Tchad, l’émergence de structures rurales démocratiques

Publié le 06.12.2010| Mis à jour le 08.12.2021

Après plusieurs années d’accompagnement des paysans au Tchad sur la sécurité alimentaire et le développement agricole, l’ONG Acord, partenaire du CCFD-Terre Solidaire réalise qu’aucun processus de développement durable n’est possible tant que les communautés ne seront pas organisées et n’auront pas établi un rapport de force avec les autorités publiques et traditionnelles pour obtenir la reconnaissance de leurs droits. Pour Acord, le développement sera politique ou ne sera pas.


Sols pauvres, sécheresse, revenus insuffisants qui poussent les paysans à migrer. Peu de routes et d’équipements, des conflits entre agriculteurs et éleveurs, une administration peu présente et des tensions intercommunautaires qu’on résout par les armes, tel est le diagnostic sans appel posé par Acord, lors de son arrivée dans cette région sahélienne immense qui va du lac Tchad au Ouadaï à la frontière soudanaise.

Pendant dix ans, les équipes d’Acord vont s’attacher au renforcement de la culture attelée et au développement du pôle artisanal de production de matériels agricoles. Elles ont également accompagné ces communautés sahéliennes en finançant des infrastructures communautaires (puits, magasins de stockage..) et en mettant en place des activités génératrices de revenus pour leur permettre d’améliorer leur quotidien.

Mais l’ONG réalise assez vite que les communautés resteront à la merci de l´arbitraire tant qu´elles ne seront pas organisées autour des défis et intérêts communs et n’auront pas construit en rapport de force avec les autorités.
Mais comment évoluer d’une logique de «  bénéficiaires f» vers une logique «  d’acteurs de développement  », d’une logique « d’encadrement du monde paysan », vers une logique d’appui-conseil à des porteurs de projets, investis d’une véritable responsabilité de maîtrise d’ouvrage ? Quels instruments de financement promouvoir ? Comment les pérenniser selon une méthodologie cohérente qui prenne en compte les données culturelles, économiques, sociales, écologiques, administratives et politiques d’un environnement complexe et évolutif ? Comment associer les autorités locales à ce processus ?

Une nouvelle démarche d’accompagnement des communautés va alors être lancée : pour restaurer le dialogue au sein des communautés, leur permettre d’instaurer des mécanismes de représentation démocratique, les aider à comprendre leur environnement et à construire leurs projets de développement. Plus d’un million d’habitants répartis dans mille villages et villes de la zone participeront à ce processus de mobilisation : réunions de village, diagnostics participatifs des territoires, élections par collèges (jeunes, femmes, paysans, vieux…), mobilisation financière… Toutes les communautés élisent des représentants à leur Comité de développement. Dans un deuxième temps, Acord va accompagner les communautés pour qu’elles se projettent au-delà de leur espace habituel. Un processus de structuration « démocratique » se crée au niveau inter-villageois puis cantonal et enfin au niveau départemental. Aujourd’hui, une plate-forme régionale est en cours d’élaboration. Avec pour résultats ? Des milliers d’élections, des centaines de milliers d’électeurs et dix mille représentants démocratiquement élus. En 2005, à Bokoro, ville moyenne de la région, lorsque le préfet nomme arbitrairement le nouveau maire de la ville, la Comité cantonal se mobilise et obtient la nomination d’un de ses représentants. À Dababa, canton rural traditionnel, le Chef de canton reconnaîtra l’année suivante qu’il n’a plus le pouvoir d’imposer ses listes dans les élections villageoises. Et progressivement, les élus vont rejoindre les instances administratives issues du processus de décentralisation.

Renforcer le développement local et citoyen

Mais ce processus démocratique ne suffit pas à lui seul à donner aux communautés les moyens d’enclencher un processus de développement durable. Acord va donc utiliser de nouvelles approches de développement local et citoyen.

Grâce la coopération internationale, l’ONG a pu financer cent soixante-quatre plans de développement villageois qui permettent aux communautés de s’équiper et de s’organiser : plans de formation agricole, écoles, centres de santé, puits, périmètres maraîchers, fonds d’investissements… des projets gérés à chaque fois par les comités villageois. Puis elle met en place, avec les populations locales, des « contrats sociaux », pour gérer les tensions dans l’accès aux ressources naturelles. Conflits sur l’eau, sur la terre, entre agriculteurs et éleveurs mais aussi entre pêcheurs de différents villages… Les contrats sont débattus par les communautés, validés par les chefs de village puis enregistrés par les sous-préfets, ce qui leur donne un caractère contraignant. Ils existent aujourd’hui dans cinq cents petits villages de douze cantons. Dans un village de brousse, ce pacte a permis que des relations commerciales se nouent entre deux communautés d’agriculteurs et éleveurs, les uns vendant du miel et les autres du lait. Ensemble, ils gèrent aussi un parc de vaccination destiné à l’élevage transhumant.

Une élite communautaire au service de la justice sociale

Pour pérenniser ce processus, Acord a également misé sur la formation d’une élite rurale. Des formations techniques pour les responsables des structures agricoles, de plaidoyer et en gouvernance publique pour les élus… Sept cents animateurs/médiateurs villageois ainsi que deux cents parajuristes ont aussi été formés. Leur présence va profondément modifier le rapport aux autorités publiques qui ne pourront plus abuser de l’isolement et de l’ignorance des populations pour réclamer des taxes illégales. Le « Droit » moderne est alors devenu un instrument communautaire au service de la justice sociale. À Amdam, préfecture rurale très isolée, les populations ont manifesté dans la rue pour demander à l’État d’intervenir contre la prolifération des oiseaux granivores qui détruisent toute leur récolte. Citoyens électeurs, élus, parajuristes, animateurs, techniciens communautaires, toute une élite rurale bien formée et « citoyenne » structure dorénavant la vie sociale de cette région.

Cette démarche originale a favorisé l’émergence de structures rurales démocratiques, capables de planifier et de mettre en œuvre les activités nécessaires au développement social, économique et écologique de leurs territoires. Grâce à leurs élus, ces territoires sont sortis de l’isolement. C’est en quelque sorte la sortie du système féodal et la naissance d’une conscience citoyenne collective qui veut s’affirmer comme un élément déterminant d’une nouvelle gouvernance au service de la paix, de la justice sociale et du développement durable.
Cette démarche est reproduite par d’autres ONG au Tchad et va être mise en œuvre par Acord en Centrafrique très prochainement.

Bruno Angsthelm
Chargé de mission Partenariat Afrique/océan Indien

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