinationales.
“L’accès à la justice est un besoin universel pour tous les peuples » ne cesse de répéter Jean-Claude Katende, avocat au barreau de Lubumbashi, en République démocratique du Congo, et président national de l’Association africaine de défense des droits de l’homme (Asadho). « Sans justice, il n’y a pas de dignité, poursuit-il. L’accès à la justice crée un sentiment de reconnaissance de la victime et de son préjudice. Il représente aussi une porte ouverte vers la réhabilitation. La dignité des personnes affectées peut ainsi être restaurée. » Très surveillé par les autorités de son pays et menacé de mort pour ses critiques du pouvoir, l’avocat ne bat pas en retraite. En ce mois de novembre 2011, il est au Parlement européen de Bruxelles pour plaider la cause des victimes congolaises de multinationales européennes. Pourquoi un si long voyage ?
Des multinationales juges et parties
« On assiste à une ruée des firmes multinationales sur les ressources de notre pays. Plus de trois cents entreprises minières et pétrolières sont présentes en RDC », constate l’avocat. Les dommages causés aux populations locales sont nombreux et souvent graves. Antonio Manganella, chargé de plaidoyer au CCFD-Terre Solidaire a recueilli des témoignages lors d’une mission en 2011 à Muanda, province du Bas-Congo, où la société française Perenco exploite des puits pétrolifères, à deux pas d’un parc de mangrove protégé dans le delta du fl euve Congo. « L’eau et les sols sont huileux, j’ai vu des déversements directs dans la mer, les habitants souffrent de maladies oculaires et respiratoires, une manifestation a été farouchement réprimée, des personnes arrêtées… », témoigne-t-il. « Or, dans les pays du Sud, la législation permet rarement les poursuites contre ces grandes entreprises, explique Jean-Claude Katende. Les magistrats ne sont pas indépendants, la justice est corrompue. Les citoyens ne peuvent pas accéder à une justice équitable. »
De plus, le poids économique et financier des grandes entreprises bloque le bon déroulement d’une action en justice. « Les multinationales sont souvent juges et parties dans les pays où elles opèrent car elles participent à la conception des cadres juridiques qui encadrent leurs activités. Cela favorise l’impunité », s’insurge Marleen van Ruijven d’Amnesty International. Enfin, constituer un dossier de plainte relève du parcours du combattant. Il faut rassembler les preuves, les expertises. Engager des frais fi nanciers et faire preuve d’une patience sans faille face aux délais incommensurables de la justice. Tout cela, pour un espoir si maigre d’être entendu. Les victimes se laissent aisément gagner par le découragement.
Quand tous les recours au niveau national ont été épuisés, la justice internationale représente un nouvel espoir. Certes, il existe des mécanismes internationaux de résolution des contentieux. Au sein de la Banque mondiale, par exemple. Mais seules des plaintes concernant des projets financés par l’institution internationale peuvent y être soumises. Et les critères d’analyse sont ceux de la Banque mondiale. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) est dotée d’un dispositif similaire. « Mais ces recours restent très limités car ils appartiennent au domaine extrajudiciaire, pointe Antonio Manganella. Ils ne débouchent pas sur un jugement ou une condamnation. Ce sont juste des processus de résolution des différends. »
La justice internationale, espoir des victimes
D’autre part, les textes internationaux reposent sur un engagement volontaire des entreprises. « L’absence de normes juridiques contraignantes [au niveau international] rend extrêmement difficiles les actions visant à faire respecter les droits », souligne le CCFD-Terre Solidaire dans un document envoyé aux partis politiques. Pour dépasser tous ces obstacles, nationaux et internationaux, « l’accès à la justice européenne revêt désormais une importance primordiale », plaide Sandra Cossart de l’association Sherpa.
Fruit d’un long combat de la société civile, les entreprises internationales européennes sont aujourd’hui juridiquement responsables, en Europe, pour certains dommages qu’elles provoquent dans les pays tiers. « L’extraterritorialité [[L’extraterritorialité est une « situation dans laquelle les compétences d’un État (législatives, exécutives ou juridictionnelles) régissent des rapports de droit situés en dehors du territoire dudit État », Jean Salmon dans Dictionnaire de droit international public.]] est inscrite dans de nombreux domaines comme la corruption, le blanchiment d’argent, le trafic d’êtres humains, les actes xénophobes et le racisme, le commerce d’armes et de diamants… », rappelle Richard Howitt, député européen britannique et Rapporteur sur la responsabilité sociale des entreprises au Parlement européen. À quand l’extraterritorialité pour l’ensemble des droits humains ? De nombreuses associations se mobilisent à cette fin, au niveau européen, prenant le relais tendu par des organisations ou des réseaux du Sud. Elles font pression auprès des décideurs politiques, nationaux et européens, pour faire évoluer les lois qui régissent les activités commerciales des multinationales (voir article page 15).
À la veille des élections françaises, le CCFD-Terre Solidaire lance un cri d’alarme : « L’absence d’accès à la justice est étroitement lié au fait qu’il n’y a pas de lien juridique entre les maisons-mères, leurs filiales et les sous-traitants. L’obstacle est purement politique », dénonce Antonio Manganella. L’association a donc demandé aux candidats de s’engager à lever cette séparation juridique en cas d’abus en matière de droits humains et de l’environnement. Pour l’instant, les partis restent très timorés ; le PS s’est contenté d’inscrire le thème de la responsabilité des entreprises dans son programme. Quant à l’UMP, le parti présidentiel a eu l’occasion en 2009 d’agir favorablement. En effet, à la demande de Jean-Louis Borloo, alors ministre de l’Environnement, Corinne Lepage avait réalisé une étude préconisant une levée de la séparation juridique entre maisons-mères et filiales. Aucune mesure concrète n’a suivi cette recommandation.
La Commission européenne semble la plus en pointe sur cette question. Elle vient de proposer un principe qui permettrait aux magistrats européens de saisir une cour européenne quand ils jugent une cour nationale, d’un pays du Sud par exemple, incompétente. « Les possibilités d’avancées sont là, il ne manque plus que la volonté politique », résume le député Richard Howitt. En ce temps électoral propice aux bouillonnements d’idées, les politiques vont-ils faire preuve de volontarisme ?
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