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Serbie : Sur la route des Balkans

Publié le 29.02.2016| Mis à jour le 08.12.2021

Plus de 800 000 réfugiés sont entrés en 2015 en Grèce, via la Turquie, pour rejoindre l’Europe. En dépit d’une baisse des arrivées depuis la mi-novembre, la crise est loin d’être terminée… Sur la route des Balkans, leur parcours, de plus en plus chaotique, oblige un certain nombre d’entre eux à prendre des risques. En outre, le durcissement de l’Union européenne commence à inquiéter les pays de transit. Reportage en Serbie.


Parti quinze jours plus tôt, à la mi-novembre, d’Afghanistan avec sa femme et ses deux filles de quatre et deux ans, Emmaduddin a lui aussi choisi le chemin de l’exil. Âgé de vingt neuf ans, cet ingénieur agronome était coordinateur de l’ONG People in need dans le nord de son pays. « L’entrée des Talibans dans Kunduz en septembre dernier a été le détonateur : même si depuis, les troupes gouvernementales ont repris le dessus, ce type d’attaque pourrait bien se reproduire. Les Talibans, cherchant aujourd’hui à renforcer leur emprise sur le nord du pays, n’hésitent pas à enrôler les hommes de force », explique-t-il.

Pour ne pas subir ce sort, Emmaduddin et les siens ont d’abord rallié en bus, par leurs propres moyens, la Turquie, via le Pakistan et l’Iran. Puis ils se sont embarqués sur un rafiau de fortune pour l’île de Lesbos.

« La mer était mauvaise, les enfants pleuraient. Je les ai pris dans mes bras, en leur disant qu’il ne pouvait rien leur arriver, papa était avec eux, alors que moi aussi j’ai eu la peur de ma vie ! »

Arrivés sains et saufs, ils ont été enregistrés et pris en charge par l’agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR). Avec des milliers d’autres réfugiés débarqués sur les côtes grecques, ils ont alors poursuivi leur route en bateau, puis dans des trains spécialement, affrétés pour ceux autorisés à continuer leur voyage jusqu’à Preševo, au sud de la Serbie.

Les 2 000 euros réunis avant le départ ont financé les transports, servis à payer le passeur et à assurer le quotidien. « Nous n’avons plus un sous en poche mais une nouvelle vie devant nous », sourit Emmaduddin. Ce soir du 2 décembre, il vient d’obtenir pour lui et sa famille le précieux « laisser-passer » : un visa lui accordant 72 heures pour traverser la Serbie. Dans quelques heures, après avoir traversé la Croatie, la Slovénie et l’Autriche, il sera dans le train qui le conduira en Allemagne, sa destination finale.

Comme Emmaduddin, en 2015, plus de 800 000 réfugiés fuyant la guerre en Syrie, les combats en Irak et en Afghanistan, la dictature en Érythrée, la misère au Bangladesh ou en Somalie, sont arrivés en Grèce. Ils ont tous emprunté la route des Balkans pour rallier l’Allemagne. Un véritable parcours du combat tant allant de quelques jours, pour les plus chanceux, à quelques semaines pour les autres, au gré des ouvertures et fermetures des frontières.

Comme ce 3 décembre où plus aucun train en provenance de Macédoine n’est arrivé en Serbie. Des incidents intervenus à la frontière gréco-macédonienne entre les réfugiés admis à continuer leur route et les autres avaient en effet perturbé un processus d’acheminement pourtant bien huilé.

L’UE trie les réfugiés en fonction de leur passeport

Depuis la mi- novembre, pour endiguer le flux de candidats à l’installation dans l’Union européenne, les 28, suivis par tous les pays situés sur la route des Balkans, n’accordent plus de visas qu’aux ressortissants de Syrie, d’Irak et d’Afghanistan. Les autres sont reconduits dans le premier pays européen où ils sont entrés.

« Cette mesure, triant les réfugiés en fonction de leur passeport, va à l’encontre du droit international », note Robert Kozma, responsable des programmes éducation et dialogue interculturel de Group 484, partenaire du CCFD-Terre Solidaire, en première ligne dans tous les centres d’accueil et d’enregistrement de Serbie.

« Toute personne victime de violence a le droit d’être protégée, de demander l’asile et saisir la justice en cas de refus. »

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Responsable de l’ONG Youth for Refugees, active à Preševo, Valon Ariffi renchérit : « Tout cela ne sert à rien, si ce n’est à renforcer la détermination de ceux qui sont prêts à tout pour passer, y compris de manière illégale. Cette décision favorise les trafics en tout genre et la criminalité : aujourd’hui, il est possible d’acheter un faux passeport en Grèce et d’alimenter ainsi des mafias. »

Les incidents terminés, le train a finalement repris la route pour arriver à la frondes serbe le 4 décembre à… 2 heures du matin ! Ne pouvant rejoindre le centre d’enregistrement en pleine nuit, un millier de personnes ont patienté sous des tentes non chauffées avec une température extérieure en dessous de zéro. Ils ont ensuite été conduits jusqu’à Preševo après avoir fait trois kilomètres à pied, puis pris le bus pour une dizaine de kilomètres.

Les yeux encore ensommeillés, son visa à la main, une jeune femme attend le départ du car pour Šid. Du sac à dos de son enfant sort une tête de nounours, elle aussi un peu fripée. Un vieil Afghan, unijambiste, perdu dans ses pensées et ses souvenirs, suit la foule. Un groupe d’Irakiens – un couple, leurs enfants, des cousins – se dirige vers la gare. Le trajet pour rejoindre la Croatie est plus long qu’en bus, mais deux fois moins cher[[15 euros par personne en train, contre 35 euros pour le bus]]. Mais c’est encore trop onéreux pour le chef de famille. Après avoir demandé comment faire au contrôleur, celui-ci les laisse monter sans les faire payer.

Les autres réfugiés, assoupis sur les banquettes ou attendant le long des rails, ne savent pas encore qu’ils vont devoir patienter plusieurs heures. Les trains ne partent que quand ils sont pleins. Or, depuis la mi-novembre, le nombre d’arrivées diminue. Outre le tri entre les nationalités, les conditions météo, à l’approche de l’hiver, incitent à la prudence. Bon gré, mal gré, ce sont encore 1 000 à 4 000 personnes qui arrivent chaque jour en Serbie contre 6 000, voire parfois 8 000 entre septembre et novembre.

« Mais rien n’indique que la crise soit sur le point de s’achever… », remarque Seda Kuzucu, coordinatrice du bureau de l’UNHCR à Preševo.

Pas même l’action de la Turquie, qui a pourtant reçu fin décembre 3 milliards d’euros de l’Union européenne pour empêcher les réfugiés de quitter le pays. Après quelques actions spectaculaires, personne ne sait vraiment si Ankara remplit ou non la mission de police demandée…

Les tractations entre Bruxelles et Ankara ont précipité la volonté d’Abdullah et de sa femme, réfugiés syriens depuis trois mois en Turquie, de regagner l’Europe au plus vite. « Dans le camps où nous étions, les conditions ne cessaient de se détériorer : nous n’avions pas assez de nourriture, tout pouvait s’acheter au marché noir mais à des prix de plus en plus exorbitants », indique Abdullah, en route vers l’Allemagne où il souhaite rejoindre, avec sa femme et son fils en bas âge, un de ses frères partis quelques mois plus tôt. Sur le parking d’une station service, à une dizaine de kilomètres de Šid, à la frontière croate, son bus fait une halte. L’UNHCR et les ONG s’y enquièrent de la santé des passagers épuisés. Ils sont invités, s’ils le souhaitent, à consulter un médecin ou à se reposer dans un ancien motel transformé en centre d’hébergement avant d’être conduits à la gare où un train les attend.

Route principale et route secondaire

La gare de Šid est aussi le point de ralliement de réfugiés qui ont choisi d’emprunter une route « secondaire », passant par la Bulgarie, souvent pour des raisons économiques car ils n’ont pas à payer des passeurs pour rejoindre la Grèce.

« Ce chemin est beaucoup plus dangereux que la route principale : nous avons recueilli de nombreux témoignages de personnes qui ont été battues ou rançonnées par des trafiquants », raconte Robert Kozma.

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Pris en charge dès la frontière serbe par l’UNHCR, les réfugiés sont conduits ensuite en bus à Belgrade où ils peuvent se restaurer, dormir, voire passer quelques jours dans le centre d’accueil des demandeurs d’asile, en banlieue.

Un jeune garçon d’une douzaine d’années, peu bavard, parti seul et par ses propres moyens d’Afghanistan, essaie une nouvelle paire de chaussures et enfile une parka récupérées dans le tas de vêtements dignes d’un marché aux puces, avant de poursuivre sa route. Edin, étudiant à Belgrade, a délaissé les amphis pour venir tous les jours jouer au foot ou au volley avec les réfugiés, à qui une quarantaine d’ONG proposent des activités dans un parc jouxtant la gare.

« Nous devons être à leurs côtés. On ne peut pas tourner le dos à des personnes dans une telle détresse !, s’emporte l’étudiant à l’encontre des gouvernements européens, trop timorés à son goût. Que pèse un million de réfugiés sur les 500 millions d’habitants de l’Union européenne ? »

À l’image de Edin, nombre d’ONG redoutent un durcissement de Bruxelles, face à des États membres peu enclins à accueillir les candidats à l’exil. Que se passera-t-il s’ils doivent rester sur place ? Pour le moment, la population serbe est assez indifférente car mis à part les centaines de bénévoles mobilisés tout au long du parcours pour leur venir en aide, la majorité n’a pas de contacts avec eux. Le pays s’est doté d’une loi permettant de demander l’asile, mais début décembre, seulement 120 demandes avaient été enregistrées et une soixantaine d’avis favorables émis.

« La situation économique n’est pas bonne. Nous n’avons aucun dispositif pour favoriser l’intégration des demandeurs d’asile : pas de cours de langues, pas d’allocations pour leur permettre de passer les premiers mois, pas d’accompagnement… Certes, les réfugiés souhaitent fuir les combats et la misère mais aussi avoir la possibilité de devenir des citoyens comme les autres », résume Robert Kozma.

L’installation de réfugiés pourrait par ailleurs raviver les tensions, comme en septembre dernier à Subotica. « Alors que les migrants s’installaient dans cette ville à la frontière hongroise, faisant craindre à certains la transformation de la zone en “Calais serbe”, des groupuscules d’extrême-droite ont organisé des manifestations pour demander leur départ, tandis que plusieurs centaines de personnes issues de la société civile ont participé à des contre-manifestations pour marquer leur désaccord », se souvient Anita Mitic, directrice de l’association Youth Initiative for Human Rights, partenaire du CCFD-Terre Solidaire, qui a ouvert un bureau sur place pour suivre la situation.

Pour faire évoluer les mentalités dans les pays de la route des Balkans, les ONG de toute la région viennent de lancer une campagne commune « Welcome Refugees ». Un pas en avant indéniable dans des pays rongés par le nationalisme qui voient dans l’étranger une source de menace…

Ce reportage a été publié dans notre magazine Faim et Développement de février 2016. Pour lire la suite, abonnez-vous à Faim et Développement, le magazine du CCFD-Terre Solidaire :
– Notre journaliste a retrouvé la famille d’Emmaduddin en Allemagne.
Vous y trouverez aussi :
– des portraits de réfugiés
– une interview de Catherine Wihtol de Wenden, spécialiste des migrations
– un article sur le travail de Group 484, partenaire du CCFD-Terre Solidaire
– une interview de Emmanuel Blanchard, président de Migreurop, association partenaire du CCFD-Terre Solidaire, qui analyse les dessous de l’accord passé entre l’Union européenne et la Turquie.

– Et un dossier sur la protection des lanceurs d’alerte.

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